Parmi les têtes d’affiches du metal moderne, il y a un point commun que l’on retrouve chez beaucoup de formations : une tendance naturelle à lever une masse de détracteurs proportionnelle à la popularité acquise. Et c’est d’autant plus vrai pour des groupes ayant mis du temps à s’installer et dont l’adoucissement de leur son aura attiré les foudres des fans de la première heure, parfois à raison. Le point de non retour étant assurément atteint lorsque, tel un tonitruant coup de tonnerre, la musique de ces artistes se voit cinglée de l’adjectif “commercial”.
Pourtant, certains n’auront pas eu à attendre longtemps pour devenir de véritables punching-ball de la critique populaire. En même temps, lorsque votre premier succès vous propulse parmi les grands noms du metalcore des années 2000 et devient un hymne de la sphère emo de l’époque, vous avez toutes les bases pour devenir un parfait paratonnerre. Et c’est ce qui est arrivé à Avenged Sevenfold qui, après un premier disque n’ayant pas fait date, décroche ses premières gloires avec Waking the Fallen et le single Unholy Confessions en figure de proue.
La vie
S’en suit alors une constante ascension vers le succès avec des albums toujours portés par de très solides singles, de City of Evil jusqu’à Nightmare en passant par l’éponyme. Malgré tout, on ne peut pas dire que le quintette d’Huntington Beach se repose sur ses acquis car, dès le troisième opus, il se détourne du metalcore pour prendre la direction du heavy metal avec quelques essais encore balbutiants dans le milieu du prog. Un cap qui sera maintenu jusqu'en 2010 en laissant toujours un peu plus de place au metal progressif à chaque sortie.
Malheureusement la sortie de Nightmare s’est accompagnée d'un drame terrible pour Avenged Sevenfold : le décès du batteur Jimmy “The Rev” Sullivan. Remplacé au pied levé par Mike Portnoy (Dream Theater) pour finir d’enregistrer le disque et le défendre en tournée, l’album reste hanté par le fantôme de cette tragédie. The Rev ayant jusqu'alors une place très importante lors du processus de composition, sa patte est encore bien présente sur ce disque, sa mort étant survenue vers la fin de la phase d’écriture.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, en 2013 A7X commet sa première véritable erreur de parcours avec Hail to the King. Malgré un succès commercial, à l’exception de rares fulgurances, l’album se montre sans saveur. Le disque est peu inspiré (ou trop, n’est-ce pas This Means War) et l’absence de batteur lors de la composition se fait cruellement ressentir.
Heureusement, The Stage opère un retour en grâce en 2016 avec l’arrivée de Brooks Wackerman (Bad Religion, Suicidal Tendencies, Infectious Grooves) derrière les fûts. L’album est cette fois quasi-unanimement salué et se montre bien plus ambitieux que son prédécesseur. Plus progressif que jamais, il renoue avec les habitudes du groupe à expérimenter de nouvelles sonorités. Sa suite était donc naturellement porteuse d’espoir et de nombreuses attentes.
Alors, rêve ou cauchemar ?
Et de l’attente il y en aura eu car c’est presque 7 ans qui auront séparé The Stage de Life Is But a Dream… Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’avant même sa sortie, il a su soulever des craintes chez les fans de la première heure et ressusciter les critiques de ses détracteurs habituels. Car avec Nobody puis un peu plus tard We Love You, les premières mises en bouches s’avéraient particulièrement audacieuses.
Les riffs très heavy metal habituels sont relégués au second plan et on trouve beaucoup plus de textures sonnant très artificielles et électroniques. Si à cela on ajoute une production très particulière qui isole chaque élément dans son propre espace du spectre sonore, le premier ressenti en devient très perturbant. On a vite l’impression que chaque partie a été enregistrée dans une pièce différente. Il n’a donc pas fallu attendre longtemps pour voir poindre les détracteurs habituels d’Avenged jeter l’album au feu sur la simple base de ces deux premiers titres.
Pourtant, il est bien maladroit de juger de la qualité de Life Is But a Dream… à partir de ces simples échantillons pris hors de leur contexte. En effet, ce qui saute aux oreilles dès la première écoute est le nombre de détails et la complexité de la composition de ces morceaux. Entre les passages acoustiques, les shreds saturés et le chant nasillard de Matt Shadows faisant partie de l’identité du groupe, s’invitent une importante quantité de glitchs audios. Et ce ne seront pas les seules nouveautés à se glisser dans cet album.
Rassurants pour une entrée en matière, Game Over et Mattel sont peut-être les deux chansons du disque se rapprochant le plus de l’idée de ce que l’on peut se faire du son d’A7X. Elles ne se parent pas encore de sonorités exotiques ou celles-ci se font discrètes dans le mixage. Cependant, on peut déjà y déceler une des grandes forces du disque, sa volonté de jouer avec les contrastes. A l’image des couplets plutôt tranquilles pour du heavy metal de Mattel, ceux-ci explosent lors des pré-refrains pour s’effondrer totalement dans les refrains ne laissant plus qu’un surprenant duo piano voix.
La démarche étant posée, les intentions derrière les singles qui emboitent le pas se font maintenant beaucoup plus claires. L’album est là pour surprendre et placer les pions d’un univers bien à lui. Survient alors la première perle du disque : Cosmic. Lancée dans une chevauchée ascensionnelle par les guitares sur sa première moitié, le mixage et les touches de reverb permettent au shred de transmettre une ambiance atmosphérique parfaite pour nous lâcher en apesanteur sur le long fleuve qui accompagne le centre du morceau. Les cordes laissent la place aux cuivres pour accompagner le chant lancinant de Shadows avant un final qui nous propulse dans un tourbillon astral. Les guitares reviennent au second plan mais c’est surtout des chœurs angéliques et des synthés qui viennent border les paroles maintenant sous vocoder. Traitant du fait de retrouver dans la mort les êtres chers partis avant soi, le morceau est absolument déchirant quand on connaît l’histoire du groupe mais dresse un magnifique poème à l’espoir.
La teinte spatiale du dernier tiers marque une sorte de pont avec The Stage, pour en assurer la continuité. Mais on notera dans la composition des influences à Random Access Memory, le dernier disque des Daft Punk. Les ruptures de ton rappellent un peu Touch tandis que les roulements de la batterie évoquent le climax de Contact. Et ce ne sera pas le dernier hommage adressé à d’autres artistes. C’est particulièrement flagrant sur le triptyque final G, (O)rdinary, (D)eath dont chaque partie semble attitré à une formation particulière. Les parties de batterie sur G rappellent très fortement le jeu de feu Neil Peart avec le trio canadien Rush. Le retour du vocoder et de la guitare terriblement funky sur (O)rdinary est un hommage encore plus évident à Daft Punk que sur Cosmic. Tandis que la ballade imprévisible de (D)eath se rapproche de celles que l’on peut trouver sur l’album California de Mr. Bungle.
Cette dernière n’étant d’ailleurs peut être pas la seule référence aux travaux de Mike Patton car il est difficile d'éviter de trouver des similitudes entre la suite d’accord des parties calmes de Easier et la reprise de Easy par Faith No More. Mais tout ceci n’est peut être dû qu’à leurs titres similaires.
(O)rdinary ?
Avec toutes ces expérimentations sonores et la multitude de citations faite à diverses références, il est tout à fait compréhensible que l’album puisse donner une impression de fourre-tout informe sur les premières écoutes. Car il faut le dire, l’album est dense et copieux surtout quand on a l'a priori d’avoir affaire à un groupe accessible. En plus de la difficulté d’accoucher d’un digne successeur à The Stage avec l’ombre d’Hail To The King qui flotte encore dans les esprits, Avenged Sevenfold continue de se donner le double challenge de perpétuellement évoluer et d’honorer leurs influences en même temps. Les Californiens s’aventurent ainsi sur une ligne de crête située entre deux pentes glissantes aux creux desquelles se cachent les détracteurs habituels et la méfiance de leurs fans.
Leur début de carrière, porté par une multitude de singles devenus des hymnes de stade (Unholy Confessions, Bat Country, Afterlife, Nightmare, etc…) et Hail To The King en guise de dernier clou dans le cercueil, les a affublés de la réputation de groupe metal mainstream, mais en ont-ils vraiment déjà été un ? À l’échelle de l’album et à l’exception du dernier cité, il y a longtemps que le quintette aime expérimenter et composer des pièces complexes. On trouvait déjà un double morceau de presque 14min sur Waking The Fallen il y a 20 ans, sans compter la durée de leurs disques dépassant régulièrement l’heure d’écoute.
Il semble pourtant que The Stage ait posé un point de rupture dans leur discographie. Pensé comme un concept album, il marque un tournant qui laisse penser que le groupe réfléchit ses disques comme un tout plutôt que sur un ensemble articulé autour de quelques singles. Et c’est cette architecture qui fait de Life Is But a Dream… un édifice difficilement cernable si on se cantonne à l’analyser par blocs isolés. L’exercice devenant d’autant plus difficile si on l’effectue au travers de mauvais procès d'intention.
Car Life Is But a Dream… n’est pas un fourre-tout bordélique comme on peut le lire ici et là. C’est un disque riche qui nécessitera beaucoup d’attention et de réécoutes pour en percer l’intégralité des détails. Il est l’aboutissement d’une démarche visant à assumer toujours plus les ambitions progressives d’un groupe qui refuse de se reposer sur ses acquis. Une démarche d’autant plus risquée qu’elle provient d’une formation ayant la force de frappe suffisante pour jouer dans des stades. Pour toutes ces raisons, Life Is But a Dream… est un disque qui mérite de voir sa vie écrite sur le long terme plutôt que dans un rêve éphémère.
Avenged Sevenfold
"Life Is but a Dream"
- Date de sortie : 02/06/2023
- Label : Warner Records
- Genres : Heavy Metal, Metal Progressif
- Durée : 0:53:21
- Origine : Etats-Unis