Soundbather

Los Angeles sur Mer, 28 mai 1965.

Un dernier coup d'œil dans le miroir : rien ne dépasse. La coupe est agrémentée d'un petit coup de Pento, les dents sont blanches et l'haleine est fraiche. Votre barbe courte est taillée et aucune crotte de nez ne dépasse de votre appendice nasal.

Costume noir, chemise blanche, nœud papillon bordeaux, vous vous sentez prêt pour cette soirée. Au moment de quitter la maison familiale, votre mère vous couvre de compliments tandis que votre paternel acquiesce d'un geste de la tête et d'un regard complice. Il vous tend les clés de sa Ford Mustang en prenant soin de vous préciser qu'à la simple rayure, il pourrait se passer de mauvaises choses.

S'en suit une tape sur l'épaule et vous partez, le stress au ventre, retrouver votre demoiselle.

Ce soir, c'est bal de promo et vous n'avez pas envie de tout foirer. Surtout que vous serez accompagné de la fille qui vous fait tourner la tête depuis le début de votre scolarité : Louise Flemming. Le simple fait qu'elle ait accepté votre demande est une victoire et un fardeau. Vous vous imaginez tous les scénarii possibles, y compris les pires, sur le trajet allant au domicile de ses parents. Allaient-ils vous valider ? Est-ce que la première impression allait être la bonne ?

Vous vous garez devant chez elle, elle vous attend, dans sa très belle tenue rouge qui correspond au bordeaux de votre nœud papillon. À croire que le hasard fait bien les choses. Vous saluez ses parents qui semblent ravis de vous voir puis, vous l'accompagnez jusqu'à votre carrosse direction la salle de bal.

En chemin, vous discutez du groupe prévu pour animer la soirée. Un orchestre venu tout droit des Pays-Bas composé des Dawn Brothers et de DeWolff. Aucun de ces noms ne vous parle mais vous faites confiance aux organisateurs. Une fois arrivés, vous discutez ça et là le temps que la musique se lance. Vous espérez être toujours pimpant tandis que vos amis vous chambrent sur votre look de pingouin, vous qui êtes plutôt habitué à paraitre décontracté. L'ambiance reste bon enfant et vous en profitez pour boire du punch afin de décompresser un brin.

"Bonsoir Los Angeles sur Mer ! Nous sommes les Dawn Brothers et nous sommes avec nos amis de DeWolff ! Est-ce que vous avez envie de vous déhancher ce soir ?"

Dans un brouhaha, les gens répondent oui en chœur tandis que le groupe se lance dans ses premières notes. Vous qui n'êtes pas un grand danseur, vous vous laissez entrainer au rythme des titres, porté par le groove des cuivres présents pour donner une chaleur au blues rock qui se présente devant vos yeux.

Tandis que l'orchestre enchaîne ses morceaux, vous espérez ne pas être trop ridicule dans votre déhanché, tout en dévorant du regard Louise, qui étincelle de par ses mouvements chaloupés. Vous n'arrêtez pas de vous dire qu'elle est bien trop belle pour vous mais pourtant, elle n'arrête pas de vous sourire pendant que vos pieds bougent sur What Kind Of Woman ou encore Let Me Tell You (About My Baby).

Au bout de quelques titres, vous décidez de retourner au bar prendre un autre verre de punch. Vous enchaînez par une sortie dehors pour souffler car le cardio ne suit pas vos envies. Vous discutez avec vos amis qui vous chambrent gentiment sur vos pas de danse avant de vous rassurer sur l'issue de la soirée. Selon eux, vous ne pouvez pas vous foirer avec Louise. Entre ces bons mots et l'effet du punch, vous êtes reboosté et vous retournez sur la piste pour contenter votre partenaire.

Malheureusement, c'est à ce moment du spectacle que les musiciens décident de jouer leurs slows, de quoi vous crisper sur place. Vous vous faites les pires scénarii dans votre tête pendant que vous voyez les autres couples se rassembler pour danser. Au même moment, vous voyez Louise quitter les lieux un peu précipitamment. Vous la suivez pour la voir assise par terre, seule :

" - Ah t'es là ? J'espérais que tu ne me trouves pas. J'ai besoin de prendre l'air.
- Est-ce que je peux t'aider sur quoi que ce soit ?
- En vérité, j'ai jamais pu supporter les slows, je déteste l'ambiance et tout ce qu'il y a autour."

Parmi tous les scénarii dans votre cerveau, celui-ci n'avait pas été prévu. Vous décidez de vous asseoir et de discuter avec elle de tout et de rien. Jusqu'au moment fatidique où, plongé dans votre regard, elle se rapproche de vous. Malgré la rapide panique qui vous prend, vous suivez son mouvement et se passe ce qu'il doit se passer. Vous convenez d'un seul slow pour montrer aux autres votre amour.

"Allez les amoureux, c'est notre dernier slow alors si vous n'avez pas encore conquis votre partenaire, c'est maintenant ou jamais !"

Se lance un titre au nom plutôt à propos : Loverman. Vous rentrez dans la salle, votre main liée à celle de Louise et vous vous mettez à danser, sous le regard envieux des autres personnes. Votre duo est sous les projecteurs tout le long de la piste et votre slow envoute toute la place. Au moment des dernières notes de trompette, vous embrassez de nouveau votre chère et tendre sous les vivas de vos amis. Ce à quoi le groupe se décide d'embrayer par des morceaux plus enjoués, afin de terminer la soirée de manière festive. C'est avec Hear Me Singing (Na Na Na Na Na Na Na Na) que toute la salle se met à se dandiner et à reprendre les paroles des musiciens.

En sortant de la soirée, vous décidez de pousser un peu en allant vous poser dans un parc aux alentours afin de profiter de la belle nuit étoilée. Vous sentez l'adrénaline descendre et la fatigue prendre le pas, poussant vos yeux à se fermer tout seul au clair de lune. À vos côtés, Louise assiste à la scène et décide de vous réveiller en vous secouant :

"Charles ! Oh Charles ! Réveille toi !"

Sauf qu'à la douce voix de Louise se substitue celle de votre collègue Marc qui vous voyait parti dans vos pensées. Les années 60 ne sont qu'un lointain souvenir et vous revenez à votre bureau, la mine un peu triste d'avoir été sorti de votre rêve éveillé.

Par chance, il reste un vestige de tout ceci, le disque que vous veniez d'écouter juste avant votre pause. Un album sorti tout droit de cette époque et pourtant publié en 2022 grâce à l'inventivité des Dawn Brothers et de leurs compatriotes de DeWolff. Vous l'avez bien apprécié alors vous décidez de vous le remettre, tel un vestige de ce moment de féérie bien trop vite terminé.

Néanmoins, vous profitez de tout ceci pour réfléchir à votre collègue Louise qui vous plait. Vous savez qu'elle aime beaucoup les années 60 et 70 et ce disque pourrait être un argument parfait pour lui proposer de boire un verre chez vous. Malgré votre timidité, vous sentez qu'il s'agit du bon moment pour lui demander car, par quelconque magie, Double Cream semble vous désinhiber tel un verre de punch dans un bal de promo. L'occasion parfaite de passer du rêve à la réalité.