Alfa Mist - Antiphon

Lutter, endurer, surmonter.

Il est des découvertes qui arrêtent le temps. Comme si face à la nouveauté l’écoulement du sable n'avait plus d’effet sur votre personne. La réception de l'œuvre vous sort de toute tâche auxiliaire, pour encaisser, assimiler cette expérience. Vous lâchez tout. Cela peut arriver pour des événements tantôt jubilatoires, tantôt traumatiques. C’est en écoutant récemment Antiphon du britannique Alfa Mist que j’ai eu un vécu similaire. L’album m’a accroché en deux minutes et j’ai tout stoppé. Je me suis reposé sur ma chaise, et j’ai écouté, les yeux fermés, hochant ma tête au rythme de la batterie.

Présent dans la scène depuis le milieu des années 2010, l’auteur-compositeur-producteur joue dans cet album un jazz teinté d’influences hip-hop et soul qui prend aux tripes. Dès le départ avec Keep On, l’artiste vous attrape avec son clavier rhodes et son atmosphère pesante, grave, qui va marquer une bonne partie des 53 minutes du disque. Cette ambiance a un impact démesuré : on ressent une lutte - trop - longue qui a épuisé la personne jouant cette histoire. Comme un combat qui n’a que trop duré et qui s’achemine enfin vers sa conclusion dont on ne connaît la teneur. Potential, qui suit, a la même empreinte. Une mélodie assez simple au clavier, un beat hip-hop à la batterie, des accords simples à la guitare qui vont ensemble créer une montée avec des choeurs vers un final avec un solo à la six-cordes. La sensation de bataille ne nous quitte pas avec, insérés pendant les morceaux, des inserts de discours inspirants et motivants.

Les compositions majoritairement instrumentales laissent une belle place aux soli, que ce soit de guitare, de trompette, de clavier ou de saxophone. Il faut dire que Maria Medvedeva (saxophone), Jamie Leeming (guitare), Mansur Brown (guitare), Johnny Woodham (trompette) et Alfa Mist (clavier & piano) mettent avec brio leur talent au service des morceaux pour les élever et ajouter une nuance à chaque fois bienvenue. Il faut aussi souligner le travail de la section rythmique, avec Kaya Thomas-Dyke ou Rudi Creswick à la basse et Gaspar Sena ou Jamie Houghton à la batterie. Bien que très légèrement en retrait, ils soutiennent parfaitement le reste des autres instruments et savent à chaque fois mettre la bonne intensité dans leur jeu.

Si Antiphon est surtout instrumental, Breathe et 7th October ont des paroles, avec au chant Kaya Thomas-Dyke pour le premier et Alfa Mist pour le second. L’intervention de Kaya sur Breathe, n’ayons pas peur des mots, touche au sublime. Après presque une demi-heure, sa voix prend au dépourvu qui ne s’y attend pas. Elle nous calme, ralentit notre rythme cardiaque pour mieux nous faire rêver une scène. Son chant nous transporte instantanément au milieu d’un parc en ville alors que les instruments dessinent une nuit d’hiver froide et sans nuage. La douceur, la légèreté du timbre de sa voix y sont une chaleureuse lumière qui nous aidera à traverser l’obscurité que l’on décèle dans le morceau. La partition d’Alfa dans le 5ème morceau de l’album est quant à elle plus triste, rappant une histoire mal finie avec une femme. On y sent encore une lutte contre quelque chose, quelqu’un.

A partir de Kyoki, et jusqu’à la fin de l’album, l’ambiance va se détendre, être plus rassurante et amicale. Le poids que l’on pouvait sentir jusqu’ici sur nos épaules s’allège puis disparaît. On peut se relaxer et sourire avec la nouvelle couleur que prend Antiphon. La batterie est plus douce, les instruments moins graves, les tons plus positifs. Le clavier d'Alfa, toujours aussi soyeux, joue des gammes plus enjouées mais aussi un brin nostalgiques, comme revenant sur des souvenirs réconfortants, en nous rappelant néanmoins que la période à laquelle ils sont attachés est désormais lointaine. Nucleus y fait appel, le passé venant nous hanter (ou nous réchauffer selon le point de vue) au milieu des soli. Le final Brian est aussi court qu'entrainant, terminant le disque sur une note radieuse nous laissant détendus.

Antiphon est un album paradoxal : autant il nous plonge au départ au milieu d'émotions mélancoliques et assez sombres, autant on en ressort heureux. Au travers de huit chansons, Alfa Mist peut être rêveur, nostalgique, empli de regrets ou de remords. Il a surtout été cathartique lors de ma première écoute. Il symbolise une lutte de longue haleine se terminant avec un dépassement de l'obstacle à surmonter. Il incarne les épreuves quotidiennes qu'on enterrera au bout du compte. Y faire face est ardu mais la libération n'est que plus grande une fois la journée terminée. L'artiste magnifie cette sensation sur le disque, où cette espèce de mélange entre peine et récompense est retranscrit, transmit avec talent et beauté. A la fin du jour, nous serons encore là, debout. Le reste sera derrière, au loin.

EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
MélancolieL'album inspire plus ou moins la mélancolie, les sentiments maussades et embaumés d'un vague à l’âme. 1/5 : Vous ressentez une légère pique de tristesse. 5/5 : Vous êtes plongé dans les tréfonds du spleen
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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Alfa Mist
"Antiphon"