AJJ - Good Luck Everybody

Le folk-punk-psyché à la cool

[TW : mutilations, suicide, alcool]

Ces derniers temps, je me suis sentie triste, alcoolique et anarchiste. Ça tombe bien parce qu’il semblerait que dans les années 2000, tout un tas de punk se soient sentis pareil, aient délaissé leurs guitares électriques pour des banjos, troqués leurs disques de Black Flag contre ceux des Dubliners, et échangé leurs perfectos pour des chemises de hipster. Bref, le folk punk a eu lieu. Et cela fait quelques semaines que je me replonge allégrement dans cet univers.

Difficile de trouver meilleure manière d’exprimer le désespoir face à l’absurdité du monde capitaliste que ce genre aux mélodies simples, efficaces, aux paroles acerbes mais humoristiques. Parmi les maîtres en la matière, on peut citer Against Me!, Johnny Hobo, Days N’ Daze, et donc Andrew Jackson Jihad (tardivement rebaptisé AJJ pour des questions de bon goût), dont le People who can eat people are the luckiest people in the world (2007) a dû susciter deux ou trois taillages de veines. Un monument de l’anti-folk déprimante, donc. Mais que devient cette recette en 2020 ?

C’est assez particulier de critiquer Good Luck Everybody. En effet, le groupe de Sean Bonnette évite tous les écueils qu'on pourrait craindre d'un combo punk qui commence à prendre de l'âge. Premièrement, impossible de les dire vendus. L’album est autoproduit, farouchement indépendant, et la promotion est loin d’être agressive : je serais probablement passée à côté de cette sortie si le hasard du calendrier ne m’avait pas incité à explorer leur discographie. Deuxièmement, on ne pourra pas les accuser de se répéter : les mélodies sont variées, la production est très différente de celle qu’ils avaient il y a 10 ans, et surtout, il y a un feeling peut-être plus… joyeux (?), que je perçois.

C’est peut-être juste un ressenti inexpliqué de ma part, parce que lorsque l’on se penche sur les paroles, on constate qu’elles sont toujours aussi déprimantes et engagées qu’elles ont pu l’être auparavant. Peut-être moins mordantes, cela-dit. La plume n’est plus aussi aiguisée. On frôle même parfois le turbokitsch agaçant, notamment sur "Mega Guillotine 2020". Bref, le fan de longue date sera déconcerté par un album d'une part un brin mineur, d'autre part en décalage avec ce à quoi nous avait habitué AJJ.

Et pourtant, force est de constater qu’à force de réécouter cet album pour préparer cette chronique, j’ai fini par bien l’aimer. Si l’on accepte le changement de direction, notamment musical, et qu’on décide de porter un regard sans préjugé sur Good Luck Everybody, il s’avère tout à fait sympathique. Ces essais soniques un brin expérimentaux, bruitistes sur "Body Terror Song", et plus psychédéliques sur le reste de l’album, sont très rafraîchissants. "Feedbag" me donnerait même un feeling à la Animal Collective assez plaisant. Le groupe reste malgré tout très folk, comme des descendants déglingués d’un Donovan. Il n’y a plus grand chose de punk, par contre.

Entendons-nous bien : aucune brique n’est cassée ici. Ce genre de sonorités a déjà été exploré maintes fois dans l’histoire du rock et de la folk, depuis les années 1960 pour certaines. C’est uniquement parce que c’est un groupe qui nous avait habitué à un type de son bien précis que l’on est surpris. Pas de quoi sauter au plafond donc, c’est un album très mineur. Mais qui vous fera passer malgré tout une demi-heure sympathique. Et en point d’orgue d’une rétrospective folk-punk, un qui aura le mérite de finir sur une note moins déprimante que l’ensemble du genre.

Pourtant je n'ai pas la sensation que Bonnette soit devenu optimiste avec l’âge. Simplement, comme beaucoup de monde, il semble avoir fini par accepter l’effondrement prochain de notre société. Et décidé de l’attendre gaiement avec une guitare et une bouteille de whisky.

FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
MélancolieL'album inspire plus ou moins la mélancolie, les sentiments maussades et embaumés d'un vague à l’âme. 1/5 : Vous ressentez une légère pique de tristesse. 5/5 : Vous êtes plongé dans les tréfonds du spleen
FraîcheurIndice de l'apport de neuf que fait cet album. 1/5 : l'album réutilise les codes du genre et fait une bonne soupe avec de vieux pots. 5/5 : l'album invente et innove son style musical
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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AJJ
"Good Luck Everybody"