BILMURI - AMERICAN MOTOR SPORTS

“Nous sommes dans les années 2020. Tous les styles majeurs ont été récupérés par le metal… Tous ? Non ! Car un style peuplé d’irréductibles rednecks résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les partisans de la country.”

Les propositions musicales osées dans le metal existent depuis longtemps. On pourrait même dire qu’elles font pleinement partie de l’ADN du genre, dont l’exploration sonore est une des spécificités. Une façon d’y arriver est d’aller puiser dans tous les autres univers du quatrième art. Du rap pour créer le fusion, du jazz (notamment) pour faire du prog ou de la musique classique pour concevoir du metal symphonique : l’histoire du metal est jonchée d’artistes qui sont partis piocher ailleurs pour se créer un son bien à eux. On pourrait aussi parler de Myrath, The Hu, Finntroll, Eluveitie et tant d’autres groupes qui ont été se servir dans divers folklores locaux pour les intégrer à leurs compositions.

Malgré ce qui vient d’être affirmé, il restait un genre que le metal n’avait pas encore visité : la country. C’est désormais le cas grâce au formidable Bilmuri. De son vrai nom Johnny Franck, le musicien a démarré sa carrière avec un groupe surprenant : Attack Attack!, réputé pour son titre Stick Stickly. Depuis, il a participé à plusieurs formations, jusqu’à évoluer en solo avec le pseudonyme Bilmuri, malin dérivé assonant de Bill Murray. Sous ce nom, il a exploré quelques genres sur plusieurs EP/albums, tournant tous en-dessous de la demie-heure et faisant preuve d’un second degré manifeste (son image de profil sur YouTube est celle de Zac Efron dans Iron Claw). L’année dernière, le natif de l’Ohio a sorti AMERICAN MOTOR SPORTS, album où il a tenté de mélanger pop / country et metal moderne, le tout avec dérision. Un essai avant-gardiste certes, mais est-ce une réussite pour autant ?

Avant de parler du fond, évoquons la forme. Le musicien a pris la peine d’adopter sans aucun scrupule le decorum de la country avec une dérision évidente. L’élément le plus visible est la sublime chemise intégralement flanquée du drapeau américain et d’une énorme tête d’aigle. Il la revêt sur tous les clips de l’album, où on peut retrouver l’imagerie caractéristique du midwest américain, des rednecks et une certaine idée du patriotisme dans sa version USA. En lien avec le nom de l’album, les véhicules sont omniprésents : NASCAR, moissonneuse et tracteur-tondeuse se retrouvent sur plusieurs clips. Une belle manière de détourner certains codes d’un genre faisant souvent appel aux valeurs “traditionnelles” et conservatrices des États-Unis.

Maintenant, le fond : il ne faut pas s’attendre à entendre du bluegrass ou du John Denver en lançant AMERICAN MOTOR SPORTS. Ce sera une base rythmique typique du rock/metal qui franchira en premier vos tympans. Des riffs lourds et syncopés qu’on pourrait retrouver chez Jakub Zytecki ou encore ERRA marquent les refrains. Une sonorité proche du metalcore moderne mais avec des guitares qui vont vite venir enrichir de nuances les compositions de l’artiste. Des mélodies et accords typiques de la country moderne fleurissent sur les couplets, les six-cordes claires résonnant avec un peu de reverb. À la place du violoncelle traditionnel, c’est un saxophone qui vient agrémenter les titres de temps à autre.

Surtout, le chant de Bilmuri s’approche du timbre de la musique de Nashville : voix tremblante avec un très léger fry, derrière laquelle on sent une sensibilité certaine. Le vocaliste ne dénoterait pas sur un album du style, il manque simplement l’accent sudiste. Quant à ses paroles, on est pile dans la case des troubles amoureux qui font la joie des charts country US.

Les quatorze titres d’AMERICAN MOTOR SPORTS présentent une belle diversité sur le spectre entre country et metal. MISS ME et DRUNK ENOUGH font la part belle à la country, laissant de côté l’aspect metal. À l’inverse, ce dernier prédomine sur THE END et sur la fin de SPINNIN' YOU AROUND, qui finit avec un énorme breakdown. Le juste milieu se trouve sûrement sur EMPTYHANDED où les deux genres cohabitent à merveille.

L’album s’écoute très facilement, les titres ne dépassant que très rarement la barre des trois minutes. Plus surprenant, l’aspect humoristique omniprésent sur les clips est quasiment absent du disque. Bilmuri nous propose en réalité un album cohérent qui passerait sur une playlist aléatoire sans aucun problème. AMERICAN MOTOR SPORTS peut vous réconcilier avec la country tout en vous faisant hocher la tête. Le mix country/metal qui pourrait paraître abscons sur le principe se révèle parfaitement valable et même séduisant par moments. Et si l’album ne va sûrement pas révolutionner la scène, il y a moyen qu’il donne des idées à d’autres artistes, ce qui serait admirable pour une démarche qui semble si facétieuse au départ.