At The Drive-In - Relationship of Command

DRALA - 12/09/2000 - 20 ans de Relationship of Command

Salut les rockers, Barny à l'antenne.
Encore un album qui fête ses 20 ans, quand on vous dit que l'année 2000 a été une mine d'or ! Pour l'histoire que je compte vous raconter aujourd'hui, j'aimerais vous retranscrire mon propre point de vue adopté lors de la découverte de l'album et de l'artiste qui nous intéressent ici. En fait, cette histoire est une sorte de préquelle insoupçonné à un autre phénomène musical majeur : The Mars Volta. Soit l'un des plus gros phénomènes du rock progressif moderne mondial, rendu culte par le concept album Deloused in the Comatorium ou le plus tortueux et psychédélique Frances the Mute. Une entité aujourd'hui culte menée de main de maître par un duo de musiciens singuliers bien connus : le chanteur Cedric Bixler-Zavala et le guitariste Omar Rodriguez-Lopez. Concept albums, formation musicale fournie, emploi d'instruments non-conventionnels, usage de drogues psychédéliques à outrance… Qui eut donc cru que ce pur produit progressif prenait en fait ses racines dans la niche qu'on lui oppose traditionnellement : le Punk. Imaginez le choc quand on découvre que les deux cerveaux de The Mars Volta ont fait leurs armes dans l'un des plus prometteurs des groupes de Post-Hardcore américains des années 90 : At The Drive-In.

At The Drive-In

Tout commence en 1994 dans la ville d'El Paso au Texas. At The Drive-In est un petit groupe de punk, tendance post-hardcore/emo, influencé par les figures majeures du genre comme Sunny Day Real Estate, Drive Like Jehu ou Fugazi. On y trouve entre autres Cedric Bixler-Zavala, le fameux, au chant, ainsi que par le guitariste Jim Ward, 17 ans au compteur au moment du lancement du projet. Pendant ses premières années, le groupe écume la scène underground de l'Ouest américain, jouant dans des bars, des petites salles de concerts, voire des sous-sols, et ne doit sa réputation qu'au seul bouche-à-oreille. Le décrochage d'un premier contrat relève d'un miracle, d'un coup de destin (insérez l'évènement déterministe de votre choix), après que le groupe ait joué un set mémorable et endiablé un soir devant un public de… 9 personnes, parmi lesquelles des responsables du label indépendant Flipside. Sort en 1996 un premier album, Acrobatic Tenement, produit pour la modique somme de 600$. Puis la petite troupe reprend son train-train quotidien, à savoir tourner quasiment non-stop dans des rades sans nom pour des publics modestes mais jamais déçus. 1997 est une année charnière pour At the Drive-In, puisqu'il trouve son line-up décisif : Bixler-Zavala et Ward sont désormais entourés du bassiste Paul Hinojos, du batteur Tony Hajjar et d'Omar Rodriguez-Lopez, bassiste cédant sa place à Hinojos pour prendre la guitare lead. La même année, entre février et juin, le groupe effectue une tournée-marathon de 100 dates à travers les Etats-Unis, parcourant [roulement de tambour] pas moins de 38500 kilomètres, distance équivalant à 30 allers-retours Paris-Marseille à vol d'oiseau ! A ce stade, At The Drive-In n'est encore connu que d'un public de niche, ses membres ne se consacrent qu'au groupe, ayant renoncé à leurs études, travail, sécurité financière voire logement.

In/Casino/Out

Suite à cette tournée éreintante, les cinq lascars se permettent enfin des vacances avant d'enregistrer leur deuxième album In/Casino/Out, sorti chez Fearless Records, un label indépendant spécialisé dans… la pop punk, donc à priori aux antipodes du style du groupe. Mais l'accord est rendu possible par un bon contact humain avec deux responsables du label, rencontrés par hasard/chance/miracle (rayez la mention inutile) dans un bar où il se produisent. In/Casino/Out bénéficie de meilleurs moyens de production, et reflète mieux l'esprit du groupe puisqu'enregistré en conditions live, retranscrivant donc l'énergie et la folie de leurs concerts. Un an à peine plus tard, un EP décisif dans la discographie d'At The Drive-In, Vaya, voit le jour. Ça joue presque dans la cour des grands à force de temps et de persévérance, puisqu'ils ouvrent pour des artistes tels que Jimmy Eat World ou Rage Against The Machine. A ce stade où les choses semblent décoller sérieusement, rien ne laisse prévoir l'explosion, la croissance exponentielle que va subir l'entité At The Drive-In, et ça commence avec une nouvelle rencontre fortuite en tournée : celle du producteur Ross Robinson, qui offre au groupe de produire leur troisième album.

Si la lecture du nom Ross Robinson a entrainé chez vous une réaction de type "Qui ???", laissez-moi vous aiguiller : en l'an de grâce 2000, Ross Robinson, c'est le producteur des premiers albums de Korn, Limp Bizkit, Slipknot, de l'album Roots de Sepultura. En somme c'est l'architecte sonore star du Nü Metal tel que nous le connaissons aujourd'hui. Pour les puristes, qu'un producteur de Nü Metal, sous-branche jugée superficielle et mercantile, s'intéresse ainsi à un groupe de Post-Hardcore qui a jusqu'ici préservé son indépendance et a gagné tous ses galons à la sueur de son front, cela pourrait être l'évènement qui précède un fâcheux tournant. Dans les faits, cette collaboration a abouti sur Relationship of Command, troisième LP d'At The Drive-In, album considéré aujourd'hui comme cultissime et ultra influent sur tout le courant Post-Hardcore à venir. Alors penchons-nous sur le bestiau pour comprendre comment et pourquoi le phénomène a pris tant d'ampleur.

Une des premières choses qu'on constate dès les premières écoutes, c'est qu'on a affaire à une machine de guerre particulièrement bien huilée. A la rythmique, Tony Hajjar fait preuve à la fois d'une formidable force de frappe, de précision et de variété dans son jeu de batterie. Paul Hinojos déploie des lignes de basse absolument délicieuses, avec le magnifique son plein de grain métallique de la meilleure guitare basse du monde, la Music Man Stingray, ultra prisée dans la scène Post-Hardcore (Fugazi, Refused). Jim Ward et Omar Rodriguez-Lopez se distinguent par des jeux de guitare complémentaires, Ward assurant une solide base rythmique tout en accords puissants et en motifs mélodiques parcimonieux. Rodriguez-Lopez, quant à lui, semble sur cet album enfin libérer toute la folie qui fera sa renommée pendant les années Mars Volta, à grands coups de mélodies et de riffs tortueux, alambiqués et dissonants souvent bardés d'effets. Enfin, en bon frontman, Cedric Bixler-Zavala accomplit la prouesse de porter le disque vocalement, avec un chant ultra puissant, scandé, crié même, mais toujours clair et juste. Son incroyable organe semble lui permettre de ne jamais tomber dans le criard ou le gueulard, balançant allègrement les divagations cryptiques et surréalistes probablement inspirées par son usage notoire de stupéfiants. Mais pourquoi se contenter d'une voix d'or quand on peut en avoir deux pour le prix d'une : Jim Ward offre un renfort de voix dont on ne peut plus se passer une fois qu'on y a goûté, apportant un timbre tout aussi puissant mais plus rauque et sale, donnant lieu à des échanges savoureux entre Cedric et lui sur certains morceaux.

On mélange tout ça, et on envoie la purée. Arcarsenal fait figure d'ouverture coup de poing dans la gueule, limite chaotique, faisant en tout cas partie des plus gros calibres que le groupe ait à dégainer sur l'album avec le morceau Mannequin Republic en milieu de disque. On alterne bien sûr avec des titres plus posés, voire mélancoliques, puisant plus du côté de l'emo, comme Invalid Litter Department, Quarantined ou le morceau de clôture de l'album, Non-Zero Possibility. Dans cet épilogue quasi désespéré, la guitare d'Omar se mêle à un piano sanglotant joué par Jim Ward. Et à part ça ? Que des morceaux indispensables qui mériteraient qu'on s'attarde dessus un par un tant rien n'est à jeter ! Des pures montées d'adrénaline sonore aux vertus thérapeutiques, entraînantes, exaltantes… Pattern Against User ou Cosmonaut, respectivement en début et fin d'album, sont construites sur des enchainements de riffs imparables ! Sleepwalk Capsules se base sur un schéma jouissif où les voix de Bixler-Zavala et Jim Ward se rendent coup sur coup dans une battle vocale où tous les coups semblent permis… Bien sûr l'album comporte son "tube", le single One-Armed Scissor, morceau tout aussi furieux et brillant, qui a énormément contribué à faire grandir la notoriété du petit groupe indé d'El Paso en tournant sur MTV et les radios rock américaines…


A noter enfin la présence d'un invité de marque, recruté via les contacts de Ross Robinson : Iggy Pop en personne ! L'ex-frontman des Stooges pose une intro parlée pour le titre Enfilade, parmi mes préférés de l'album, basé sur une structure couplet calme/refrain déjanté. Un refrain qui, au passage, fait partie des quelques pièces musicales me prodiguant ce sentiment de bien-être, de toute puissance, d'être inarrêtable peu importe les obstacles sur mon chemin, les voix unies de Bixler-Zavala et Ward sonnant comme des encouragements venant de la Terre entière… Mais surtout le parrain du Punk accompagne vocalement Cedric sur le morceau Rolodex Propaganda, titre plus sombre mais magnifique porté par des synthétiseurs signés Ward, instrument utilisé avec parcimonie sur l'album mais qui fait quasiment toute la sève du morceau.

L'album sort le 12 septembre 2000 et est acclamé par les critiques. Après des années à doucement faire son trou, At The Drive-In éclate enfin au grand jour, les membres du groupe sont alors âgés de 23 à 25 ans. Les performances sur les plateaux télé s'enchainent, y compris en France dans Nulle Part Ailleurs sur Canal+, et permettent au monde de garder des traces archivées de ce qu'était un live d'At The Drive-In à l'époque : la furie, la folie, Bixler-Zavala et Rodriguez-Lopez incapables de tenir en place et bondissant d'un bout à l'autre du plateau comme des gamins en bas âge en plein sugar rush. C'est donc tout naturellement, alors que s'ouvre à eux la promesse d'une carrière brillante sous le feu des projecteurs, que le public est prêt à les accueillir à bras ouverts, que le groupe… se sépare. Explosion en plein décollage, success story étouffée dans l'œuf près de l'éclosion, tuée par la hype trop soudaine et trop grande… Le groupe est éreinté, physiquement et psychologiquement après 6 années de vie non-stop sans répit entre la route et les studios. Surtout les dissensions ont atteint le point de rupture : la toxicomanie de Bixler-Zavala et Rodriguez-Lopez est de moins en moins supportée par leurs compères, et surtout les deux sus-nommés ont de plus grandes aspirations, ne veulent plus se cantonner au registre punk, mais explorer de nouveaux territoires musicaux. Ils retournent donc à un de leurs side-project, le groupe de dub De Facto qui deviendra The Mars Volta, tandis que les trois autres forment Sparta, toujours dans une lignée Post-Hardcore/Alternatif. Paul Hinojos rejoindra néanmoins ses anciens partenaires au sein de The Mars Volta pendant 4 ans. De son côté Tony Hajjar co-fondera en 2016 le supergroupe Gone Is Gone aux côtés de Troy Sanders (Mastodon) et Troy Van Leuween (Queens of The Stone Age).

At The Drive-In, bien qu'ayant eu une très courte période de gloire mainstream (quelques mois à peine), a eu un impact retentissant avec Relationship of Command, c'en est presqu'un cas d'école. Le groupe fit un premier retour sur scène en 2012 pour une série de concerts, et un second en 2016, mais cette fois-ci sans Jim Ward. Le groupe a sorti un quatrième album, in•ter a•li•a, en 2017, avant d'annoncer un nouveau hiatus d'une période indéfinie fin 2018. L'influence, la notoriété, la légende autour de Relationship of Command demeurent quant à elles, et probablement encore pour de longues années.

DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
Bouteilles de plongée

Relationship of Command
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