Tangerine : "Il faut le plus possible ne plus rester spectateur.ice de ce qui se passe, mais en devenir acteur.ice"

Sacha x Kelly : Un croisement détonnant !

Tout juste auréolés de leurs 1000 abonné.e.s, Kelly Le Guen et Sacha Lebas, fondateurs de la chaîne Youtube Tangerine, ont eu la gentillesse de répondre à nos questions. On y évoque la création de la chaîne, leur parcours ainsi que leur implication concernant les sujets brûlants autour des scènes rock & metal.

Soundbather : Salut Tangerine, première question, comment allez-vous ?

Tangerine : Pas mal ! On reprend doucement le rythme des vidéos avec la rentrée ! Beaucoup de travail nous attend mais on a plein d’idées, donc c’est cool ! En plus, on vient de passer le cap des 1000 abonné.e.s, c’est très encourageant !

SB : Pourquoi d’ailleurs ce nom de Tangerine ?

Tangerine : Plusieurs raisons, et aujourd’hui on va te donner celle-là : on est tous les deux très fans de Led Zeppelin.

SB : Comment vous êtes-vous rencontrés et qu’est-ce qui a fait que vous avez créé cette chaîne ?

Tangerine : On était à la fac ensemble ! Pendant deux ans, on a étudié dans la même classe. On s’est bien entendu notamment parce qu’on avait pas mal de goûts musicaux en commun. Après ça, on est restés en contact, et puis un jour j’ai (Kelly) écrit à Sacha parce que j’avais envie de faire de la vidéo, mais je n’avais pas envie de faire ça toute seule (je me serais vite ennuyée). Et là, bingo, Sacha me dit qu’il avait exactement la même envie ! On avait tous les deux besoin d’un espace où parler de ce qui nous passionne de manière indépendante et sans restrictions autres que les nôtres. Je travaille déjà en tant que journaliste dans la musique, format papier, et j’adore ça, mais chaque magazine a son lot de règles et formats à respecter. Et puis, sur papier, quand y a plus de place, bah y a plus de place ! Là, on fait un peu ce qu’on veut. Il y a toujours la limite de ce qui est montrable sur YouTube, ainsi que quelques limitations techniques, mais ça laisse quand même énormément de marge de manœuvre.

SB : Vous êtes tous les deux dans le journalisme. Est-ce que vous avez suivi un cursus classique ou est-ce que vous avez fait vos armes de votre côté avant de rejoindre des magazines/tv etc ?

Kelly : Les deux, pour ma part ! J’ai fait des études de journalisme (d’abord en info-com, où j’ai rencontré Sacha, puis en journalisme multimédia) qui m’ont formée à être… Journaliste. Pour la spécialisation en musique, j’ai dû bosser de mon côté. J’ai écrit bénévolement dans plusieurs webzines musicaux en parallèle de mes études, ce qui m’a permis de me mettre en situation, de connaître le milieu, son fonctionnement, de me faire des contacts… Et puis bien sûr j’ai fait énormément de recherches sur le sujet !

Sacha : Un peu des deux aussi ! J’ai fait 2 ans avec Kelly en info-com journalisme, ensuite je me suis spécialisé en industries culturelles et créatives et puis j’ai fini par un cursus en média TV. Après, la musique, j’ai toujours baigné dedans en me disant que je garderais ça sur le côté comme hobby personnel, et au fur et à mesure, ça a pris une place tellement importante dans ma vie que je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de ce savoir.

Carré-instagram.jpg Sacha Lebas (gauche) & Kelly Le Guen (droite) de Tangerine

SB : On sait que c’est difficile de parler de musique sur Youtube avec les DMCA etc. Est-ce que ça a pu vous freiner un temps avant de vous lancer ?

Tangerine : Oui et non. Disons qu’on en a conscience, et que parfois on fait ce qu’on peut pour qu’un contenu passe (choisir un morceau plutôt qu’un autre par exemple). Mais sur certains cas, malheureusement, on ne peut rien faire, et il faut juste accepter le risque qu’une vidéo soit démonétisée voire bloquée. Ça fait chier, et il y a clairement un gros problème de gestion du droit d’auteur sur YouTube, mais il faut bien faire avec. On a déjà eu des choses assez embêtantes, des vidéos bloquées avant même qu’on puisse la publier. Il faut savoir qu’il y a, à la fois, un contrôle des droits sur l’audio (les morceaux diffusés) et la vidéo (clips, concerts…), ce qui évidemment multiplie les problèmes. Après, pour nous, la démonétisation ce n’est pas vraiment un souci, notre chaîne n’a jamais été axée sur un modèle économique de rentabilité. Mais il faut que la vidéo puisse sortir.

Il y a des moments où c’est compréhensible. Par exemple pour les lives on a eu de la démonétisation sur des petits groupes. Ça veut dire que la vidéo reste en ligne mais que l’argent généré par les pubs va au label du petit groupe en question, donc ce n’est pas une mauvaise chose ! Ça signifie que quelque part on participe au développement de ces groupes en leur rapportant un peu de sous à hauteur de 300/400 vues (ce qui n’est pas énorme non plus), c’est bien pour eux.

Après, il y a un vrai souci de communication avec YouTube là-dessus. Théoriquement on pourrait imaginer payer la SACEM chaque mois pour être un peu plus libre de diffuser de la musique, mais la plateforme ne répond pas sur ces questions.

SB : Comment se passe un tournage à la Tangerine Corp ?

Tangerine : On se retrouve sur le lieu où on commence par installer le matériel : le fond vert, les lumières, la caméra… Ensuite, pendant que l’un est derrière la caméra, l’autre fait ses prises, et puis on échange. Les textes sont toujours prêts à l’avance, avec quelques ajustements le jour J au besoin. En général, on est assez efficaces, même si bien sûr certains textes sont plus faciles à retenir que d’autres ! On a eu quelques ratés (en témoigne le bêtisier de la vidéo des 1000 abonné.e.s), mais à part ça on a plus ou moins la même méthode depuis le début.

Le rock n’est plus le genre le plus populaire, et la scène rock française est bien modeste comparée à d’autres pays.

SB : On sait que vous avez des vidéos où seul un membre est face cam, comment vous décidez de quel sujet est traité par quelle personne ?

Tangerine : C’est tout simple : les sujets sur lesquels on a tous les deux des trucs à dire (la plupart) sont faits à deux, et sinon, c’est la personne qui a eu l’idée/l’envie qui en parle ! Par exemple, il y a des sujets sur des groupes que Kelly va préférer faire et d’autres sur lesquels Sacha va être plus à même de proposer du contenu. Là-dessus on a beaucoup de chance, on est vraiment complémentaires.

SB : Qui a décidé des affiches dans le fond vert et du coup pourquoi ces choix ?

Tangerine : Au début de la chaîne, on avait un fond avec des étagères de vinyles, qui était sympa mais pas hyper fun. On voulait un truc plus perso, plus coloré, plus esthétique. À la base, on avait pensé installer un décor permanent et arrêter le fond vert, mais finalement c’était trop compliqué techniquement. J’avais réuni quelques affiches que j’avais dans ma collection, principalement des trucs ramassés à la sortie de festivals ou de concerts. J’ai montré à Sacha ce à quoi j’avais pensé, et il a créé ce fond avec celles-ci, et ajouté diverses affiches de groupes qu’on adore lui et moi.

SB : On sait que vous avez envie de faire des lives de manière plus régulière mais est-ce qu’on pourrait voir un jour des invités débarquer ?

Tangerine : On compte faire un live par saison cette année, au minimum. Pour les invité.e.s, on a rien de prévu pour le moment, mais c’est une possibilité ! On a déjà fait une collab sur la chaîne avec Monsieur Vinyl, et on a beaucoup aimé, alors pourquoi pas le faire en live !

SB : Vous aimez bien parler du futur de la musique et de son format, comment vous voyez le futur pour le rock en France ?

Tangerine : Difficile à dire. Le rock n’est plus le genre le plus populaire, et la scène rock française est bien modeste comparée à d’autres pays. Je ne vois rien qui laisse penser à un changement prochain, malheureusement, mais on peut être surpris. La victoire de Måneskin à l’Eurovision cette année semble avoir fait regagner au rock un peu d’intérêt vis-à-vis du grand public, alors qui sait ! Et puis avec le COVID il y a pas mal de groupes qui ont cessé de jouer et d’exister malheureusement. Mais là, avec le retour des concerts on sent qu’une nouvelle vague se prépare et ça peut être vraiment cool ! Les gens ont envie de se retrouver dans des concerts, et de s’exprimer dans l’art.

SB : On voit que de plus en plus de gens soulèvent les problèmes cachés dans les différentes scènes rock & metal, entre les articles de Mediapart et ce qui se passe autour du Steelfest entre autres. Comme vous commencez à développer une audience fidèle, est-ce que vous allez vous en servir pour essayer de changer les mentalités à votre échelle ?

Tangerine : Ça a toujours été l'un des objectifs premiers de la chaîne : être engagés et aborder les travers de l’industrie avec éthique. On est là pour partager notre passion, mais aussi pour pointer du doigt ce qui ne nous semble pas normal dans l’industrie musicale. C’est la raison pour laquelle on avait fait la vidéo “Arrêtons de séparer l’homme de l’artiste”, qui malheureusement est toujours très actuelle. C’est la vidéo qui nous a amené le plus de haters, mais on s’en fout, ça devait être dit.

SB : Ce qui se passe d’ailleurs autour du metal & du rock ça peut vous dégoûter d’en écouter totalement ?

Tangerine : Fort heureusement, l'industrie compte aussi beaucoup de gens qui veulent faire changer les choses dans le bon sens. Ça donne envie de persévérer. Et puis les problèmes de sexisme, racisme, LGBT-phobies ou encore les problématiques financières présentes dans l’industrie musicale sont les mêmes que celles qu’on observe n’importe où ailleurs. On pourrait bien quitter la musique rock pour aller vers la musique classique, ou alors carrément quitter la musique pour aller dans, je sais pas moi, la menuiserie, qu’on serait toujours face aux mêmes problèmes. C’est moche, mais c’est vrai. Donc autant rester dans le domaine qui nous intéresse et nous concentrer sur les personnes qui vont dans le bon sens, tout en dénonçant ce qui n’est pas normal. Pour justement ne pas en être dégouté.e, il faut le plus possible ne plus rester spectateur.ice de ce qui se passe, mais en devenir acteur.ice, c’est-à-dire se défendre, faire valoir ses droits et s’entraider pour empêcher le plus possible que le milieu ne soit répugnant.

Il y a plein de vidéastes avec qui on aimerait collaborer un jour ou l’autre !

SB : Est-ce que Tangerine sera toujours vous deux ou bien vous ne fermez pas la porte à ce que d’autres personnes puissent rejoindre la chaîne un jour ?

Tangerine : Pour l’instant, on fonctionne bien à deux. On a eu l’aide d’amis pour la technique sur certains épisodes, mais c’était occasionnel. On a aussi déjà eu un invité sur la chaîne, et c’est quelque chose qu’on a aimé. Il y a plein de vidéastes avec qui on aimerait collaborer un jour ou l’autre ! Quant à un troisième membre permanent de l’équipe, on n'est pas fermé à l’idée, tout dépendra de l’évolution et de nos besoins !

SB : Avez-vous déjà réfléchi à faire de Tangerine quelque chose de cross média en faisant un site ou un magazine papier ? Ou ce serait trop compliqué ? Et un podcast ?

Tangerine : Pour l’instant, ce n’est pas au programme. Il y a déjà tellement de choses qu’on voudrait faire sur YouTube qu’on est largement occupés pour un moment ! Mais c’est une très bonne question. On va attendre d’avoir une audience un peu plus importante que l’on pourrait, par exemple, faire participer à ce type de projet, ça pourrait vraiment être cool. Le papier, effectivement, c’est très compliqué, et ça demande des moyens que nous n’avons pas. Encore une fois, ne jamais dire jamais. Peut-être qu’un jour ou aura envie de parler d’un sujet qui se prêtera mieux à d’autres formats, mais pour l’instant la vidéo nous paraît optimale !

SB : Quelle anecdote autour de la musique est votre préférée ?

Kelly : J’en ai parlé en vidéo, mais je le redis : le fait que Rage Against The Machine ait fait fermer Wall Street, je trouve toujours ça aussi énorme.

Sacha : La fois où Keith Moon (batteur des Who) a insisté pour retourner à l'hôtel sous prétexte qu’il avait oublié quelque chose, alors qu’il était en route pour l’aéroport. Arrivé sur place, il est monté 5 minutes dans sa chambre, a fait exploser les toilettes et a balancé le lit par la fenêtre avant de regagner sa voiture et de dire “c’est bon on peut y aller !”.

SB : Quel groupe passé sous le radar dans l’histoire du rock devrait-on tous écouter ?

Kelly : Un groupe pas franchement inconnu mais très largement sous-estimé : Blink-182. On a tendance à reléguer le pop-punk au rang de musique un peu "teenage", et beaucoup rechignent à les considérer comme un classique. Alors qu’ils ont eu une influence absolument énorme, et je suis persuadée que le rock d’aujourd’hui ne serait pas le même sans eux. Donc écoutez Blink-182, c’est bien un classique de l’Histoire du rock, n’en déplaise à certains !

Sacha : The Horrors, d’office. Chacun peut y trouver son compte, j’en avais parlé dans un épisode sur la chaîne. Chaque album de leur discographie est différent, il y a une véritable exploration du son pour chaque titre qui est très poussée. C’est une vraie aventure auditive qui nous transporte et c’est quelque chose d’assez rare sur toute une discographie. Pour ma part le groupe a été une vraie révélation, et à l’époque où j’avais un groupe de rock ça m'avait vraiment poussé à améliorer mon jeu de basse et à découvrir comment je pouvais créer de nouvelles sonorités pour essayer de faire quelque chose de neuf.

SB : Quel est votre album de l’année pour le moment ? Et votre découverte ?

Kelly : Ma dernière découverte est un super groupe nommé Press To MECO. Leur dernier album est top. L’album de l’année, difficile à dire, il y a eu plein de choses bien. Gojira, peut-être.

Sacha : Turnstile - Glow On. Je pense que ça va vraiment être mon album de l’année. Le groupe l’a bien teasé avec au moins 5-7 morceaux sortis au compte-goutte, et une fois que l’album est sorti c’était encore mieux ! Énorme surprise, je recommande à tout le monde de poser une oreille dessus !

SB : Votre meilleur concert ?

Kelly : Atoms For Peace, au Zénith de Paris en 2013. Mon groupe préféré, et une performance incroyable !

Sacha : Question difficile car choix multiple… Je vais prendre un angle précis pour cette fois-ci et la prochaine fois que tu nous intervieweras j’en prendrai un autre. Je vais utiliser l’angle du concert le plus surprenant : c’était Tuxedomoon en 2016 au Divan du Monde. Ils ont joué l’intégralité de leur album Half Mute et j’ai vu un des membres utiliser une pédale Wah-wah sur un solo de violon, c’était fou, un grand moment de musique.

SB : Je vous laisse le mot de la fin, espace libre pour tout ce que vous avez envie de dire. C’est cadeau.

Kelly : Mangez des légumes.

Sacha : Soundbather, ne changez rien !

SB : Merci encore à Kelly & Sacha pour leur temps et leurs réponses. Retrouvez leurs vidéos sur Youtube. Vous pourrez voir dans la description de celles-ci les liens pour leurs réseaux sociaux. N'hésitez pas à vous abonner et à partager leur contenu !