Car Bomb - Meta

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Il y a des groupes dont on sait dès la première écoute qu'ils ne franchiront pas un certain seuil de notoriété. Car Bomb, quatuor new-yorkais existant depuis les années 2000, en fait partie. Non pas que leur musique soit "mauvaise", la réception de leurs œuvres étant de toute façon subjective. Plutôt, en les écoutant, on se rend très vite compte que leur approche et leur conception de la musique est telle qu'elle s'affranchit sans gène des "canons" permettant d'appréhender l'art sans trop de difficulté. De fait, en s'éloignant de ce cadre, les musiciens rendent ardue toute approche de leurs créations, limitant de facto le nombre de fans potentiels.

Pourtant, une fois qu'on a compris ce cadre et comment le dépasser, Car Bomb est une pépite mélangeant avec talent ses influences parmi lesquelles on trouve Meshuggah, The Dillinger Escape Plan ou Deftones. Sorte de metal extrême avec des accents djent et des éclaircies mélodiques tout en étant complètement déstructuré, le son du groupe peut s'avérer absolument jouissif. Leur troisième album Meta, sorti le 28 Octobre 2016, en est un parfait exemple.

Quatre ans après w^w^^w^w, l'album s'annonçait aussi compliqué à appréhender que son prédécesseur était à prononcer. En guise d'échantillon, le groupe proposait From The Dust Of This Planet, puis Black Blood et enfin Sets. Étant toujours sous label indépendant, la dernière œuvre du quatuor bénéficiait d'une sortie limitée (les ventes se faisaient uniquement via internet) mais néanmoins appuyée par le fait qu'il s'agissait d'un des premiers albums produit par Joe Duplantier, frontman de Gojira, dans son studio flambant neuf Silver Cord à New York. Le disque avait ainsi attiré quelques curieux en plus des aficionados de Car Bomb.

Faisant lieu de première impression, la pochette de l'œuvre est aussi simpliste d'apparence que compliquée à démêler. Comme la musique, on entrevoit ce que représentent ces formes géométriques, mais tout remettre en place relève de l'impossible. L'ensemble conserve une beauté certaine bien qu’inexplicable.

Pour ce qui est des compositions, le terme d'agression impitoyable est sans doute le plus approprié. Dès l'introduction, From The Dust Of This Planet nous fait comprendre à quoi nous avons affaire : un riff lent et lourd, du blast beat, un couplet aussi effréné que violent et un refrain au rythme inconcevable. Ici, tout se côtoie sans ordre ni continuité mais garde une cohérence surprenante, l'élément liant se révélant être l'envie de rouler sur la personne s'aventurant dans une écoute des Américains.

Toutes les techniques connues y passent : le guitariste Greg Kubacki n'est pas avare en effets et a recours à une pléthore de pédales pour des bruitages aussi inhabituels et désarmants qu'adéquats dans les morceaux où il les insère. À noter, l'utilisation de l'Evil Pumpkin sur Secrets Within, pédale à la distorsion ravageuse et destructrice dont l'usage sera démocratisé sur l'album suivant Mordial. Mais c'est surtout la hargne et le mordant de la distorsion de sa guitare, bien supportée par la basse de Jon Modell qui marquent le son du groupe. Le growl rageur Michael Dafferner n'est pas en reste et couplé avec la batterie frénétique d'Elliot Hoffman ainsi qu'avec les guitares, le groupe a l'effet qu'évoque son nom : une explosion mettant à nu nos nerfs.

Cependant, l'aspect rendant le groupe hermétique au public n'est pas cette brutalité peu commune, mais bien la déconstruction des morceaux. Oubliez toute mesure classique, car Car Bomb l'a dépassée. Laissez de côté ce métronome inutile, le quatuor l'a jeté à la poubelle. Prenez en exemple la caisse claire du batteur : alors qu'en temps normal elle devrait dicter le tempo et prendre par la main la personne se lançant dans une écoute, elle semble au contraire totalement aléatoire dans ses placements, tourmentant et bouleversant quiconque tente l'expérience. Cela s’aperçoit très bien en concert, où le public est généralement perdu et ne sait comment bouger sur leur musique.

Menés par cette batterie se moquant du temps et des intervalles pouvant guider tout auditeur, les musiciens se complaisent dans le chaos émergeant de leur compositions, qui dès lors bénéficient de dynamiques et de rythmes vivifiants et incomparables. Les changements constants font penser à un roller-coaster jouant avec des montées et des descentes imprévisibles mais tout aussi appréciables les unes que les autres, si tant est que l'on aime ce genre de manège.

Malgré cet aspect insaisissable, une des forces de Meta se trouve être l'ensemble de ces petits instants de calme glissés ça et là dans l'album, tel des moments de répit entre deux chutes intenses de l'attraction. Ces fugaces intermèdes donnent parfois l'occasion à Michael Dafferner de changer de registre et de nous offrir des passages en voix claire. Il témoigne ainsi de la versatilité du groupe, bien cachée derrière les murs de violence qu'érigent les New-yorkais.

On entend aussi la voix posée du frontman sur les passages où l'influence de Deftones prend le dessus, comme sur le superbe refrain de Gratitude où le groupe se calme et repousse brièvement la destruction qui le caractérise en général.

L’album marque surtout par sa puissance et la violence qui y est déployée de manière viscérale. L’impression que les membres ont composé à l’instinct pour détruire leur audience est palpable, bien aidée par une production carrée, polie et pourtant brute de décoffrage. À part peut-être ceux de Gratitude et de Cenotaph, les débuts des morceaux commencent tous brutalement, en particulier Black Blood et Lights Out qui nous explosent au visage sans ménagement. Meta est assez monolithique dans cet aspect : écouter l’album, c’est se prendre un bloc de béton sur le crâne. Il y a bien quelques fissures ça et là, mais elles sont négligeables face au poids qu’on reçoit sans avertissement.

Ce troisième album de Car Bomb est au final un obus artisanal destiné à fracasser les casques de ceux qui croisent son chemin. Les guitares mitraillent, la batterie pilonne et la voix déchire le ciel au long de sa durée. Les changements incessants de rythme ou de tempo sont autant de détonations autour de vous, vous désorientant et créant une atmosphère oppressante bien qu’étonnamment appréciable.

Soyons clair, Meta ne sera pas pour tout le monde, s’étant jonché au milieu d’un no man's land où peu de gens s’aventurent de leur plein gré. Mais si vous prenez le temps d’explorer et de comprendre le chemin y menant, alors le disque sera une découverte renversante changeant votre perception du temps.

DélicatesseIndice de la douceur de l'album. 1/5 : l'album est assez sec. 5/5 : l'album est un champ de coton
ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
RiffingIndice de la qualité technique. 1/5 : Bof bof, même votre petit frère ferait mieux. 5/5 : Ok Steve Vai, on te laisse faire
Consigne du maître nageur :
Sous-Marin
Sous-Marin

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Car Bomb
"Meta"