Bound - Haunts

Nos écoutes sont souvent impactées par un contexte. Comment l'on se sent, comment l'on veut se sentir et bien entendu, l'environnement dans lequel on se trouve. Prenons la période actuelle de l'automne où bien souvent, nos fins de journées ressemblent à leurs débuts. On affronte la pénombre et l'humidité pour aller vers nos obligations avec cette impression d'être l'une des premières âmes éveillées aux alentours.
Pour certains, la musique qu'ils choisiront sera énergique, cherchant à casser le ton de ces moments parfois moroses. D'autres, au contraire, préféreront s'immerger dans l'ambiance de ces instants, afin d'intensifier leur sensation de calme et de bulle dans lesquelles ils se trouvent.
Si vous vous reconnaissez dans cette seconde description, il est probable que l'album dont il est question aujourd'hui puisse vous séduire et devenir un de vos compagnons de route.

Bound est un quatuor de Washington D.C, proposant une musique mid-tempo piochant dans divers genres musicaux aux esthétiques oniriques. Nous pouvions l'entendre dans leur premier album No Beyond en 2018, où shoegaze, goth rock et dream pop côtoyaient par instant une lourdeur évoquant le post-metal et le doom.
Deux ans plus tard, le groupe nous offre son second effort : Haunts. Un album se voulant bien plus personnel, en particulier pour son frontman Bryan Buchanan et Trish Harris, respectivement guitariste chanteur pour l'un, claviériste , voix additionnelle et graphiste de la formation pour l'autre. Haunts puise son inspiration dans l'exploration de lieux pour lesquels les membres ont une forte connexion émotionnelle, allant jusqu'à utiliser des objets de ces différents endroits pour les intégrer aux compositions.
Un thème prometteur d'émotions, où le making-off nous laisse entrevoir via quelques instants choisis les efforts réalisés par les membres, en particulier Bryan, que nous pouvons voir enregistrer des sons d'objets, utiliser une multitude de pédales d'effets, ou ajouter des instruments. Tant de moyens pour délivrer in fine Haunts tel que désiré par le groupe.

Quand l'on voit le fruit de tout ce travail, on ne peut que trouver ces efforts justifiés. Le quatuor nous propose une musique raffinée qui nous transporte avec eux, l'album étant pensé comme un voyage où chacune des pistes s’enchaînent naturellement.
Je parlais précédemment de la multitude de sonorités qui ont été recherchées et utilisées. Paradoxalement, il nous vient lors de nos premières écoutes une sensation de simplicité. Bound est en effet moins écrasant et exubérant que certains de ses confrères des scènes post-rock/metal. La formation est très fine dans sa façon de distiller sa musique. Elle placera ses ambiances et son arsenal sonore afin de relever intelligemment certains passages et de donner de l'intérêt à l'écoute intégrale du disque.
Autre point remarquable, la dynamique dont ils font preuve au sein de leur écriture. Prenez le morceau d'introduction, The Bellows. En 5 minutes, le groupe ouvrira sur des guitares menaçantes et un chant hanté avant de se mouvoir sur un interlude intimiste avec une voix dépouillée, repartant de plus belle avec un arpège de synthé donnant une sensation épique et galvanisante. Rien n'est à jeter : les transitions sont efficaces, le tout parfaitement cohérent, permettant à notre attention d'être happée. Saluons au passage un très bon mix, se permettant tout de même de cacher quelques petits détails que décèleront celles et ceux qui se plongeront plusieurs fois dans le voyage.

À l'image de cette piste d'introduction, Bound usera d'ambiances, d'instrumentations et de transitions tout au long de son disque pour nuancer son univers. Chaque morceau possède son aura, son petit détail qui le différencie sensiblement des autres, nous laissant en tête plusieurs passages de l'album après chaque écoute.
Citons par exemple le solo de The Line, qui apporte un côté grandiose après un build-up doux où une guitare jouée à l'archet accompagne des percussions trip hop et des lignes de synthé. Ou encore The Small Things Forgotten se terminant sur une batterie intense alors que le reste du mix disparaît progressivement, apportant un sentiment tragique, comme si quelque chose s'effaçait à tout jamais derrière le tumulte des percussions.

Non content d'être musicalement bien ficelé, Haunts est de plus parfaitement illustré par Trish avec cette pochette énigmatique, représentant une brume dans la forêt. Son travail graphique sur l'ensemble des visuels du groupe est un plus pour la formation, lui créant une identité (on devine même dans la brume un clin d’œil à leur précédent album, une fougère en pleine éclosion). Son travail capture parfaitement l'ambiance de Haunts, majoritairement mélancolique.
Notons tout de même quelques titres offrant des moments de douceur bienvenue. Parmi eux, le magnifique The Ward, de sa délicate introduction à son final unissant délicieusement les voix de Bryan et Trish, répétant la même phrase tel un mantra. Ou encore le refrain de The Last Time We Were All Together et ses chœurs au goût d'éternité, où l'on ressent la communion évoquée. Des morceaux proposant des instants plus lumineux, apportant un contraste plus marqué à la tracklist.

De par son sens de la dynamique, ses compositions léchées et la minutie appliquée quant au travail esthétique, Haunts est sans aucun doute l'un des disques à savourer de cette fin de 2020, son ton automnal évoquant parfaitement cette période. Un album pour ceux qui aiment se perdre, contemplant un instant la solitude de leur monde. Bound ne demande qu'à vous hanter dans ces moments avec son élégante musique.