Crack The Skye : Les 15 ans du Mastodonte - Partie 1

Vivant ou mort ?

Le 24 mars 2009, Mastodon offre aux oreilles du monde entier la quatrième partie d'une tétralogie des éléments entamée en 2002 avec Remission. Un disque allant piocher dans des territoires beaucoup plus progressifs et étant, pour beaucoup, le magnum opus du quatuor. À l'occasion du quinzième anniversaire de cet album, nous vous proposons une plongée dans Crack The Skye à travers les différents angles de lecture possibles dans les paroles.

Néanmoins, avant de vous laisser avec la première partie, il est important de vous préciser quelques petites choses. D'abord, ce dossier est une sorte de mise à jour. En effet, il fut déjà publié en 2019 sur le site ami GrannySmith.fr pour célébrer le dixième anniversaire du disque. Le fond restera le même, mais les relectures actuelles offrent un petit coup de peinture bienvenu concernant la mise en forme, les fautes possiblement existantes, etc.

Ensuite, il sera question de deux personnes problématiques : Josh Homme et surtout Scott Kelly. Au moment de la première publication de ces articles, les faits autour de ces deux individus n'étaient pas publics. Si aujourd'hui il serait malvenu de faire la promotion des sorties musicales de ces deux hommes, il serait en revanche maladroit d'effacer les propos écrits en 2019. C'est pour cela que les louanges autour de la prestation de Scott Kelly sur le titre Crack The Skye sont toujours dans la partie 2. Il est cependant important de préciser qu'en aucun cas nous ne tolérons le comportement de ces deux personnes, et que nous soutenons toutes les victimes de violences conjugales.

Enfin, la troisième partie est un peu plus personnelle et s'est vu agrémentée de quelques lignes supplémentaires pour évoquer les cinq années qui se sont écoulées depuis la première parution de ce dossier. Ce disque est essentiel dans ma vie, et il était important que je l'évoque en m'affranchissant des codes et règles journalistiques basiques. D'ailleurs, j'évoque cet album dans l'épisode 26 de l'Escale consacré à la dépression.

Maintenant que tout ceci est posé, nous espérons que vous apprécierez le voyage à travers l'Astral et aussi la vie de Brann Dailor, batteur de Mastodon. Nous vous souhaitons une bonne lecture ainsi qu'une bonne écoute !

Nous sommes à la fin de la première décennie du XXIe siècle. Mastodon, quatuor d’Atlanta, monte en estime auprès des fans et des critiques à chaque album. Le premier, Remission, est une immense tarte sludge dans la face. Il est surtout le début d’une quadrilogie d’albums concepts autour des éléments - ici, le feu. Vient ensuite l’eau en 2004, avec Leviathan. Construit autour de Moby Dick d’Herman Melville, ce deuxième opus laisse entrevoir quelques inspirations progressives à travers ses titres. On y retrouve aussi deux choses qui deviendront des habitudes : un morceau d’ouverture incroyable, ici Blood And Thunder, et un featuring de Scott Kelly sur Aqua Dementia.

Encore aujourd’hui, les fans du groupe s’écharpent pour savoir s’il s’agit du meilleur album de leur discographie. D’aucuns diraient qu’il s’agit même de la meilleure sortie metal de la décennie. Mais les joyeux lurons ne s’arrêtent pas là puisqu’en 2006 sort Blood Mountain, axé autour de la terre. Une sortie unanimement saluée pour son mélange entre sludge des débuts et inspirations progressives plus abouties comme sur Sleeping Giant ou Colony Of Birchmen. On retrouve d’ailleurs un certain Josh Homme en featuring sur ce morceau. Chaque LP est une réussite et les fans sont de plus en plus nombreux.

En 2007, Brent Hinds, guitariste soliste de Mastodon, se retrouve saoul suite à une soirée avec Dave Grohl. Il en vient à se battre avec un ami de Shavo Odadjian, qui va lui causer de grosses blessures, notamment au visage. Il passera d’ailleurs proche de la mort. Sa convalescence va l’inspirer pour composer les riffs du quatrième album de son groupe. Pendant 6 mois, le quatuor va bûcher avec le producteur Brendan O’Brien pour proposer une expérience incroyable. De tout ceci naîtra Crack The Skye, dernier pan de la quadrilogie des éléments qui ne prendra pas l'air mais bien l’éther comme base. Logique quand on connaît l’histoire racontée par cet album.

OBLIVION

Ouverture sur le single et un riff plutôt lent mais instantanément reconnaissable. L’ambiance monte avant que le rythme ne s’accélère et que, pour la première fois de l'histoire de Mastodon, Brann Dailor use de ses cordes vocales. Excellent derrière les fûts, on va le découvrir magnifique au micro, grâce à sa voix de ténor offrant plus de variété dans les lignes vocales. Il nous présente l’histoire, celle d’un homme, tétraplégique, qui se sert du voyage astral pour aller dans l’espace. Son âme sort de son corps et est reliée à celui-ci par un cordon. Sauf qu’en s’approchant trop près du soleil, elle se voit détachée de son propriétaire.

I flew beyond the sun before it was time
Burning all the gold that held me inside my shell

Une situation qui sera confirmée par le refrain, porté par la voix particulière de Brent Hinds.

Falling from grace cause I’ve been away too long
Leaving you behind with my lonesome song
Now I’m lost in oblivion

Ce dernier va aussi nous gratifier d’un solo incroyable. Il parvient à nous transmettre une émotion avec sa guitare, quelque chose qu’il réitèrera plus tard sur le disque. On se laisse sur une merveille de chanson pour enchaîner avec le titre le plus court de l’album.

DIVINATIONS

On change directement d’ambiance avec quelque chose de plus rapide comparé à l’atmosphère lancinante du morceau précédent. Notre âme est toujours dans l’espace et va se retrouver dans un wormhole ou « trou de ver » dans la langue de Molière. Pour simplifier, c’est un endroit qui réunirait deux espaces-temps. Son aventure va l’amener à rencontrer des Nécromanciens qui vont l’envoyer dans le corps de Raspoutine, dont la mort est imminente.

The wormhole is empty
The center of Khlysty surrounds me
The fire is dancing in a silvery sheet of breath
Black robe
Necromancing
Summon the soul of the spectre

Ce voyage à travers le wormhole est parfaitement imagé par le solo de Brent Hinds, qui amène sur ses couplets une voix plus rauque que sur « Oblivion ».

QUINTESSENCE

On retrouve des claviers assez aériens sur le début du morceau pour laisser place à une certaine montée en puissance dans les riffs et la noirceur des paroles. Ce titre évoque la rencontre de l’âme du protagoniste avec Raspoutine jusqu’à son intégration dans le corps de celui-ci en toute fin de titre. Ce moment contraste complètement avec le reste, puisqu’on retrouve un tempo lent et la voix caverneuse de Troy Sanders. Les claviers reviennent et amorcent une transition vers la quatrième piste.

Shield failure
Speed farewell

THE CZAR

La face A se termine sur un gros morceau, une pièce en quatre actes pouvant presque être quatre chansons distinctes. La force de Mastodon est d’en faire un chef-d’œuvre de 11 minutes. On débute avec « Usurper » et ses claviers éthérés. Les voix se font très légères, l’ambiance est mystique, collant parfaitement avec Raspoutine. Ce dernier est prévenu que ses jours sont comptés. Son plan d’assassiner le Tsar a été découvert.

Don’t stay; run away
He has ordered assassination
Don’t stay; run away
The henchmen are gathered and waiting
Don’t stay; run away
Your role as usurper is found out
Don’t stay; run away
Czarina has warned of the danger

S’en suit « Escape », un passage plus pêchu qui va suivre la fuite de Raspoutine. Le tempo s’accélère, idoine au vu de l’urgence de la situation, le nécromancien étant proche de la mort car empoisonné pour ses méfaits.

By the light of the moon
You must escape into the deep black of the night
Fight the devil inside
Enemies poison deep within my second sight

Arrive une partie très intéressante avec un ping-pong vocal entre Brent Hinds & Troy Sanders qui représentent Raspoutine et notre protagoniste. D’un coté, «The Usurper » réussit sa quête d’assassinat du Tsar mais au prix de sa propre vie. Il meurt d’une balle dans la tête, que l'on peut comprendre via l'expression « Shattered Crown ». Cette ligne est aussi une métaphore pour désigner un régicide. De l’autre, nous avons le héros qui comprend la situation dans laquelle il se trouve. Il réalise que Raspoutine s’est sacrifié, faisant de lui un « martyr ».

Ride the tides of blood
Illumination
Beauties sudden hand
Shattered crown
Stretching arms up high
We’re on our way now
Leave the Czar to die

Les choses sont bien faites, puisque la troisième partie porte ce titre. On retombe dans une ambiance plus sombre, plus lente. Les claviers sont de retour pour signaler l’envol vers les cieux des deux âmes avec une partie vocale de Brent Hinds déchirante.

Spiraling up through the crack in the sky
Leaving material world behind
I see your face in constellations
The martyr is ending his life for mine

Arrive alors un sublime solo de Brent, puis une quatrième partie nommée « Spiral », qui revient sur le début de la chanson. Seule différence, l’ajout de nouvelles harmonies vocales pour donner encore plus de charme à cette fin. D’ailleurs, ces nouvelles voix sont celles de Brann Dailor et Brendan O’Brien, le producteur de l’album.

GHOST OF KARELIA

La face B attaque avec de petits coups de cymbales et un triangle, de quoi nous remettre de nos émotions après le chef-d’œuvre qu’est The Czar. Dès le début, on apprend que les deux protagonistes se retrouvent devant un Dieu/juge des morts. Les paroles parlent d’un crâne rempli de sang ou encore de 9 yeux. En recoupant, on peut donc s’imaginer que nos âmes sont devant Yama, dieu et juge des morts de la mythologie bouddhiste tibétaine, la première phrase se retrouvant même dans le Tibetan Book Of The Dead.

Wrathful ones nine eyes gaze
Holding skulls
Filled and laced
With human blood

Le jugement du Dieu va envoyer les âmes dans un endroit entre la Terre et le paradis, sauf qu’avec l’accompagnement musical autour, on se rend compte qu’il s’agit d’une épreuve à subir au cours de laquelle elles ne devront pas se laisser tomber. Si on veut continuer avec la musique, on peut signaler la présence d’un solo de guitare plutôt black metal, genre qui se prête idéalement aux allusions au satanisme et à l’occulte.

Between heaven and Earth
Wisdom and the knower
A planet collide
Divisible we fall

La fin de la chanson reboucle avec les premières paroles et la même instrumentation. Référence subtile au voyage dans l’éther et au cycle de la vie qui recommence, ce qui nous laisse penser que le protagoniste va réintégrer son enveloppe physique. Entre-temps, Raspoutine (Sinister Twin) affronte ses démons (Choking On Fear) et se rapproche de l’Enfer après l’apparition de ses démons passés.

Sinister twin
Choking on fear
Bonded iron
Sink to the core

CRACK THE SKYE

Les deux âmes ont traversé l’enfer et s’en sont sorties. Nous restons volontairement vagues sur cette chanson qui se verra être développée plus profondément dans la partie 2. Notez cependant qu’on retrouve l’habituel featuring de Scott Kelly sur ce titre et qu’il nous gratifie d’une prestation incroyable.

THE LAST BARON

Cette dernière chanson parle du voyage des deux âmes afin que celle du protagoniste retrouve son enveloppe physique. Cette dernière se sent affaiblie et fatiguée. Elle demande l’aide de Raspoutine.

Please, please take my hand
Please take my soul to rest
So we can always be around
It is hard to see
Through all the haze at the top of the trees
Hold my head on stable ground
Watch as the earth falls all around

Cependant, dans son trajet, notre personnage principal reste tiraillé entre les deux facettes de Raspoutine. Son côté diabolique et sorcier, mais aussi son côté sauveur. Il reste quand même en plein doute sur sa capacité à rentrer dans son corps.

I have no fear as your wing is my shelter
Cyanide he craves
Coursing through his veins
Providing him with strength
To see this to the end
Afraid of psychic eyes
Faith in mystic power
The last baron
The last baron
Will he save me?

On arrive au point central de cette chanson qui offre, via les paroles, un débat que les auditeurs continuent d'alimenter encore aujourd'hui. Plusieurs interprétations existent, le groupe ayant bien pris soin de laisser une fin ouverte. Tout se joue sur ces deux lignes répétées plusieurs fois.

I was standing staring at the world
And I can’t see it

Première théorie, l’âme est retournée dans son corps mais le personnage ne peut plus faire de voyages astraux, du fait de la disparition de son cordon depuis Oblivion. Il ne peut donc plus contempler le monde du fait de sa paralysie.

Deuxième théorie, l’âme retrouve son enveloppe, mais ses parents l’ayant cru mort, le personnage est enterré six pieds sous terre. Il est donc aveugle du fait de sa situation. Une théorie qui s’emboîte bien avec celle supposant que les sept titres de Crack The Skye sont les sept étapes du déni qu’une personne subit après un décès. The Last Baron serait l’étape de l’acceptation, poussant les parents de notre personnage à l’enterrer.

Crack The Skye est une œuvre complexe qui fait voyager son auditeur à travers ses thèmes mais aussi sa musique. Mais il cache une part bien plus sombre que nous allons détailler dans une deuxième partie.

Crack The Skye
Mastodon
"Crack The Skye"