BRUIT ≤ - The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again

Quand l'espoir renaît des cendres

J’ai peur de notre monde. Je suis effrayé par le futur déshumanisé qui se dessine devant mes yeux impuissants. En tant que petite fourmi, énième maillon d’une chaîne dépassant les limites de mon esprit, je me sens souvent perdu, pas à ma place sur cette planète où s'enchaînent les mauvaises nouvelles. Souvent je m’accroche à des bouts de ficelle afin d’adoucir ce quotidien en rêvant d’un avenir plus cotonneux pour moi, mes proches, notre humanité.

Voilà dans quel état d’esprit je me retrouve le plus souvent lorsque je cherche à m’évader dans la musique, cet art excellant dans l'apaisement des mœurs de chacun. C’est avec ce perpétuel brouillard en tête, fatigué d’une journée de travail peu épanouissante qu'un soir, je suis tombé sur une recommandation musicale d’un ami qui bouleversa ma soirée et les jours à venir.

Un groupe répondant au nom de BRUIT ≤ s'offre à mes oreilles. Promu comme une pépite d'ingéniosité, il sort ici leur premier album : The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again. Un titre à rallonge explicitant parfaitement ma pensée envers notre monde. Le premier contact est réussi mais je ne m’attendais pas à ce que le voyage proposé me chamboule autant.

Si l’on tient à mettre des étiquettes afin de ranger cet album dans le spectre sonore, on pourrait parler de Post-Rock. Mais résumer cet album à ce simple genre est bien trop réducteur, tant cela appauvrit leur identité musicale. On y ressent évidemment une certaine affection pour divers effets de reverb, ainsi que des compositions très oniriques et cinématographiques que de grands noms comme Godspeed You! Black Emperor ou Mogwai n'iront certainement pas renier. Mais cette œuvre se place au croisement de la puissance des guitares et de la batterie, du grandiose des arrangements classiques et de la richesse sonore de la musique ambient. Si ces genres sont souvent hybridés, il est rare de témoigner d’une œuvre qui les synthétise de façon si évidente, rendant l'interaction de ces univers sonores si uniforme et cohérente.
De leur vision artistique globale, on perçoit tout un travail sur de nombreuses atmosphères pour y dépeindre un sublime voyage dans notre modernité. Il en émerge une étonnante maturité de la part du jeune groupe, n’ayant à leur actif qu’un EP avant ce premier disque. Le nom qu'a choisi le quatuor toulousain pour représenter leur entité est au final assez cocasse car antonyme de leur musique.

Notre épopée commence par un constat. Cette machine qui brûle, nous la voyons en pleine effervescence, inarrêtable, prête à continuer sa danse mécanique jusqu’au point de non-retour, là où l'extinction est inévitable. Industry dépeint des ambiances mélancoliques et déconstruites. Une tension ne cesse de grandir de par l’urgence d’une batterie affolée en contraste à la lente complainte des cordes, où arrive l'explosion. La reverb envahit alors notre esprit et laisse place à notre plongée dans l’inconnu. La danse des violons se stoppe, les couches d’instruments se dispersent pour mettre en place la désolation totale que la course infernale des industries a laissé derrière elle. Les derniers Hommes ne se sont rendus compte que trop tard de leurs erreurs, guidés par un discours nous demandant de stopper cette quête à la compétition éternelle. Il était cependant impossible de l'arrêter à ce stade, la machine n'aura laissé que poussière derrière son macabre sillage.


C'est dans ce paysage que se place Renaissance. Guidée par l’acoustique d’une guitare, la vie reprend son droit dans une ambiance champêtre, entre folk et pièce orchestrale. La nature se pare de ses couleurs d'antan. Les saisons et les siècles passent jusqu'à ce que des arbustes percent les cendres et nous redorent d'espérance en devenant de fiers feuillus. La nouvelle explosion sonore entendue en fin de piste nous fait comprendre qu'un nouveau cycle commence.
Nous sommes alors transportés dans une nouvelle atmosphère mise en place par les boucles hypnotisantes de la musique ambiante, où synthétiseur, cassettes audios et autres joyeusetés viennent nous apaiser. Parmi ces forêts, nous suivons un de ses plus vieux habitants : Amazing Old Tree raconte l’histoire d'un de ces arbres ayant assisté au déclin de la civilisation, puis à son renouveau. Les survivants de la précédente extinction se sont empressés de bâtir de nouveaux monuments sur les ruines de leurs ancêtres. Mais dans leur précipitation, les Hommes n'ont rien appris de leurs erreurs et ont perpétué le cercle vicieux, les menant une fois de plus à leur perte. C'est avec une grande mélancolie que nous assistons à la mort du grand seigneur, tombant lui aussi face à l'avidité de l'humanité.
Et c’est ainsi que la machine brûle de nouveau, dans un crescendo dantesque. Les cors viennent s’ajouter au quartet post-rock pour conclure cette odyssée musicale sur le titre éponyme. Il y est dépeint d’une tristesse sourde la nouvelle chute de notre espèce, encore une fois aveuglée par sa compétitivité. Le titre se termine sur un interlude doux, s’évanouissant sur la même plage sonore débutant l’album, faisant écho au cycle d'autodestruction que notre espèce ne cesse de perpétuer.

Cette histoire nous renvoie à notre monde et nos craintes contemporaines. Obnubilés par le profit, nous ne voyons pas la fumée que provoque l’incendie de nos machines. BRUIT ≤ signe ici une ode anticapitaliste, reflétant leur peur du déclin. Un constat de notre époque, une véritable toile où notre esprit projette sa peinture pour faire vivre les thématiques abordées. Notre monde s’éteint avec une mirifique bande son.

La surconsommation de notre société a malheureusement aussi atteint cet art. La logique du profit fait qu'il faut toujours produire de plus en plus, afin d'atteindre la sacro-sainte rentabilité. Nous nous retrouvons perdus dans cet océan sonore, où baignent de nombreux artistes et où certains passent totalement inaperçus. Depuis notre radeau, on cherche la lumière du phare, l’accroche par un beau visuel afin de tomber nous aussi, sur la perle rare. C'est là que l'éternelle recherche devient fructueuse, lorsqu'on tombe sur l'album qui nous happera dès la première note et qui nous accompagnera durant notre brève existence. Mais au prix de combien d’artistes, de disques laissés sur le côté et qui mériteraient tout autant notre attention ? L'un des premiers passages vocaux de The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again est tiré d'une conférence d'Albert Jacquard, biologiste et humaniste français nous invitant à stopper toute compétition néfaste, de revoir notre système de pensée et d’apprécier ce qui nous est offert. Là est peut-être la solution.

Ma seule intention avec cette chronique était de vous offrir ma sensibilité sur cet épineux topic . Le sujet de l'album a résonné en moi, je me pensais naïvement seul dans ce monde que très peu optimiste envers un futur radieux. Il s'avère que d'autres personnes sont aussi dans cet environnement gris, et les musiciens de BRUIT ≤ sont de parfaits exemples de personnes inspirantes. Ces artistes ont extrait l'essence de notre morosité ambiante la sublimer au travers d'une atmosphère poignante. Ce sont dans ces moments, sortis de ces écoutes marquantes, que je me rends compte que le négatif ne règne pas en maitre autour de nous. Ce sont ce genre d'albums qui nous donnent la flamme pour continuer de nous battre. Car la vie, accompagnée de si belles mélodies, vaut la peine d’être vécue.

FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
MélancolieL'album inspire plus ou moins la mélancolie, les sentiments maussades et embaumés d'un vague à l’âme. 1/5 : Vous ressentez une légère pique de tristesse. 5/5 : Vous êtes plongé dans les tréfonds du spleen
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
Bouteilles de plongée

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BRUIT ≤
"The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again"