La beauté du temps est un merveilleux sujet. Ce luxe qui coule entre nos mains, sans espoir d’être conservé, est indicible, mais présent. Il berce au fil des changements de l’enfance jusqu’à la fin. Le temps ne peut qu’être pris. Cette phrase qui résonne dans l’oeuvre dont je souhaite parler aujourd’hui en est quasiment la clef. Mais Clément Belio est un nom familier de trop peu d’oreilles pour que je vous dispense de clarifier quelques choses.
Patience sorti au printemps 2019 n'a pas fait énormément de vagues. Il s’agit de l'album d’un jeune musicien bordelais. Érudit, mais à l'approche très personnelle. Il n’est dans le sillage de personne. Cependant il emprunte à beaucoup. Il ne dupe, ne travestit personne. L’oeuvre est une réunion unique et en même temps immaculée de l’ombre d’un soupçon de copie. Ce qu’il fait s’apparente à un exercice sur les limites entre reprise, influence, plagiat et mariage. En allant trop vite, on pourrait s’exalter à parler d'avancée dans l’approche progressive de la musique. Pour autant, notre Clément Belio ne fait pas de prouesses inimaginables. Son jeu, sa technique, la production, outre leurs airs très singuliers, n'opèrent pas de révolutions. Il y a un travail énorme de collage, de redécoupage même. Ce travail lui est essentiel, est-ce qu'il est seulement progressif ?
Cela semble étrange d’avoir employé ce terme. Malgré le fait que sa catégorisation dans l'arbre généalogique du rock progressif est perceptible, comme on le pressentira plus loin, ce n'est pas exactement ce qui ressort de la musique de Belio. L'intention artistique est proche, mais il y a une nuance importante à apporter. Déjà, résumer les idées de la musique progressive n’a pas de sens. La musique progressive, et plus précisément le rock progressif, est plutôt une forme diffuse d'intention qu’un véritable paradigme singulier de création musicale au départ. On veut « faire » avancer le « rock » (par exemple) en y implémentant de nouvelles sonorités, en y important l’influence des autres arts. Ces derniers temps, ce qu'on nomme progressif est différent, c'est un paradigme, avec des codes, des marqueurs, particulièrement en rock et en metal. Et c’est sur ce détail qu’il faut à mon avis porter son attention. Y a-t-il une généalogie précise dans laquelle Belio s’inscrit directement ?
Se trouver au croisement des flux...
Il se sert dans le rock, dans le jazz, le classique, la musique traditionnelle, allant de Plini à Snarky Puppy, picorant chez J.views, Jacob Collier, Townsend, sans oublier l'indéniable aura de Tigran Hamasyan qui plane le long des morceaux. Bien entendu, il s'en oublie. Ce n'est pas l'important, la question étant : peut-on directement projeter Belio dans un de ces mouvements sans devoir omettre 75% de l'oeuvre ? C'est très improbable. Le dosage et le redécoupage sont très fin, et c'est là l'intérêt et la démarche de l'album. Belio est dans un monde à lui : Il a formé sa singularité. Il a fusionné, emprisonné durant sept ans d’effort tout un amalgame d'expériences musicales, sonores et humaines. Il crée l'image d'un temps, il forme les sons d'un imaginaire qui lui est propre. Un recueil de la durée infinitésimale de 50 minutes et 29 secondes où s’égrène seconde après seconde un temps riche de sept années de vie condensées, sept années d’écoute : sept années compilées de souffle.
Le leitmotiv: illustré dans la première vidéo ci-dessous
Le coté artisanal est indéniable dès le départ. C'est ce qui offre, d'une façon, une forme de satisfaction dès la première écoute. Découvrir quelque chose de personnel dans sa gestation même attise la curiosité. Sept ans pour produire une oeuvre, c'est assez peu conventionnel de nos jours. Il s'inscrit donc dans cette mouvance actuelle de productions "faites maison" venues injecter du sang neuf sur les plateformes d'écoute ces dernières années. Belio a apporté un soin très particulier et appréciable à sa post-production, ce qui le distingue de la majorité de ses camarades auto-produits, et sans sourciller. Ce point fort lui donne une marge de manoeuvre. Les écarts, les errances multiples que Belio entreprend de nous présenter passent d'autant mieux.
Prendre son temps, et prendre l'air
Le souffle de l’air, c’est la sensation que le son évoque indéniablement. Patience fut un enregistrement auquel il a donné un ressenti distant, vibrant et résonnant. Il est lointain et éthéré, paisible. Souligné par les sons de clochettes frêlement dérangées par la brise, le leitmotiv de l’album est présenté par Dive In. Ainsi harmonieusement lancée et avec délicatesse, la piste suivante, Take your time démarre l'envol. Pour souligner parfaitement le message, intimant à l'arrêt, à la pause, la musique est douce comme une aurore encore fraiche de l'humidité de la rosée. Les harmonies de ce début d'album font toute la sève de ce message. Elles se languissent, lasses et presque maussades. Les développements mélodiques et harmoniques se font main dans la main, avec une continuité délicieuse. Les virages, les hauteurs et les pauses par lesquelles nous passons sont négociés avec une grande souplesse. Au départ moroses et distants, les cadences et les rythmes judicieusement choisis nous font explorer une multitudes de variations du leitmotiv de l'album. Allant d'un caractère reposé, gai, pacifique vers des moments soit éclatants, ou plus exotiques, frénétiques, voire même las et fatigués. A mesure que les moments défilent, l'album se rafine de plus en plus, devient de plus en plus délibéré.
En effet, ces déambulations se font toujours avec un esprit rattaché au thème de l'oeuvre. Le leitmotiv venant sournoisement émaner le temps qui coule, entre les barres, pour épuiser chaque fois un peu plus la richesse des possibilités. Il s'entend également dans les pauses judicieusement placées au sein des 50 minutes de flux continu.
Embrasser le temps
Patience est une oeuvre qui donne l'air de plonger dans des images qui se séparent de la charge du temps. Délester momentanément l'auditeur de son poids, telle semble être la tâche qu'elle se donne. Comme entre La danse macabre et Dust où la danseuse semble éclater en poussière pour épouser une forme intemporelle au lever de l'aube. Entre naître et mourir, tout n'est qu'affaire de temps. Le propos de l'album s'affinant, la tâche semble se rapprocher de plus en plus de son accomplissement, et les côtes funky puis paisibles, baignées de soleil de Grey zone semblent être la dernière frontière vers la quiétude. Du rivage intemporel à nous, il n'y a plus qu'un pas à faire. Ce pas innocent, presque hasardeux, c'est lui qui introduit Trampoline. Ce morceau résume si bien le délestage magique s'opérant durant l'écoute. On est comme de retour dans la légèreté d'un sourire enfantin, pris dans une bulle, insouciante de l'indicible et adoratrice de chaque seconde. Après une digression au piano, le souffle revient creshendo pour ensuite terminer aussi brutalement que majestueusement le moment merveilleux.
Les portes d'un espace intemporel, simple et doré, se referment doucement. Reviennent alors les échos de clochettes. La fin de ces éternels instants, si naturelle, en est déchirante, mais surtout délivrante. Toute chose a évidemment une fin.
Il ne reste pas grand chose à vous dire. Si ce que vous recherchez ici est un moment intéressant d'exploration instrumentale fraîche, faite maison, vous avez frappé à la bonne porte. Le travail est ici de bonne facture. Et si d'aventure ce que j'ai pu en dire vous a donné envie de vous perdre dans une minuscule heure d'errances printanières, et de respirer, je vous souhaite une agréable écoute.
Clément Belio
"Patience"
- Date de sortie : 06/05/2019
- Label : Autoproduit
- Genres : Jazz, Rock Progressif
- Origine : France