Barry White - Can't Get Enough

Fièvre érotique

Il ne devait pas faire assez chaud sur le globe en août 1974. Le réchauffement climatique n'était pas encore d'actualité qu'un certain crooner Texan allait faire grimper le mercure de tous les thermomètres présents sur cette planète. Barry Eugene Carter est en train de se faire un nom quand, le 6 août de cette même année, il offre aux oreilles du monde entier le disque qui représente le plus l'Amour. Le "Morse de l'Amour" nous fait atteindre le 7ème ciel avec Can't Get Enough, voici donc l'occasion de célébrer les 50 ans d'un album légendaire.

Bien que né au Texas, Barry Eugene Carter vivra toute sa vie en Californie, plus précisément dans le quartier de Watts au sud de Los Angeles. Un endroit qui sent bon les trafics de drogues, les gangs et les méfaits. Il ne sera pas épargné de ce parcours, passant même par la case prison pour avoir volé près de 30 000 dollars de pneus Cadillac. Quelques mois derrière les barreaux qui feront l'effet d'un réveil via une voix assez légendaire entendue à la radio.

Le King offrira un salut au jeune Barry qui se promettra de ne plus jamais foutre les pieds en prison. Son amour de la musique le sauvera, contrairement à son frère Darryl, plus jeune de quelques mois. Ce dernier restera dans une vie de larcins et d'emprisonnements. Un regret pour le crooner qui aurait aimé pouvoir aider son cadet à s'en sortir. Néanmoins, il n'est pas surprenant de voir Barry Carter tenter une carrière dans le 4ème art. Petit, il aimait accompagner sa mère qui jouait du piano dans leur maison. Puis, en grandissant, il participera à des chorales. Mais son premier fait d'armes ne sera pas devant le micro.

Après quelques petits succès dans la fin des années 60, il se fait repérer par Forward Records, un label de Los Angeles. Son rôle est de dénicher des nouveaux talents, ce qu'il fera avec Love Unlimited, un trio féminin composé des sœurs James (Glodean et Linda) ainsi que de leur cousine Diane Taylor. Trois voix féminines, une recette qui rappelle les Supremes, groupe majeur de la Motown des années 70. L'ambition de Barry est simple : proposer les Supremes mais avec une touche de sensualité et de glamour supplémentaire. En plus de produire, il s'occupera des arrangements, offrant une grandeur et une grandiloquence à l'ensemble. Pour accompagner le trio sur scène, on trouvera The Love Unlimited Orchestra, composé de 40 musiciens, majoritairement à cordes. Avec Barry ils composeront Love's Theme, qui sera sur leur premier album Rhapsody In White, sorti aussi en 1974.

Car en plus de soutenir Love Unlimited, l'orchestre sera aussi présent dans la carrière solo de Barry James Carter, qui après quelques hésitations, décidera de prendre comme nom de scène Barry White, utilisant le nom de famille de son père (Melvin A. White) plutôt que celui de sa mère (Sadie Marie Carter). D'ailleurs, on retrouvera quelques noms connus dans l'histoire de The Love Unlimited Orchestra puisqu'un certain Kenny Gorelick aka Kenny G passera une tête, tout comme Ray Parker Jr, avant qu'il ne décide d'aller chasser des fantômes.

Bien que ne sachant pas lire la musique, Barry White reste un arrangeur de génie, offrant à ses chansons un grain et un cachet supplémentaire. Mais ce qui fera sa force se cache en lui. Son organe le propulsera vers les sommets, bien qu'au début, il fut réticent à devenir chanteur. On avait pu l'entendre avec Love Unlimited sur le titre Walkin' In The Rain With The One I Love dans une conversation téléphonique jouée. Un moment sensuel qui n'a pas dû être difficile à reproduire puisque le chanteur allait se marier avec son interlocutrice, Glodean James. L'amour n'est jamais bien loin quand on évoque White.

Sa voix profonde et grave, le chanteur la mettra en avant à partir de 1973 où il sortira deux albums lui permettant d'obtenir un succès critique mais aussi d'estime. Il est entouré de Gene Page pour les arrangements, un homme dont le CV est bien trop long pour qu'on l'évoque mais sachez que c'est une pointure des années 60/70. On pourra d'ailleurs citer le titre Never, Never Gonna Give Ya Up, présent sur le deuxième album de l'Américain, Stone Gon'. Une piste qui, avant de devenir l'hymne du Rick Roll, est un hymne du sexe torride avec son introduction sous forme de montée en puissance avant l'arrivée suave et sensuelle de Barry White pour faire monter la température.

Nous voici enfin en 1974 et le chanteur est auréolé de deux disques couronnés de succès, chacun ayant été premier au RnB album charts de Billboard. Il fallait donc enchaîner et dans ces années-là, les albums sont le meilleur moyen de se vendre. Nous sommes accueillis dans ce Can't Get Enough par Mellow Mood - Pt. I, instrumentale d'une douceur folle. Une manière pour nous de laisser grandir le sentiment amoureux auprès de l'être aimé. On le regarde, on l'approche doucement, le jeu de séduction débute, quelle sera la finalité ?
Ce que l'on peut noter, c'est que dès cette introduction, on retrouve des cuivres et des cordes autour du classique guitare/basse/batterie. Toujours cette volonté d'habiller au mieux les pistes et d'offrir une expérience totale. Ironique quand on sait que le but de ses chansons est de se déshabiller.

Débarque alors le premier tube de cet album avec sa basse ronde et groovy. Barry White nous susurre des mots doux à l'oreille tandis que les cordes prennent de plus en plus de place avant l'arrivée du premier "My First, My Last, My Everything" qui doit suffire à faire chavirer tous les cœurs du monde. En plus de nous chanter l'amour, le crooner fait bouger nos séants sur ce rythme proche du disco qui sied parfaitement à un début de soirée en boîte de nuit dans les années 70. L'occasion de mettre en lumière monsieur Nathan East, qui semble être l'homme à la quatre-cordes sur ce disque. Il n'est pas officiellement crédité, donc la prudence est de mise, mais quelques recherches sur les interwebs montrent qu'il était le bassiste de Barry White à cette période.

Arrive une ballade de plus de 10 minutes qui vient calmer le jeu. Vous arrivez dans votre chambre avec votre partenaire, vous commencez à vous chauffer tandis que sur la platine I Can't Believe You Love Me est en train d'être diffusée. L'arrivée du saxophone dans la première minute suffit à ce que le rapprochement des corps se fasse. Barry White y est encore plus sensuel avec sa voix grave. Les chœurs féminins sont toujours justes, apportant un contrepoint à la voix profonde du crooner. Nonobstant, tout suinte la tendresse, et malgré la longueur qui pourrait être déroutante, la musique se déroule avec plaisir puisque l'orchestration apporte énormément de substance à tout ce qui se déroule dans nos oreilles.

Pour notre plus grand plaisir, White démarre la face B par ce qui deviendra un de ses plus grands classiques. Une note de guitare qui suffit à ce que les ébats reprennent de plus belle. Le chanteur se mue en beau parleur sur l'intro pour susurrer des mots doux avant que l'intensité ne grimpe et que le rythme ne devienne plus dansant. Can't Get Enough Of Your Love, Babe permet de redonner un petit coup de fouet après cette fin de première face plus sensuelle et tendre. Une piste reconnaissable notamment grâce à l'utilisation des claves sur la durée du titre. Ces petits bouts de bois percussifs donnent un tempo assez naturel pour toute sorte d'activité, dont nous vous laisserons maîtres.

Point de place à la contemplation qu'arrive une autre pièce sublime. Un groove de basse qui ferait fondre n'importe quel amoureux de quatre-cordes. Un rythme chaloupé et plus calme. Le retour des voix féminines et surtout, du saxophone qui apporte une touche supplémentaire d'érotisme dans un titre qui n'en manquait pas pour autant. Oh Love, Well We Finally Made It aurait pu être une conclusion idoine à cette aventure du partage des corps. Néanmoins, on a le droit à une prolongation, avec I Love You More Than Anything (In This World Girl) et son clavecin qui dénote du reste sans pour autant être une faute de goût, bien au contraire. On retrouve les habituels violons en fond sonore et toujours le timbre si particulier de Barry White pour chanter son sujet de prédilection préféré. Mellow Mood - Pt. II vient en conclusion pour une dernière minute trente d'instrumentation afin de boucler la boucle.

"The Walrus Of Love", "Dr Love," "Prince Of Pillow Talk" ou encore "The Maestro Of Love"... des surnoms qui ne tiennent pas qu'au duo instrumentation/chant qui possède déjà de sacrés arguments. Les paroles revêtent aussi un caractère amoureux non négligeable puisque sur les cinq pistes comportant du chant, on peut retrouver 58 itérations de "Love" ou de mots du même chant lexical, sans compter les quatre titres qui comportent aussi "Love" dans leur intitulé. Un sujet qui va prendre de plus en plus d'importance grâce à Barry mais pas que.

En 1974, la Soul s'est de plus en plus mélangée au Funk et au Disco et ça, un certain Marvin Gaye n'y est pas pour rien. D'abord, avec son What's Going On? , sorti en 1971, véritable révolution à sa sortie. Ces styles de musique pouvaient revêtir un message contestataire fort sans dénaturer leur patine dansante. Il n'est pas anodin de retrouver cet album mis sur un piédestal par les oreilles du monde entier, quelles que soient les générations.

Ensuite, la poule aux œufs d'or de la Motown débarquera en 1973 avec Let's Get It On, beaucoup plus tourné autour de la célébration du sexe et de sa pratique. Quelque chose d'assez neuf aussi, le sujet étant toujours un peu tabou au début des années 70 tout le contraire d'aujourd'hui, la chanson-titre étant devenue un étendard des soirées chaudes du monde entier.

Les années 80 vont faire énormément de mal à Barry White. Il n'est plus le roi des pistes de danse, ni même des chambres à coucher. La Soul et la Pop explosent, portées par un "King" qui posera Thriller et Bad pour terminer son couronnement. Comble de l'ironie, alors que White devait devenir le producteur d'un grand chanteur, ce dernier se fait assassiner par son père en 1984. Son nom ? Marvin Gaye. La vie est cruelle. S'en suivra une certaine descente aux enfers pour le crooner dont le corps sera la première victime. Les abus de cigarettes ainsi que de nourritures principalement sucrées conduiront à une baisse drastique de son état de santé. Alors qu'il espérait une greffe de reins, un AVC sévère empêchera cette intervention. Dans les dernières semaines de sa vie, il souffrira aussi de crises d'épilepsie et, malheureusement, le 4 juillet 2003, jour de fête nationale aux États-Unis, son cœur, trop tendre pour nous, lâchera, entraînant son décès.

Voilà donc 20 années que Barry Eugene Carter nous a quitté, emportant avec lui une voix légendaire et un sens de l'orchestration inné. Fort heureusement, il nous aura laissé en héritage des dizaines d'albums dont cet excellent Can't Get Enough. Qui sait combien de nuits auront été torrides grâce à sa voix ? Combien d'enfants ont vu le jour dans un partage des corps sur fond de sa musique ? Il nous est impossible de le savoir. Ce que l'on sait, c'est qu'il est difficile de résister à sa tessiture de gorge, profonde et puissante. De quoi affirmer sans le moindre doute qu'on n'en a jamais assez.

DélicatesseIndice de la douceur de l'album. 1/5 : l'album est assez sec. 5/5 : l'album est un champ de coton
TempératureIndice du mood général de l'album : 1/5 = froid, musique globalement maussade, négative, voire violente 5/5 = chaud, musique très joyeuse voire festive
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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Barry White
"Can't Get Enough"