Architects - For Those That Wish To Exist

Détruire pour mieux bâtir

Depuis l'entrée dans notre siècle, le Metalcore a pris une place assez importante dans le spectre musical du Metal. D'abord avec une première vague composée de Killswitch Engage, Atreyu ou encore les premiers disques d'Avenged Sevenfold, le genre va s'installer puis exploser avec une seconde vague, plus récente. Et qui dit explosion dit expérimentation. Quand certains vont rester très classiques dans leur approche, d'autres vont aller piocher dans d'autres tiroirs pour former leur propre identité. Avec son mélange de Djent, de Prog et de Metalcore, Architects va rapidement s'installer comme figure montante puis comme valeur sûre de la scène.

Formé autour des frères Dan et Tom Searle, le quintette va commencer à connaître le succès au début de la dernière décennie grâce à Daybreaker (2012), disque qui les "sauvera" d'un début de déclin après un The Here And Now (2011) ayant déçu. Mais c'est Lost Forever // Lost Together (2014) qui terminera d'entériner l'ascension des Anglais vers les sommets.

Ce disque sera le début d'une trilogie marquée par une tragédie. En 2012, Tom Searle, alors guitariste et lyriciste du groupe, se fait enlever un grain de beauté qu'il pense être non cancéreux. Malheureusement, il le sera. S'engage une longue lutte contre la maladie qui sera, entre autres, au centre de All Our Gods Have Abandoned Us (2016), septième enfant d'une discographie riche, considéré par beaucoup comme le chef d'œuvre du groupe et l'apogée de leur formule. Entre paroles sombres et musique lourde, Architects explose tout sur son passage et s'apprête à le défendre avec ferveur sur scène. Alors que les États-Unis devaient être le théâtre d'une tournée estivale intense, le groupe annule finalement ses dates pour raisons familiales. Le 20 août 2016, Tom Searle succombe à son cancer de la peau, plongeant son frère, ses amis et les fans dans une immense tristesse.

Fin 2016, Sam Carter (chanteur) pensait même arrêter après le concert donné à l'O2 Academy de Londres, dernière date d'une tournée automnale en forme d'hommage à Tom Searle. Pourtant, 2018 sera l'année qui verra Architects remplir à son maximum l'Alexandra Palace, salle mythique de la capitale anglaise. 10 000 personnes pour un show légendaire dont on peut voir quelques images dans le documentaire Holy Ghost qui revient sur l'écriture mouvementée d'Holy Hell (2018), huitième album et dernier de la triade marquée du sceau de Tom et de sa maladie.

Trois disques qui vont définitivement mettre Architects au sommet de la chaîne alimentaire du Metalcore, aux côtés de Parkway Drive. Le combo anglais est désormais connu et reconnu, non seulement pour la qualité de ses chansons mais aussi pour ses shows puissants et visuellement réussis, l'apogée étant sûrement sa prestation en tant que main event nocturne de la Mainstage 2 au Hellfest 2019. Un concert mémorable pour les titres joués ainsi que pour la portée émotionnelle très forte, notamment lors du discours de Sam Carter portant sur l'importance de parler aux gens quand on se sent mal.

Après toutes ces années d'ascension et ces critiques dithyrambiques, l'attente autour du neuvième disque de leur discographie était élevée. Surtout qu'Holy Hell avait amorcé un début de changement avec l'arrivée de passages plus posés ainsi que via l'utilisation du chant clair de Sam Carter disséminé sur quelques pistes, notamment l'excellente Hereafter ou encore Royal Beggars. De ce fait, le teasing apparu en octobre dernier autour de nouvelles chansons en a réjoui beaucoup, dont votre serviteur. Une excitation atténuée par Animals, single plutôt plat et sans grande inventivité, notamment niveau production. Là où les anciennes sorties d'Architects se démarquaient par leur côté rentre-dedans et parpaing, ce titre s'insère dans la masse de ce qui se fait tout autour d'eux. De quoi transformer notre attente en circonspection.

Un sentiment renforcé par les sensations de déjà vu qui nous viennent en tête en écoutant cette piste. De la production piquée à Rammstein aux passages évoquant Bring Me The Horizon, on se retrouve fatalement avec un groupe ayant perdu son identité unique au profit d'une image vue et revue. Quelque chose qui va malheureusement perdurer tout au long de cet album.

Dès l'introduction, on se dit tout bas qu'on a déjà entendu ce genre de mélodies et de sonorités électroniques. En fouillant dans notre mémoire, le nom d'Enter Shikari nous vient instantanément. Ce n'est pas la seule fois où on pourra avoir le combo de St Albans comme référence. Demi God, antépénultième piste, nous offre un pont que Rou Reynolds n'aurait pas renié. On peut aussi noter les cordes sur la fin de Goliath qui ramènent à l'époque de The Mindsweep de Shikari.

Autre groupe que l'on retrouve énormément au fil de l'écoute : Bring Me The Horizon. Il faut dire qu'Oli Sykes et ses amis ont retourné la scène Metalcore en brisant les codes avec That's The Spirit en 2015 et leur EP Post Human: Survival Horror en 2020. Il est de notoriété publique que Sam Carter et Dan Searle sont des fans de BMTH et quand on voit le succès engendré par les gars de Sheffield, il est tentant de s'en inspirer. D'ailleurs, il est facile de voir l'ombre de Bring Me planer au-dessus de cet album. Mais entre la ballade insipide de milieu d'album qu'est Flight Without Feathers ou l'incursion Électro-metal peu inspirée qu'est An Ordinary Extinction, on se dit qu'ils n'ont pas récupéré les meilleurs choses de leurs compatriotes. Inutile de rajouter que sur la grande partie du disque, la production nous fait penser à ce qu'ont déjà fait Sykes et consorts.

Autre point qui ressort : le retour en grâce du Nu-Metal, pourtant conspué depuis son apparition. Si le parallèle avec Bring Me The Horizon est tentant, restons juste sur l'idée qu'Architects, à travers les performances de son chanteur, s'est bien inspiré de Linkin Park. À plusieurs reprises dans l'album, on croirait entendre Chester Bennington au micro : ces similitudes entre feu le chanteur de LP et Sam Carter se retrouvent notamment sur Goliath, Libertine ou bien encore An Ordinary Extinction. Mais rassurez-vous, niveau instrumentation, on est sur la même lignée. Du breakdown de Black Lungs au riff de Giving Blood inspiré de Faint, on sent bien que les membres d'Architects suivent la mouvance actuelle qui consiste à piocher des idées dans le Nu-Metal pour en tirer une sauce moderne jouant sur une certaine nostalgie de cette époque. Même pour la production, Dan Searle et Josh Middleton n'ont pas hésité à aller emprunter des sonorités dans ce courant artistique.

On vous rajoute, en vrac, une intro typée Babymetal sur Black Lungs et une copie de Parkway Drive sur Meteor pour obtenir un disque qui confirme la perte d'identité du quintette de Brighton au profit d'une image plus lisse, passe-partout et fatalement, moins savoureuse.

Si on peut noter un fil conducteur sur cet album, c'est la volonté d'embrasser pleinement la mouvance "Metalcore de stade" que Parkway Drive a initiée il y a de cela quelques années. Entre les refrains ultra fédérateurs, les riffs efficaces et les nombreuses itérations des "wohoho" ou encore "ouhouh", Architects n'a pas lésiné sur les moyens pour que les foules hurlent en chœur les paroles. Rajoutez à cela une production bien plus aseptisée et sans âme ainsi que des compositions moins risquées et plus directes et vous avez un album qui adopte clairement une volonté d'attirer les foules. N'y voyez pas ici un quelconque reproche, juste un constat repéré au fil des écoutes.

Autre point qui ne change pas trop des précédentes sorties du groupe : les textes sombres. Mais si la mort est majoritairement laissée de côté, les paroles reflètent en revanche une vision de notre monde assez rude. Beaucoup de constats négatifs sont fait sur l'état de notre planète et sur le je-m'en-foutisme des gens vis-à-vis de cette situation. Par ce prisme, Architects veut faire prendre conscience aux auditeurs qu'il faut adapter ses habitudes et réagir avant qu'il ne soit vraiment trop tard pour sauver la Terre.

Signalons aussi la présence de plusieurs lignes disséminées au fil des pistes qui font écho à de précédentes sorties du quintette. Notamment sur Dead Butterflies, Little Wonder ou encore Impermanence.

L'album se termine par une touche de positivisme et nous fait relativiser sur la mort et son spectre planant au-dessus de nos existences. Qu'au lieu de la craindre et de la fuir, mieux vaut faire tout notre possible pour qu'à son arrivée, nous soyons satisfaits de notre passage parmi les vivants.

Un des vents de fraîcheur sur ce disque consiste en l'arrivée de guests sur 3 titres. Winston McCall, chanteur de Parkway Drive (tiens donc...) vient poser sa voix sur un pont ravageur et furieux sur Impermanence. Une chanson qui ressemble beaucoup trop à ce que pourrait sortir le combo australien et qui laisse un peu sur notre faim du fait de la prise de risque minime proposée. Ensuite, Simon Neil de Biffy Clyro qui amène d'un côté une ligne de voix classique sur le pont de Goliath et qui, sur cette même piste, envoie une voix screamée surprenante mais qui fonctionne totalement. Enfin, Mike Kerr, bassiste/chanteur de Royal Blood qu'on retrouve sur Little Wonder, une petite pépite qui nous permet de nous questionner sur les singles mis en avant par Architects. Si Animals, Black Lungs et Dead Butterflies sont de bons choix, on peut se demander pourquoi avoir privilégié Meteor en dernière sortie quand ce Little Wonder aurait été une bien meilleure idée.

L'album n'est pas qu'un ensemble de déceptions, fort heureusement. Il réside des pistes très bonnes au fil de l'écoute, en premier lieu Discourse Is Dead. Des cordes en fond qui rajoutent une touche dramatique, au riff puissant, en passant par la partie de chant de Sam Carter, le tout avec une efficacité et une violence totalement réussies, ce titre est une vraie pépite qui sera forcément scandée lors des futurs lives. Petit bémol sur le breakdown qui est un brin ruiné par la production qui bride le côté coup de poing voulu par cette fin.

Pour rester sur les pièces qualitatives du disque, Dead Butterflies, troisième single, est d'une beauté rafraîchissante dans la discographie des Anglais. Les cuivres, qui font leur première apparition dans la carrière du groupe, apportent une belle touche au morceau. On peut aussi saluer la doublette Libertine / Demi God qui sont réussies sans pour autant être des chefs-d'œuvre. Fort heureusement, Architects a eu la brillante idée de terminer sur Dying Is Absolutely Safe, ballade épique qui est une très belle conclusion à cet album.

"It feels like a glass half-empty is more than I'll ever have
'cause I've been fast asleep standing still in a stampede"

For Those That Wish To Exist est un album qui va diviser. Des fans qui vont le mettre n°1 de leur podium en fin d'année aux gens qui vont haïr les changements présents, il est évident que le 9e disque d'Architects ne laissera personne indifférent. Et si quelques pistes en moins n'auraient pas été de refus, la production reste d'assez bonne facture pour que les écoutes s'enchaînent sans fatigue ni usure. Une heure de musique sur fond de textes dépressifs ou encore traitant de l'absurdité de notre monde sous un spectre cruel. Dan Searle a mis beaucoup de sa propre personne dans les lignes chantées par Sam Carter. Il était évident que le quintette allait faire évoluer sa formule pour continuer à prendre du plaisir, mais rares étaient ceux qui auraient pu prédire un tel virage dans leur musique. Avec cet album, les Anglais vont peut-être perdre une frange de leur public, pour finalement en gagner une nouvelle grâce à des titres plus directs et accrocheurs qu'auparavant. Une belle façon de construire son futur.

EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
Bouteilles de plongée

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Architects
"For Those That Wish To Exist"