Salut les rockers, Barny à l'antenne.
Dans l'introduction d'un article dédié au Rated R des Queens of The Stone Age, je soulignais l'importance symbolique et la richesse de l'année 2000 dans le paysage musical. Nous allons parler d'un autre album qui a su mener son genre, dont il fait partie des porte-drapeaux, vers de nouvelles hauteurs jamais atteintes. Vers une maturité qui a redéfini les règles pour tous les artistes et disques qui se sont retrouvés dans son sillage. Nous sommes le 20 juin 2020, et il y a 20 ans jour pour jour, sortait l'album White Pony de Deftones.
Deftones à ses débuts est un pur produit de la scène Nü Metal. Le Nü Metal, c'est une frange du Metal alternatif mettant l'emphase sur la fusion avec le rap, se caractérisant souvent la présence d'un DJ au sein du groupe et puisant énormément dans la culture urbaine. Le groupe coche bien les cases du cahier des charges, puisque ses membres se connaissent au sein de la communauté Skate de Sacramento en Californie, et pousse l'idée de la fusion jusque dans leur ethnicité, plusieurs d'entre eux étant d'ascendance mexicaine et/ou chinoise. C'est d'ailleurs une histoire de skateboard qui va amorcer l'histoire du groupe, quand à 15 ans Stephen Carpenter se fait renverser par une voiture alors qu'il était sur sa planche. C'est pendant sa convalescence qu'en bon fan de Heavy Metal il se met à la guitare et ses copains veulent former un groupe. A quelques variations de line up près, on se retrouve avec Chino Moreno au chant, Carpenter à la guitare, Abe Cunningham à la batterie et Chi Cheng à la basse. La légende veut même que le groupe se soit payé son matériel avec les indemnités versées par le chauffard ayant renversé Carpenter.
Après plusieurs années à écumer les scènes californiennes, se faisant un petit nom en ouvrant pour d'autres groupes de Nü Metal en baggy (Korn pour ne citer qu'eux), Deftones décroche un contrat avec Maverick, label fondé entre autres par Madonna et sous-branche de Warner, et pond son premier album Adrenaline en 1995. Le disque marque le début d'une longue collaboration avec le producteur Terry Date, qui a alors notamment à son actif Cowboys From Hell et Vulgar Display of Power de Pantera et le Badmotorfinger de Soundgarden. Adrenaline est enregistré rapidement, et dans des conditions live, puisque le groupe, après des années d'existence, a eu le temps de maîtriser ses chansons. Parmi elles, le single Bored ne passe pas inaperçu, et Deftones se fait sa petite communauté de fans, non sans échapper à d'inévitables comparaisons avec ses contemporains alternatifs, Nü ou Grunge. Le succès commercial, cependant, ne sera pas au rendez-vous si facilement. Il viendra, mais lentement, petit à petit, au bout de plusieurs années de patience et de persévérance. Mais les Deftones ne se découragent pas pour autant, et sont, malgré tout, attendus au tournant par le public.
Et Around The Fur, second opus, ne décevra pas. Le groupe trouve enfin son vrai son, murit son écriture, offrant un plus large éventail d'ambiances et Chino affine son style vocal, alternant entre scream, rap et chant lancinant et trainant reconnaissable entre mille. Le groupe réfléchit plus à la production aux côtés de Terry Date. Around the Fur fourmille de morceaux marquants, My Own Summer (Shove It), Mascara, Be Quiet and Drive (Far Away), le titre éponyme, Dai the Flu… On compte quelques guests, notamment Max Cavalera, fraîchement débarqué de Sepultura, sur le titre Headup. Surtout, un certain Frank Delgado, DJ de son état, apporte son lot d'effets électroniques et ambiants sur la moitié des titres. Les critiques sont enthousiastes, reconnaissent désormais l'existence d'un son et d'une patte Deftones, et les ventes suivent. Le groupe est désormais une véritable référence au sein de la scène Nü Metal et alternative. Après le bond de géant fait avec Around The Fur, Deftones doit transformer l'essai. Ainsi démarre la gestation du troisième album, baptisé White Pony, allusion multiple pouvant évoquer tant la drogue que le sexe.
Cet opus se créé sous l'étendard de la mutation. Celle du groupe pour commencer. En effet, la formation passe d'un quartet à un quintette, puisque Frank Delgado est définitivement intégré, mettant ses platines et ses samples au service du son Deftones. Chino Moreno, quant à lui, décide d'apporter une deuxième guitare en complément de celle de Carpenter, et se forme en observant ce dernier lors des répétitions. Surtout, Moreno veut apporter de nouvelles influences dans la musique de Deftones. L'ordre du jour est à l'expérimentation sonore, en accord avec Terry Date qui décide de laisser autant de liberté créative que possible au groupe. Si l'amour du Heavy Metal et du Hip-Hop est partagé par tous, le chanteur fait preuve d'éclectisme dans ses gouts et est féru de New Wave, de Post-Punk ou de Shoegaze. Cela se ressent par le remplacement des riffs metal classiques par de longs accords plaqués façon mur sonore, dans la lignée du Loveless de My Bloody Valentine, classique des classiques du Shoegaze. La guitare se retrouvant carrée et longiligne, le groove est assuré par la basse ronde de Chi Cheng et surtout la frappe précise et chirurgicale d'Abe Cunningham. Question thématiques, Moreno adopte un angle d'écriture radicalement différent, délaissant les textes inspirés par son vécu personnel pour une approche plus fictive et extérieure.
Dès l'ouverture de l'album avec Feiticeira, le groupe joue sur une alternance entre riff metal cadran dans le rouge et refrains allégés mais tendus. Les synthés de Delgado posent une atmosphère poisseuse et venimeuse, révélant d'entrée de jeu un groupe multifacettes jouant avec les genres et les variations de dynamique explorées sur Around The Fur. L'auditeur n'est pas trop perdu grâce aux passages metal, mais dès le morceau suivant, Digital Bath, on nage d'office en pleine New Wave désespérée et le chant de Moreno semble empli de détresse pendant les refrains. La chanson est notamment inspirée par le No Ordinary Love de Sade, dont le groupe enregistrera une reprise en face B de single. Plus loin dans l'album on trouve Teenager, balade minimaliste, paisible et électro construite autour d'une boucle de guitare cristalline lo-fi et d'un beat glitché. RX Queen, quant à elle, s'ouvre avec une ligne de batterie relevant quasiment du Trip-Hop, au point que le morceau sonne comme une version metal de Portishead. La direction abordée avec ces titres définitivement moins metal ne fit néanmoins pas l'unanimité, Stephen Carpenter se montrant peu enthousiasmé par les envies d'expérimentation de Moreno. Mais le guitariste put satisfaire ses propres aspirations avec des morceaux plus "classiques", quand bien même White Pony marque une forme de divorce entre Deftones et l'étiquette Nü Metal.
Des morceaux comme Elite, Street Carp ou le surpuissant Korea se rapprochent déjà beaucoup plus des débuts du groupe, forgés autour de riffs metal réellement articulés, sur lesquels Chino ressort sa voix screamée voire rappée, certes passée dans un vocodeur lui donnant un côté robotique sur Elite. Mais c'est dans son dernier tiers que l'album joue ses meilleures cartes. Précédant la sus-citée Korea, Knife Prty comporte un des meilleurs refrains de l'album, toujours portée par la voix de Chino, doublée par les vocalises féminines d'une certaine Rodleen Getsic sur un pont de toute beauté. Plus loin, on découvre The Passenger, duo au sommet entre le groupe et Maynard James Keenan, chanteur du groupe culte Tool et de A Perfect Circle, une des meilleures voix des années 90. The Passenger plante un décor quasi-cinématique, s'aventurant à des refrains relevant du Post-Rock, tout en légères touches instrumentales, en harmoniques et en voix susurrées. Mais la véritable bombe de l'album, le morceau à garder s'il ne devait en rester qu'un, c'est Change (The House of Flies), single principal judicieusement choisi. Une intro de guitare sombre, une section rythmique carrée et chirurgicale et surtout ces samples nappés fantomatiques de Frank Delgado à vous dresser les poils posent une atmosphère prenante de film Néo-noir, tissent une tension montant jusqu'à l'explosion d'un refrain Metal-Shoegaze hanté par la voix plus passionnée et habitée que jamais. L'album se clot en beauté dans avec Pink Maggit, morceau à l'entrée contemplative, quasi Post-Metal, et achève l'auditeur avec une ultime envolée pleine de furie mélancolique…
L'album sortit le 20 juin 2000, jour du 27ème anniversaire de son chanteur. Les efforts du groupe furent récompensés puisqu'une pluie d'éloges s'abattit sur White Pony. L'album est, toujours à ce jour, le mieux vendu de Deftones. Pour de nombreuses revues spécialisées, cet album ambitieux compte parmi les plus marquants de l'année, certains parlant même de transcendance du Metal et de nouvelle valeur étalon du genre pour le tournant du 21ème siècle. Le groupe, à sa grande surprise, fut même lauréat d'un Grammy Award de la meilleure performance Metal pour le titre Elite. Mais un revers de médaille obscurcit légèrement l'histoire puisque Maverick exigea du groupe un single supplémentaire, ce à quoi ils répondirent par la création du titre Back To School (Mini Maggit), réutilisation du thème de Pink Maggit, plus court et augmenté de couplets rappés jugés en décalage avec le reste de l'album et beaucoup moins mature. Et ce single se retrouva en ouverture d'une réédition de l'album, édition très répandue et utilisée par la plupart des services de streaming musical, faisant de cette édition désavouée la version officielle et standard pour une large partie du public. Le groupe se mord encore les doigts aujourd'hui d'avoir cédé aux demandes de leur label.
Malgré cette légère ombre au tableau, White Pony fit de Deftones un groupe adulé, respecté et assura donc sa liberté créative et artistique pour tous leurs opus suivants. Un vrai conte de fées pour musiciens. Mais si l'histoire démarra avec, comme vu plus haut, un accident de voiture, un second accident en 2008 plongea le bassiste Chi Cheng dans un coma de plusieurs années. Une vague de solidarité du public et milieu artistique permit de financer son hospitalisation et ses soins. Mais alors que sa condition semblait s'améliorer, Cheng succomba à un arrêt cardiaque. Le traumatisme de sa perte ne mit pas fin à Deftones pour autant. Leur carrière se poursuit depuis, avec des albums toujours acclamés (Koi No Yokan pour n'en citer qu'un), et l'année 2020 laisse présager la sortie de leur neuvième opus.
Deftones
"White Pony"
- Date de sortie : 20/06/2000
- Label : Maverick Records
- Genre : Nu Metal
- Origine : Etats-Unis
- Site : http://www.deftones.com