Dead Can Cance - The Serpent's Egg

Lorsque les anges nous rendent visite.

Le 4ème art, comme tous les autres, est quelque chose de complexe. Il en existe de nombreux genres, tous aussi variés les uns que les autres. Une multitude d’étiquettes qui, parfois, nous perdent un peu dans ce vaste univers à la fois enchanteur et effrayant de par sa diversité et son infinité. Mais les cases ne définissent pas les artistes. Il existe des entités qu’il est impossible de catégoriser avec justesse tant leur musique est unique. Des groupes qui, au fur et à mesure du temps, ont créé leur propre univers et sont de véritables OVNI, quelque-soit la scène à laquelle on tente de les affilier. Alors si vous n’avez pas peur de vous perdre dans des contrées inconnues, je vous invite à me rejoindre dans l’exploration de l’album dont il est question dans cette chronique.

Dead Can Dance3 Lisa Gerrard (à gauche) et Brendan Perry (à droite), circa 2010.

Dead Can Dance, c’est une formation originaire de Melbourne en Australie et dont il vous faut retenir deux noms : Brendan Perry et Lisa Gerrard. Ils sont les guides, les maîtres de ce voyage spirituel qui va se dérouler durant les 36 minutes de The Serpent’s Egg. De par les instrumentations de Perry et Gerrard en passant par le duo de voix qu’ils forment, tout dans ce disque déstabilise autant que cela fascine. En plein essor de la new wave, Dead Can Dance va développer un univers où se mêlent des chants d’inspiration liturgique, des sonorités médiévales, des influences orientales et tribales ainsi que des ambiances éthérées. Abandonnant alors complètement l'influence classique de leurs précédentes sorties, ce 4ème album sorti en 1988 marque le début d'un virage vers des contrées inconnues.

Si mes quelques mots ont attiré votre curiosité et pour plus d'informations sur la carrière du groupe, je vous invite à aller regarder la video qu'Enjoy The Noise a consacré au groupe sur sa chaîne YouTube.

Brendan Perry va créer les fondations servant de décors aux dix pistes de l’album en multipliant les utilisations de cuivres et de percussions à l’aide de son synthétiseur ainsi que de musiciens pour les instruments à corde. Chaque chanson explore un nouvel horizon d’une profondeur presque vertigineuse. Chaque écoute nous fait découvrir ou redécouvrir certains instruments, des notes, des nappes que nous n’avions pas entendues. Là est toute la richesse du travail de composition de Perry : une véritable mine d’or de textures et d’élaboration qui nous emmène dans des contrées flirtant avec le mystique teinté de médiéval, comme avec Chant Of The Paladin. L'album nous emmène également vers le divin lors de Severance, qui nous donnerait presque l’illusion d’assister à une messe d’une solennité nous laissant pantois. Mais Perry n’est pas qu’un bijoutier en ce qui concerne la mélodie. Sa voix grave et profonde va nous aider à garder les pieds sur terre, contrairement à celle de Lisa Gerrard qui nous fait s’envoler avec elle.

Ce dernier nom n'est pas inconnu. En dehors de sa carrière dans Dead Can Dance, la chanteuse a collaboré de nombreuses fois avec divers réalisateurs à partir des années 90 pour l’élaboration de certains thèmes devenus cultes, le plus connu étant Now We Are Free du film Gladiator de Ridley Scott. Sa technique de chant singulière lui confère une identité propre et il est impossible de ne pas la reconnaître tant elle est unique. De ses envolées hypnotiques et presque incantatoires dans la piste d’ouverture The Host Of Seraphim qui vous transpercent l’âme, aux chants sonnant telle une prière déchirante sur Song Of Sophia, difficile de rester indifférent face à cette voix digne d’un ange. Mais l’autre particularité de Gerrard est qu’elle utilise son propre langage idiosyncrasique. Pour faire simple, la langue parlée est sienne et inventée de toutes pièces. Les sonorités et vocalises ressemblent à des syllabes qu'il nous est impossible d'identifier ou de comprendre et qui peut s'apparenter à la glossolalie, terme désignant le fait de parler ou prier à haute voix dans une langue ayant l'aspect d'une langue étrangère.

Inutile donc de tenter de vous pencher sur les paroles de l’artiste, car vous vous heurterez au néant. L’intention ici est de se mêler à la musique composée par Perry pour que nous, auditeurs, ne nous concentrions non pas sur ce qui est raconté mais bien ce qui est transmis et joué. Une véritable réussite qui ajoute à la musique une dimension irréaliste, nous plongeant davantage dans l'univers que le duo a créé sur ce disque, car la glossolalie est très répandue dans la religion, notamment le Christianisme. Pour les chrétiens, cela peut parfois s'apparenter au fait de parler "la langue des anges". Une preuve de plus, s'il en fallait encore, de la grandeur quasi religieuse que peut prendre le chant de Lisa Gerrard.

DeadCanDance circa 1980 Dead Can Dance, circa 1980.

Vous parler de The Serpent's Egg est sûrement l'une des tâches d'écriture les plus difficiles qu'il m'ait été donné d'accomplir tant je perds mes mots face à ces écoutes touchant au sublime à chaque fois. Durant l'album, le temps n'existe plus, il est comme suspendu. Les sonorités semblent familières mais il nous est impossible de poser des mots dessus. Nous n'arrivons plus à savoir où nous sommes, oscillant en permanence entre le réel et ce qui ne l'est pas, entre la terre ferme et les cieux. Un manège qui pourrait donner le tournis s'il était mal exécuté, mais qui réussi brillamment à nous faire tourner la tête dans le bon sens du terme. Brendan Perry est notre ancre, là où Lisa Gerrard devient nos ailes. Lorsque les deux s'unissent, la magie opère d'une façon inédite qui ne fait que nous perdre davantage, pour notre plus grand plaisir. Le voyage prend sens lorsque résonnent les dernières notes de l'album, faisant naître en nous un sentiment de béatitude complet et un désir d'y retourner au plus vite dans l'espoir d'en découvrir un peu plus, inlassablement.

Il me semblait important de revenir sur The Serpent's Egg tant il me transporte à chaque fois dans le monde qu'il créé et parcourt. Je considère que cet album est l'un des plus beaux qu'il m'ait été donné d'entendre, tant il m'a marqué d'une manière indélébile. Je ne cesse d'y retourner, encore et toujours, dans l'espoir de capter chaque fois un peu plus de cet essence singulière que je ne retrouve nulle part ailleurs. Pendant l'écriture, je me suis heurtée à ce que je redoutais : comment vous faire ressentir ce que ce disque a pu me faire moi-même éprouver ? Aucun mot ne me paraissait juste, mes phrases semblaient ternes comparées à cette musique si particulière. Dead Can Dance a créé là un disque unique en tout point, qu'il est impossible de définir correctement et qui ne rentre dans aucune case, si ce n'est celle que le groupe à lui-même inventée. Aussi, voyez cet article comme une invitation à découvrir (ou redécouvrir) The Serpent's Egg. C'est une percée de lumière dans la brume du quotidien qui me laisse pantoise d'admiration, me touchant comme aucun autre album ne peut le faire. La preuve, à mon cœur, que les anges existent bel et bien.

ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
PsychédélismeIndice sur le côté psyché de l'album. 1/5 : On est dans le concret, le dur. 5/5 : vous voyez des couleurs défiler devant vos yeux et la musique vous propose un voyage initiatique en vous-même
ProfondeurIndice sur la densité de contenu de l'album 1/5 : album au propos plutôt dépouillé voire superficiel, on en fait rapidement le tour, on l'assimile très vite 5/5 : album au contenu très riche, plusieurs écoutes seront indispensables pour espérer en capter l'essence
Consigne du maître nageur :
Scaphandre
Scaphandre

The Serpent's Egg DCD
Dead Can Dance
"The Serpent's Egg"