Doodseskader : "Le jour où je ferai des chansons d'amour, c'est que j'y serai arrivé"

Discussion sur le futur et le passé d'un groupe prometteur

En août 2024, Soundbather s'est rendu au Royaume-Uni dans le cadre du mythique festival ArcTanGent qui fêtait sa dixième bougie. À l'affiche se trouvaient certains groupes qui ont accepté de répondre à nos questions quant à leur présence sur le festival ainsi que pour parler de leur actualité musicale !

Aujourd'hui nous vous présentons l'interview de Tim & Sigfried, les deux membres de Doodseskader, traduction littérale d"'Escouade de la mort" en flamand. Le duo mélangeant post-hardcore et hip-hop est venu se poser avec nous pour parler de leur premier concert en Angleterre et de ce qu'ils préparent pour la fin d'année et de ce qui suivra ensuite.

NDLR : Ce que vous allez lire est une retranscription d'une interview audio, certaines phrases peuvent avoir été modifiées à la retranscription pour le confort de votre lecture, mais aucun propos n'a été déformé.

Soundbather : Bonjour Tim & Sigfried et merci à vous de m'accorder cette interview ! Le concert qui vient de se dérouler était donc votre premier festival anglais et même votre tout premier show au Royaume-Uni. Comment ça s'est passé pour vous? Avez-vous bien aimé cette prestation ?

Tim De Gieter : C'était dingue ! On n'aurait jamais cru voir autant de monde pour notre premier show en Angleterre. Il y avait beaucoup de personnes alors qu’il y avait d’autres groupes qui jouaient en même temps. On se disait que s'il n’y avait que 5 personnes qui venaient nous voir jouer, ce serait déjà très bien ! On a passé un super moment, j’ai trouvé le public anglais super réceptif.

SB : Dans la fosse, ça chantait beaucoup les paroles ! Notamment celles de Pastel Prison et ce malgré le côté très sombre de celles-ci. Comment préparez-vous un concert de Doodseskader et comment vous sentez-vous avant de monter sur scène ?

Sigfried Burroughs : Ça dépend de la semaine et de notre vécu, même juste avant le concert aussi, ça dépend des gens, c’est eux qui participent à l’ambiance.

Tim : Parfois on commence et l'ambiance est sombre mais le public est très vif. Dans ce cas-là, nous sommes plus combattants.

Sigfried : Totalement, aujourd’hui j'étais en forme j'avais envie de tout retourner ! On a changé le set récemment, il y a beaucoup de nouveautés qu’on a présentées au public, et même avec un set de 30minutes, ça nous donne une autre énergie qui nous fait du bien.

SB : Ce court concert s’est déroulé sur la plus petite scène du festival, est-ce que cela vous a convenu ?

Tim : Bien sûr ! 30 minutes c’est mieux que de ne pas jouer du tout ! Et pour un petit groupe belge comme nous qui n’existe que depuis 3 ans, c'est déjà une chance formidable. Peu importe le jour ou si le public est présent. S'il y a une ou trois personnes qui ressentent la même chose que nous, notre objectif est accompli.

Pour nous, il ne nous faut pas une scène immense ou que sais-je encore. Il nous faut juste des gens qui veulent nous accorder une chance, ça on l'a eu aujourd'hui et c'était super cool.

Sigfried : On essaie tout le temps de donner le plus possible de nous-mêmes qu’importe où on joue.

SB : La grosse nouvelle pour vous, c’est la tournée avec Alcest et Svalbard qui se déroulera en fin d’année. Vous aurez l’opportunité de jouer dans de très belles salles ! Comment préparez-vous cet événement même si elle n’aura lieu que dans plusieurs mois ?

Tim : C'est une opportunité surtout au niveau humain qui fait beaucoup de sens pour nous, j'ai déjà joué avec Alcest en tant que bassiste d'Amenra. Mais ce qui me fait envie sur cette tournée, c'est la beauté des salles ! On va jouer à l‘Olympia, on ne va pas le nier, c'est un rêve d’enfant qui se concrétise. Ils (Alcest) nous accordent une chance tellement grande !

Mais je pense que nous tous, on fait de la musique pour la même raison, la forme est différente et ça c'est quelque chose qui me rend heureux. Le plateau est très large en termes de styles musicaux, mais nous avons tous le même état d’esprit.

455680751_1026970286102613_8631482542867127052_n Doodseskader devant le public anglais de l'ArcTanGent @Diana Lungu

SB : Tim, tu vas jouer avec Amenra dans quelques heures sur le festival, qu'est-ce que ça fait de jouer avec deux groupes sur la même journée ? Bien que sombre également, la musique d'Amenra est très différente de celle de Doodseskader.

Tim : C’est cool comme question ! Je pense que peu importe le groupe, notre approche est la même pour nous deux et c'est pour ça qu’avec Sigfried, on fonctionne si bien ensemble parce qu'on essaie de se donner à 1000% et de vraiment être dedans.

Je joue de mes émotions et j'essaie d'en faire un véhicule parce que je ressens autant d'embarras à jouer avec Amenra que dans Doodseskader et je suppose que pour toi, Sigfried, c'est pareil.

Sigfried : Je cherche principalement de l’énergie dans ce que je compose. J'écoute beaucoup de trucs mais ce que je retiens ce sont ces émotions que je recherche et je les réécoute en boucle après ! Ça demande une certaine ouverture d’esprit d’aimer les choses très abruptes. Et j’ai besoin de personnes dans ce même état. C’est pour ça qu’on essaye d’être autant extrême avec Doodseskader.

Tim : Ça permet de se perdre dans la musique et de se retrouver dedans en même temps.

Sigfried : En effet, et pas que dans la musique, ça englobe aussi tous ceux qui arriveront à se perdre dans notre énergie et notre approche ! Notre évolution fait que ce n’est pas abordable pour tous, car je suis beaucoup alimenté par ces émotions, qui sont bien souvent de la haine ou de la colère. Mais quand on crée quelque chose et qu’on réussit à plaire à des gens, c’est quelque chose de nouveau pour moi.

"Les "Year" sont des documents. La grande espérance est qu’après Year Four, nous aurons eu le temps pour définir un style et un état d'esprit où on ira vraiment bien."

SB : Dans le New Noise de Janvier/Février 2024 , vous disiez avoir passé des moments compliqués pendant l’écriture de Year Two. Tu avais même dit, Tim, que 2022 était pour toi une des pires années que tu aies vécu. Cela se ressent dans vos chants et dans les paroles traitant de certains de vos traumatismes. Comment vous sentez-vous maintenant ? Est-ce qu’il y’a un côté cathartique dans la musique de Doodseskader ?

Tim : C'est complexe en fait car nous sommes actuellement en studio en train de terminer Year Three. Et je pensais que j’allais avoir ce côté cathartique dont tu parles, que j'allais me sentir mieux si je mettais mes tripes dedans et je pense que ça a été le cas pendant un moment. Maintenant, j'ai beaucoup de mal à savoir si je vais vraiment mieux aujourd’hui. Je me dit que je suis en train d’aller dans le bon sens même si je ne sais pas quand sera l’arrivée.

Je dois continuer mon travail, car je dois être honnête là-dessus, je ne me sens pas bien en ce moment. Et ce sentiment sera encore plus concret dans Year Three parce qu'il y aura encore moins de filtres. Mais maintenant je veux vraiment aller jusqu’au bout pour savoir si je peux aller mieux sur la finalité. J'ai 35 ans, j'ai vécu une jeunesse qui est complexe et je suis arrivé dans un monde où j'aime tout ce que je fais.

J'aime rencontrer des gens. J'aime parler avec eux et qu’ils m'accordent un espace. Je peux être moi-même, ce qui est beaucoup plus que ce que j'aurais pu penser obtenir quand j'avais 20 ans. Par contre, je ne sais pas comment être heureux et accepter ma situation.

J’ai toujours dit vouloir faire des chansons d’amour ambiance “Baby I Love You” car j’ai ça en moi. J’écoute beaucoup de R’n’B et j’aime profondément ce genre de chansons. Par contre je n’ai pas les émotions pour en faire aujourd’hui, donc je ne peux pas faire semblant. J'ai cette positivité dans ma vie de me dire qu’un jour je le ferai et que je pourrai véhiculer ça aussi dans ma musique. Donc croisons les doigts.

Sigfried : Je pense que Tim est sur la bonne voie, je vois le changement dans son écriture et dans sa manière de parler. C’est pas flagrant mais je sens une nouveauté !

Tim : C'est un processus complexe, parce que j'ai parfois honte de moi-même de ressentir mes émotions. Il y a des moments où je ne veux pas les partager, car je pense que tout le monde a cette envie qu’on soit perçu comme un gars cool et pas comme quelqu’un qui va mal ! Je ne veux pas dire que je me hais mais je ne suis pas fan de moi-même pour l'instant mais je travaille très fort sur ce sujet.

SB : Vous disiez aussi dans cette interview que vous étiez sur la composition de Year Three et qu’il vous plaisait plus que Year Two, là où sur celui-ci, vous vouliez jeter tout ce qui est sorti et tout recommencer !

Tim : C’est surtout un ressenti différent ! Là où avec Year One, le message c’était : “je vais me battre”, quand je suis sorti de la composition de Year Two, je voulais en finir avec cet album. La surprise avec Year Three c’est que j’ai commencé à écrire et je pensais que ça allait être le disque où j'espérais dire que je vais mieux et transmettre mon message à tout le monde qu’on peut aller bien ! Puis j'ai lu ce que j'ai écrit et je me suis dit que mes problèmes ne sont pas encore résolus.

Aujourd’hui, je regarde Year Two avec beaucoup d'amour car il a été mon premier pas pour me dire : “j'ai essayé d’aller mieux et ça n’a pas fonctionné car j'ai l'impression qu’il y a une partie de moi qui est endommagée et que je n’arrive pas à la réparer”.

On ne va pas trop en dévoiler sur Year Three, mais ce sera l’album qui nous ressemblera le plus. Mais j'aime toute la discographie, je n’ai pas l'impression d’avoir fait de faux pas. Par exemple sur Year One, on n’a jamais joué Less of Everything, alors que j’aime la chanson, mais le contenu est trop lourd pour être joué en live car je vais revivre son écriture qui s'est déroulée dans une période sombre pour moi.Je ne veux pas que le public me voit dans un état pareil.

Mais ça reste honnête avec moi même et ce sont des trucs pour lesquels j'ai un énorme amour pour ça. Les deux premiers albums de Doodseskader sont les travaux dont je suis le plus fier de ma vie car ils nous représentent au maximum.

SB : Vos albums définissent votre état d’esprit sur une année donc..

Tim : Oui, les Year sont des documents. La grande espérance est qu’après Year Four, nous aurons eu le temps de faire nos cinq années pour définir un style et un état d'esprit où on ira vraiment bien. Donc il nous reste deux Year, et j'espère vraiment de tout mon cœur y réussir. Et qu’après Year Four, ce sera le jour où je ne composerai plus que des chansons d’amour, cela prouvera que j’y serai arrivé.

SB : Pour finir, je vous laisse le micro si vous avez des recommandations pour nos lecteurs, où si vous voulez inciter les gens à venir vous voir avec Alcest et Svalbard, c’est à vous !

Tim : Ce n’est pas dit que tout ce qu’on va recommander sera apprécié ! *rires*

Je peux recommander un truc de niche, ça s'appelle Fuck Leeches, c’est un français et sa musique me fascine. Il se décrit lui-même comme faisant de la techno mais avec un contenu lyrique. C’est vraiment à écouter et à vivre chez soi avec un casque la nuit sur la terrasse avec une clope ou alors en route pour une soirée ! Bonne chance en tout cas !

Sigfried : Pour moi, c'est Tim qui m'a fait découvrir. C'est Wallace Cleaver, j’ai téléchargé ça sur mon téléphone et je l’écoute tout le temps toute la journée. Je peux même pleurer en pensant à sa musique. C’est un des plus beaux trucs que je peux écouter actuellement !

Tim : Il faut que tous les Français le protègent car il n’est pas encore trop connu et dans 50 ans on va regarder ce gars et on va dire que ce sera le Baudelaire de notre génération.

SB : Merci pour ces recommandations et merci pour cette interview !

Merci à toi !

image_2024-09-08_001948224 Tournée d'Alcest avec Svalbard et Doodseskader en premières parties, date à l'Olympia le 6 Décembre 2024

Remerciements tout particuliers à Clément de Vous Connaissez ? et Hayley de Good As Gold.

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