Quand l’esprit se confronte à la glace
Dimanche 5 Mars 2023, j’ouvre les yeux au son de mon réveil, je m’habille et prends rapidement un petit-déjeuner. Mon esprit est déjà en ébullition, tant excité qu’il a du mal à réaliser. Ce n’est pas tous les jours que l’on va dans un glacier, encore moins pour suivre un artiste pour Soundbather.
Revenons un an en arrière.
Du froid de l’espace à celui des glaciers
En Mars 2022, je rencontrais Aurélien Buiron, artiste électronique ambient officiant sous le pseudonyme de Ghost In The Loop, afin de m’entretenir avec lui sur sa dernière sortie : Music For Liminal Spaces. Cela faisait un moment que je suivais cet artiste proche géographiquement de moi, me délectant de ses sessions lives dans des lieux et paysages que seule notre région Rhône-Alpes sait offrir.
Après notre interview, je continuais de suivre les projets de cet artiste pro-actif. La même année, il chercha notamment à repousser les limites de ses créations spontanées en espace naturel. Accompagné du vidéaste Hugo Preverand et du photographe Fabrice Buffart, Aurélien entreprit une expédition sur le site d’observation astrologique du plateau de Bure, guitare et pédales d’effets dans le sac. En résultera le 25 novembre 2022 l’EP Cold Space Symmetry, cinq titres d’improvisation ambient enregistrés et filmés sur place, offrant de superbes instants musicaux dans un cadre magnifique.
Je fus bluffé par la démarche du projet et de la qualité des productions. Ce processus créatif ajoute l'épreuve physique à l'audace de la performance one-shot. Ce n'est pas rien, nous avons là une démarche totale ! Mais il faut croire que les centaines de mètres de dénivelés n’ont pas refroidi Aurélien dans ses aventures en pleine nature, sans mauvais jeux de mots. Quelques mois plus tard, il dévoilera sur une story Instagram son prochain objectif : un glacier.
L’idée de voir l’approche de ce musicien dans un nouveau cadre aussi excitant m’emballe, et il me vient alors plein de questions sur le processus créatif et l’organisation d'une telle aventure. Que demande la préparation d'une telle expédition ? Le hasard étant ce qu’il est, je connais personnellement le vidéaste Hugo Preverand et lui avais déjà demandé de me raconter toute l’épopée du plateau de Bure. Au détour d’une conversation nocturne sur les projets à venir, me vient soudainement une idée : et si cette expédition, je la suivais avec Soundbather ?
Motivé par Hugo, je recontacte Aurélien pour lui faire part de l’idée. Deux jours plus tard, je fais officiellement partie de l’équipe, pour vous partager son périple.
Nous partons pour une aventure !
Dimanche 5 Mars, 13H38. Je retrouve Hugo chez lui à Chambéry, quelques dizaines de minutes en avance par rapport à l’heure convenue pour la réunion de l’équipe. “Est-ce que tu réalises la dinguerie qu’on va faire ? Il est prévu -16°C !!!” me déclare-t-il surexcité.
Si je réalise ? Pas vraiment. Pourtant nous y sommes : Il est 14H04, Aurélien et Fabrice arrivent, je les rencontre pour la première fois en vrai, et notre troupe est désormais complète.
“Quelle belle équipe ! Un musicien, un photographe, un vidéaste et une plume !” s’exclama Fabrice. Il n’a pas tort, Elrond serait fier d’une telle confrérie… s’il faisait de la musique ambient.
Après avoir méticuleusement déposé nos sacs dans le coffre, nous sommes prêts pour le départ. Notre destination : le val d’Anniviers, en Suisse.
Durant les trois heures de route nécessaires depuis la capitale savoyarde, les paysages défilent tandis que mes confrères échangent avec ferveur autour d'œuvres cinématographiques. Nous longeons le lac Léman en passant Montreux (en constatant l’absence de fumée sur ses eaux), avant de retrouver les paysages montagneux des Alpes suisses et d’arriver à 17H18 au village d'Anniviers, où se trouve notre gîte.
Après une courte balade dans la bourgade afin de profiter du cadre du val, ainsi que des charmantes habitations en bois, nous allons manger à notre gîte avant de préparer nos affaires pour le lendemain.
Si Fabrice et Hugo continuent leurs échanges cinématographiques, je passe de mon côté un moment avec Aurélien, très curieux de toute la préparation qu’implique un tel projet et de ses choix artistiques.
Si lors de son expédition dans le plateau de Bure, Aurélien avait une guitare et des pédales d’effets, son choix s’est porté ici sur divers synthétiseurs pour changer de la précédente expédition, mais aussi inspiré par la promesse de sons qu’il pourrait trouver dans la grotte où nous nous rendons :
Aurélien : Au début j’ai repéré le glacier car je voulais aller jouer dedans, puis je me suis dis que ça serait plus intéressant de faire évoluer mon concept. Plutôt que de juste jouer dans le glacier, si je pouvais en extraire des sons pour plus tard, mais aussi utiliser directement des sons du glacier dans mes productions le moment venu, ça serait carrément plus stimulant ! Je me suis penché sur des micros de contact étanches afin de pouvoir enregistrer les vibrations de l’eau, en plus de mon micro Zoom qui enregistrera les sons ambiants et la performance.
PaulBriff : En parlant de la performance, demain ton câblage se fera au feeling en fonction de l’instant ?
A : C’est ça, c’est un peu le risque ! Il ne faut pas que je me plante, et surtout que l’inspiration vienne. Mais ça va venir, c’est le but du jeu !
P : Tu me parlais de préparation lorsque tu étais au travail. Il s’agit d’une expédition, ce n’est pas uniquement comme lorsque l’on gère un projet musical dans un studio. Là, tu as un aspect physique et matériel à gérer, en plus du processus créatif. Du coup ta préparation sur ces deux points c’était comment ?
A : Pendant mes pauses déjeuner j'emmenais mon set up, complet ou juste une partie, et je me donnais 45min pour produire un morceau electro ambient. Peu importe ce que cela donnait, il fallait que ça soit fini. Et donc pendant deux semaines, tous les jours, je faisais un morceau.
P : Pour que cela devienne de plus en plus instinctif !
A : Oui, que je prenne des habitudes et que je sois de plus en plus efficace et spontané sur mes machines. J’ai aussi testé une partie du set up en nature la semaine dernière, afin de voir ce que rend l’hybridation entre les synthés et des sons de l’environnement, ça marche super bien !
P : Tu parles d’habitudes, là comme ça tu sais où tu vas aller demain ou c’est encore flou ?
A : Bah c’est ça le problème. J’ai beaucoup travaillé cette semaine, donc forcément j’ai pris une direction musicale. Mais peut-être que demain ça va complètement changer et je vais faire quelque chose de complètement différent. Je ne sais pas du tout où je vais demain. Je pense savoir ce sur quoi je vais m’orienter, mais peut-être que ça ne sera pas le résultat final.
P : Là on va aller dans un lieu nullement anodin, c’est une grotte, un milieu fermé qui peut être humide. Tu as déjà fait des tentatives en plein air pour t’habituer, mais y a-t-il des zones d'ombres ou des aspects sur lesquels tu te dis que tu pourrais avoir des difficultés liées au terrain ?
A : Ah bah là c’est le froid. Clairement. Je sais que les machines et batteries devraient tenir. Mais après, ça sera la surprise. Je n’ai jamais joué dans des conditions aussi extrêmes, je ne sais pas du tout comment les machines vont réagir, mais c’est ça aussi qui est intéressant ! Voir comment les machines vont peut-être souffrir, et exploiter aussi ces faiblesses s'il y en a. Je devrai faire avec ! On sera sur de grosses températures négatives, ça ne sera pas humide je pense. Je ne me fais pas trop de soucis là-dessus. On verra demain !
Tel un coureur préparant son marathon, Aurélien a méticuleusement pensé ce jour afin d’offrir le meilleur de lui-même, tout en laissant moult facteurs ouverts pour permettre de la spontanéité dans l’instant. Voilà qui promet !
Nous nous couchons à 22H, avec un réveil fixé à 6H du matin, la journée de demain sera longue et exigeante pour tous.
La grotte de Zinal
À quelques minutes de route d’Anniviers se trouve le village de Zinal. C’est son glacier qui nous intéresse et plus particulièrement une grotte de glace, accessible en randonnant.
Durant l’expédition, nous devons parcourir 11,5 km avec 450m de dénivelé environ. La montée est estimée à 2H30 et la descente 1H30. La température minimale annoncée était de -16°C, la maximale à -7°C, nous sommes vêtus le plus chaudement avec des sous-couches de rechange, dans le cas où la transpiration gagnerait nos vêtements et nous ferait subir encore plus le froid.
Nous avons de la chance, la météo a été excellente toute la semaine : la neige est tassée et gelée, il se trouve que nous n’aurons pas besoin de nos raquettes finalement. Ce qui nous allège et facilite soudainement la randonnée.
Il est 7H57, notre aventure débute enfin.
Fabrice et moi avançons sans mal, il faut dire que nous sommes bien plus légers que nos amis. Aurélien porte 20 kg de synthétiseurs sur lui, tout le matériel vidéo pour Hugo qui n’est pas loin du même poids. Avec seulement mon thermos, mes rations et mon carnet de notes, mon ascension n’a aucune mesure à la leur.
Cela n’arrête néanmoins pas la motivation et la bonne humeur de la troupe. Fabrice fait souvent des arrêts pour saisir des clichés, et les portions de randonnée que nous faisons tous ensemble sont riches en discussion sur ce que nous vivons… mais aussi en laisser-allers et en rires.
Au final, contrairement à ce qui a été annoncé, nous touchons au but après 1H51 de marche.
Alors que nous remontons toujours la vallée, je relève la tête et aperçois soudainement une masse bleue cyan jaillissant dans le paysage, qui ne cesse de grandir au fur et à mesure que nous nous en approchons. Après un moment de réalisation, c’est l’excitation qui me saisit face au tableau qui se dessine déjà.
C’est comme si on voyait la chair de la montagne.
La chair de la montagne
9H48, nous arrivons à la grotte de Zinal
Déjà, l’émerveillement. Le soleil ne baigne même pas dans la vallée et nous sommes bouche bée face à ces blocs de glace, lisses et doux. Une extase qui ne désemplie pas alors que nous nous enfonçons dans la grotte, peu profonde cette année. En effet, chaque été, les courants d’eau la remodèlent, permettant d’aller plus ou moins profondément en fonction des années.
Le son est déjà présent de part le bouillonnement apaisant qui se réverbère dans la grotte.
La chair bleutée de la glace est striée de bulles d’air figées, ces touches blanches apportant du mouvement et de la profondeur au sein même de la glace. Tous nos sens sont stimulés.
Clairement, ce lieu est un terrain de jeu pour du field recording (enregistrement de sons d'un environnement) et de la création vidéo. Ça tombe bien : notre équipe a la capacité d’en capturer toutes ses facettes. Hugo et Fabrice ne se sont pas fait prier : dès notre arrivée, notre photographe quadrille. Notre vidéaste, lui, attaque les rushs, les plans à potentiel ne cessant de s’imposer. Je me rapproche de lui, curieux de comprendre sa façon de travailler.
P : Sur ce projet, tu es encore responsable des images mouvantes. Quand on est arrivé la première chose que tu as dit, c’était : “Je vais faire des rushs”. Comment tu penses tes plans, tes rushs, ce que tu penses en faire ? Depuis que tu es arrivé, quelle est ton opération du travail ?
Hugo : Sur cette vidéo-là, on va essayer de travailler un peu différemment. Avant j’essayais de mettre très en valeur les décors, de faire un truc très soft, la vidéo la plus épurée et contemplative possible. Nos premières vidéos, on était en montagne, l’idée c’était de mettre en valeur la grandeur des décors, qu'Aurélien soit petit à l’image avec aussi des rushs où on voit qu’il joue, que c’est de la perf live, mais qu’il soit au milieu de la grandeur de tout ça. Donc mon idée, c’était de faire des plans fixes, composés comme des tableaux. De jouer sur les points de force, faire des plans très élégants, très esthétiques, qui se suffisent à eux-mêmes en quelque sorte. Après je faisais des montages très lents avec juste des petits fondus, qui suivent la musique.
En fonction des lieux de tournage, quand parfois je n’avais que deux caméras, on triche un petit peu en faisant des plans de coupe supplémentaires d'Aurélien vu de loin qui joue pour essayer de capter les plus beaux angles des lieux.
Donc là ça va être un peu la même approche, une capta live avec deux caméras. Je vais essayer de trouver le meilleur plan possible avec un grand angle pour bien voir toute l’ampleur de la grotte, Aurélien au milieu, qu’il y ait quelque chose d’un peu spectaculaire !
H : Après je vais me mettre avec un 50mm (ou peut-être grand angle, j’hésite encore) au stabilisateur pour pouvoir tourner autour d’Aurel, faire quelque chose d’un petit peu plus dynamique. Je vais très certainement faire des plans de coupe supplémentaires si la lumière ne bouge pas entretemps. Et là l’idée c’est aussi de profiter du détail des décors, s’attarder sur la glace, les roches. D’aller faire un montage un peu plus dynamique en allant ponctuer la performance d’image du glacier.
P : Donc si je comprends bien, ton objectif, c’est de trouver les bons angles fixes pour garder cette base contemplative, mais avec les rushs que tu prends de l’environnement et ceux au stabilisateur, essayer de plus transmettre l'énergie et l’ambiance ?
H : Oui, rendre cette ambiance assez apaisée de la grotte. Et puis je suis de base fasciné par la glace, tous ces petits détails, de l’eau, des bulles, de la transparence, de la lumière...
P : Donc dans cette vidéo, c’est pas juste Aurélien au centre avec de la musique, vous allez essayer de mettre autant en avant le lieu ?
H : Exactement, ça a toujours été l’idée dans les vidéos, mais là, plus que jamais. Habituellement c’est un paysage. Là tu vois il y a du détail. Il y a un intérêt à aller chercher les mouvements de l’eau… Alors qu’un caillou ou un nuage non.
P : Si le soleil fait des changements de lumière, ça te pose un problème ?
H : Pendant la performance oui, car ça voudra dire que ce sera plus difficile de faire des plans de coupe après pour les intégrer. Par contre, si la lumière est stable pendant la performance, je vais pouvoir faire des plans de coupe après. Et les inserts, si la lumière change, c’est pas spécialement dérangeant. Voilà, ça va être très chouette !
Alors que nous parlons, Aurélien s’installe. Un spot est idéal : un morceau de roche sort de la glace, formant un pupitre à même le sol, sur lequel le musicien place son ensemble.
10H33 : Allumage du set up et de ses couleurs
Vous êtes impressionnés par tous ces boutons et ces lumières ? Pas de panique, vulgarisons tout cela.
Non mais j’vous jure, c’est pas si compliqué !
Si la connaissance du matériel de Ghost In The Loop vous indiffère, vous pouvez sauter au prochain chapitre.
Si jamais vous avez peur d’être perdu·e·s, sachez que je vais m’efforcer d’être le plus clair possible !
Les synthétiseurs, il en existe une tripotée. Digitaux, analogiques, modulaires, contrôleurs… L’intérêt est de se créer son petit écosystème de technologie et de manipulation du son. Mais pour faire au plus simple, dans le set up de Ghost In The Loop, il y a les synthés qui peuvent contrôler des sons (ordonner leur apparition, varier les notes, etc), et certains qui vont en être les producteurs, la matière première.
Tout à droite, vous avez le Medusa de Polyend, un synthé hybride entre analogique et digital, qui va fournir des notes produites par ses oscillateurs (c’est au synthé ce que la corde est à la guitare ou au violon). Trois de ces oscillateurs sont digitaux (le son vient d’un programme, donc fiable dès l’allumage), et trois autres sont analogiques (ce sont des composants électroniques qui vont créer le son).
Aurélien souligne qu’une partie des mystères de la session concerne les oscillateurs analogiques qu’il va utiliser : “Comme je joue dans des conditions extrêmes, il est possible que le froid altère la stabilité des oscillateurs analogiques, mais ça peut aussi amener un rendu intéressant, qui sait !”
Ce synthé passe dans la pédale d’effets Nocturnal des français de Collision Devices. Trois effets en un, un délai, un tremolo, et une reverb. Sa mission : donner plus d’espace et de poids au Medusa en ajoutant de l’espace au son avec la reverb.
Au centre se tient le cerveau de l’opération, le Deluge de Synthstorm. C’est le contrôleur du set up d’Aurélien : Ce synthé va envoyer des signaux aux autres afin de déclencher les sons, la hauteur des notes, et la gamme utilisée… Ainsi, le Deluge va permettre au Medusa et au modulaire d’être juste et les faire jouer conjointement. Certains pads numériques pourront également être joués sur ce petit couteau suisse.
Passons sur le troisième et dernier synthétiseur de ce set up : le modulaire.
Un modulaire (ou Eurorack), c’est un synthé à composer soit-même, avec des petites pièces à part qui rempliront chacune des fonctions : des modules. Certains seront source de sons, de contrôle, d’effets… Ainsi, on peut se créer un synthé sur mesure selon nos envies . Voyons ensemble les quatre modules clefs de celui d’Aurélien, nous aurons besoin d’un petit zoom sur ce second schéma :
Rangoon et Monsoon : Petit moment histoire, une des marques cultes du monde des modulaires, Mutable Instruments, s’est arrêtée en 2022. Sa créatrice Émilie Gillet eut la classe de laisser en libre accès tous les codes de ses instruments. Ainsi, ces deux modules de Big T Music sont des inspirations de deux modules classiques.
Rangoon s’inspire de Rings, un module basé sur un résonateur qui, lorsqu’il sera commandé par le Deluge, créera des sons similaires à des cordes pincées.
Monsoon s’inspire de Clouds, un effet de reverb et de granulation (créer un amas de sample audio aussi petit que des grains) afin d’apporter des textures et de la spatialisation.
Ochd : Ce module de Instruo fournit des LFO (pour Low Frenquency Oscillator). Dans le joyeux monde de la synthèse, on se sert de l’onde d’un LFO pour contrôler des paramètres. Pour faire le plus simple possible : imaginez qu’un LFO est une main invisible qui va remplacer la nôtre pour bouger les potards du paramètre sur lequel il est branché, à la vitesse ou l’onde du LFO oscille.
Zoia : Voyez ce module de Empress comme un petit ordinateur qui sait tout faire, pour les personnes passant assez de temps pour le programmer. Aujourd’hui, Aurélien s’en sert comme d’un ampli pour les micro hydrophones, des LFO, d’un séquenceur pour contrôler Rangoon, d’une source d’effets pour faire du sound design… Une usine à gaz, voire nucléaire.
Ces quatre modules interagissent entre eux en fonction des choix d’Aurélien et de son câblage.
Enfin, tout ce beau monde que vous voyez sur la photo atterrit dans l’enregistreur Zoom H6, qui va capturer la performance, ainsi que les sons d’ambiance du glacier avec le micro !
Des performances figées sous un toit de glace
Tristement, il ne sera pas possible d’entendre la performance brute sur l’instant. Seule l’imagination sera à l'œuvre durant l’enregistrement… Mais j’ai un peu plus de chance que mes confrères : Aurélien me fait écouter et m’explique les étapes clefs au fur et à mesure de son inspiration durant l’installation.
J’entends le musicien freezer un son avec le Mangoon (autrement dit il enregistre un court instant sonore qui se trouve automatiquement bouclé de sorte à produire une longue nappe sonore), lancer une première séquence du Deluge dans le Medusa, avant de faire venir une séquence dans le Rangoon, pour ajouter des pads avec le Deluge pour ajouter quelques notes sur le pinacle de la construction de ce moment, et toujours, la présence des bruits du glacier captés par le Zoom.
La construction du morceau est déjà prenante, articulée et naturelle. Reste à voir ce qui arrivera lors de la prise. Cela ne semble pas stresser Aurélien qui n’a cessé d’être décontracté tout du long de la journée. “Serein !” se déclare-t-il.
Il est 11h49, c’est le lancement du 1er morceau et de sa captation live.
Aurélien se penche sur son set up, concentré, ses mains naviguent sur les potards de son modulaire. Je m’imagine les différentes étapes qu’il m'a décrites et fait écouter. Nous, nous n’avons que le remou permanent du glacier. À un moment, sa tête marque un rythme : sa séquence est lancée. Quelques minutes défilent encore avant qu’il ne marque l’arrêt de la performance.
Au final, sur les encouragements de Hugo et Fabrice, une seconde prise se décide pour multiplier les plans et tenter d’avoir une performance plus vivante. Objectif dynamisme !
La 2ème prise débute à 11H54. Il se permet plus de mouvements, marquant bien plus les variations de sa partition avec son corps. La prise semble plus longue, Aurélien se permet de revenir sur ses synthés. Je devine qu’il se laisse encore plus aller et densifie cette proposition de ce morceau. Après 6 min, le musicien se relève le sourire aux lèvres. Cette performance, vous pouvez l’écouter depuis le 8 Septembre sous le nom “Le Chant De La Glace".
Ce premier morceau dans la boîte, nous prenons le temps de partager un pique-nique, riche en rires et en extase face à la beauté de la grotte. Il faut dire que nous le serons tout du long de l’après-midi, tellement ce lieu dégage une aura unique.
Après ce break agréable, Aurélien change de place dans la grotte et se rapproche du ruisseau. Il branche deux micros étanches dans son synthé modulaire avant de les placer dans l’eau. Je m’approche de lui, curieux.
P : Donc là, pour ce second morceau, tu me disais que tu pensais tenter des expérimentations axées sound design ?
A : Complètement.
P : Tu viens de mettre les micros hydrophones dans le courant, tu captes les vibrations directement ?
A : Ça enregistre ce qui se passe dans l’eau. Une partie du signal va dans le module d’effets, pour ajouter un peu de reverb, de texture, de filtre… L’autre va dans le module “rings” qui génère des sons déclenchés par les variations d‘eau. Le séquenceur permet de changer les notes en fonction. Tout est mélangé de par cette association. Regarde, prends le casque !
*Il me fait écouter*
A : Ce que tu entends, c’est la rivière du glacier qui joue de la musique !
P : Dès que tu as un niveau de signal qui est assez fort provenant des micros, ça déclenche la note qui est générée aléatoirement par Zoia sur une gamme ?
A : Ouais, que j’ai choisie en fonction du moment. Et là, je vais ajouter le Medusa qui va ajouter des drones basses fréquences.
Un énorme sourire me vient spontanément sur le visage. Dans mes oreilles, il y a autant le remou sourd de l’eau qui coule, que des mélodies qui apparaissent ponctuellement. Et les basses fréquences du Medusa qui sont densifiées par la reverb de la pédale Nocturnal. Cela m’évoque une sorte de bouillon de sons : à l’écoute, on se sent noyé d’informations constamment, comme si on était immergé. La sensation d’un cocon sonore est plus que présente. C’est fascinant de ressentir autant le côté naturel de l’eau que l’apparition de tous ces éléments synthétiques, il y a une association poétique, presque magique : Aurélien fait chanter le glacier, il utilise la technologie pour le laisser s’exprimer !
L’enregistrement audio et vidéo débute à 14H01. Cet instant entre le musicien et le glacier, vous pouvez le regarder et l’écouter depuis le 11 Août 2023, sous le nom de “L’imaginaire Des Glaciers”.
Un jour je serai le meilleur Field Recorder
Ce one-shot réalisé, nous ne laissons pas tomber le rythme. Il nous reste un petit peu moins de 2H pour collecter des sons du glacier ! En effet, si deux performances brutes sont réalisées, le second objectif est de capturer le plus de sons afin de permettre à Aurélien de réaliser depuis son studio d’autres morceaux basés sur ces samples.
Le musicien s'affaire, utilise les micros hydrophones dans son modulaire pour capturer des sons et faire du sound design à la volée. Hugo et moi nous prenons au jeu, explorant les alentours pour lui suggérer des idées de sons que nous repérons. Puis, c’est le micro Zoom qui parle. À tour de rôle, nous capturons des sons bruts du glacier : ses courants, le son d’un stylo frappant la glace, ou l’un de nous utilisant un tronc d'arbre pour faire bras de levier et capturer les grincements du solide qui se tord.
Il y a une belle émulation entre nous, à vouloir trouver les sons les plus singuliers, ceux qu’on n’a pas encore eus, de capturer soniquement les possibles de la grotte. C’est comme chasser des Pokémon rares, mais avec des micros à la place des pokéballs !
Mais le temps passe, et il est temps pour nous d’éteindre les GameBoy (sans oublier de sauvegarder bien évidemment).
Sortir de sa grotte
Il est 15h54, et nous tournons le dos au glacier pour entamer notre descente, sans pouvoir nous empêcher des regards en arrière pour admirer encore la chair de la montagne pour quelques fugaces secondes. L’ambiance est joviale, tant a été vécu et accompli en quelques heures là-bas, nous savourons les dernières minutes en plein air avant de revenir à la civilisation.
Nous arrivons à 17H20 à la voiture. Le temps de boire un dernier thermos, de manger une barre de céréales et de charger nos affaires, nous entamons le retour vers Chambéry, où tout a commencé la veille. Dans la voiture en tout cas, la joie et l’émerveillement général se maintiennent.
P : Messieurs, nous l’avons fait ! Comment avez-vous vécu l’expérience, la journée ?
A : Extrêmement content ! De ce que j’ai fait, de ce que vous avez fait, ça s’est super bien passé ! Hâte de voir ce que ça rendra au final, très heureux !
F : Super site, super équipe, de quoi flatter l'œil dans divers endroits et thèmes. Hâte de dérusher !
H : Pareil, c’était fabuleux, des plans de coupe splendides à gogo, un peu tendu niveau lumière, mais je pense que le résultat sera très bon ! Je n’ai jamais vu un endroit aussi beau de toute ma vie !
Et en même temps, il y a de quoi. Les images de cette journée résonnent encore à ce jour dans ma mémoire, d’autant qu’elles ont été ravivées moult fois des mois durant en recevant petit à petit les superbes photos de Fabrice, qui jonchent ce dossier que vous parcourez. J’ai ressenti un réel privilège d’avoir eu la possibilité de témoigner d’un processus créatif si singulier, d’avoir eu la chance d’écouter directement dans les synthés d’Aurélien afin de me projeter dans ce qu’il allait faire… Il ne reste maintenant plus qu'à lui laisser le temps, de rêver du résultat, et de se laisser surprendre.
Après de chaleureux au revoir sur le pavillon d’Hugo, j’ai à mon tour pris le volant, seul.
Il est minuit, je suis arrivé chez moi, je prends une rapide douche et vais me coucher. Difficile de se dire que dans quelques heures je serai au travail. Difficile de dire que je vais m’endormir, quand j’ai l’impression de rêver depuis 48H. Je suis d’autant plus heureux de savoir que le fantôme de cette journée se retrouvera sur bande, à boucler pour le plaisir de nos yeux et de nos oreilles !
Post Scriptum
Si cette aventure vous a plu, et si vous avez été conquis·e·s par les deux vidéos réalisées par Hugo, et surtout de la démarche et la musique de Ghost In The Loop, vous pouvez retrouver l'album "Le Chant De La Glace" en précommande dans une superbe édition vinyle bleue translucide limitée à 100 exemplaires sur Diggers Factory.
Enfin, je laisse les dernières lignes de ce carnet de voyage à l'homme derrière cette expédition et ces morceaux, Aurélien Buiron.
Je tiens à remercier chaleureusement :
- Anne et Alexandre de Mare Nostrum Label pour leur confiance, leur soutien et leur patience qui m'ont permis de mener à bien ces projets ambitieux et uniques.
- Mes chers amis Hugo Preverand et Fabrice Buffart, qui ont été des soutiens indéfectibles depuis le début de ces expéditions exigeantes. Pour leur professionnalisme et leur dévouement dans la création de ces vidéos.
- Paul Briffoteau pour avoir accompagné et documenté notre expédition avec passion pendant ces deux jours.
- Robert Klein, le guide de "Into The Nature", pour ses conseils, ses indications et ses cartes d'accès au glacier.
- Krys Optique Ch. Marin, notre sponsor, pour avoir financé en partie ce projet.
- Myvolts pour ses dons de matériel et l’aide qu’ils m’ont apportés depuis les débuts.
- Ma femme et l'amour de ma vie, Cindy, pour son soutien quotidien.
Et enfin, un grand merci à tous ceux qui écoutent, partagent et achètent ma musique, ainsi qu'à ceux qui regardent, aiment et commentent mes vidéos. Votre soutien compte énormément et fait toute la différence.
- Rôle(s) : Synthétiseur, Guitare
- Pays : France