Ils nous entrainent au bout de la nuit, les démons de minuit. Ils nous entrainent jusqu'à l'insomnie, dans un univers où capes de satin et cuirs cloutés s'entremêlent lors de folles soirées, dans des demeures décadentes à la silhouette nimbée d'une lumière lunaire et surnaturelle. Une atmosphère mystérieuse à laquelle l'orchestre vampirique Devil Master souhaite encore convertir les masses avec son dernier album : Ecstasies of Never Ending Night.
Trois ans après sa dernière sortie, Satan Spits on Children of Light, la formation tout droit venue de Philadelphie nous est revenue en 2022 avec un nouvel album chez Relapse Records. Toutefois, ce retour s'effectue avec une équipe plus réduite que pour l'opus précédent, passant d'un sextet à un quartet composé de trois des membres fondateurs, ainsi que d'un nouveau batteur. Le noyau dur de l'identité du groupe reste cependant bien présent, et les pseudonymes toujours aussi alambiqués sont là pour le rappeler. On retrouve ainsi respectivement Disembody Through Unparalleled Pleasure (a.k.a. Max) à la basse et au chant, Festering Terror in Deepest Catacomb à la batterie (a.k.a. Chris Ulsh de Power Trip), Darkest Prince (a.k.a. Francis Kano) à la guitare lead et enfin Infernal Moonlight Apparition (a.k.a. John Hades) à la guitare rythmique. Rien que ça.
Ces noms outrageusement pompeux qui prêtent un peu à sourire, il faut bien l'admettre, n'en sont cependant pas moins pertinent compte tenu de l'univers que le groupe cherche à développer. Depuis ses débuts, Devil Master joue avec excentricité des codes pour produire une musique à la rencontre entre la première vague black metal de Venom ainsi que Celtic Frost, les précurseurs du metal punk de Motörhead, le D-Beat de Discharge ou bien encore le death rock et la musique gothique des années 80 avec des groupes comme Super Heroines ou Christian Death. En somme, des styles peu réputés pour leur sobriété et discrétion tant musicale que visuelle. L'usage des pseudonymes est à la fois à prendre comme un clin d'oeil aux noms à rallonge souvent présents dans le black metal que comme une forme de sur-exagération très punk.
Le ton de l'album était déjà donné dès le clip du single Acid Black Mass. Dans ce dernier, le combo VHS, corpse paint, crucifix et cérémonie occulte inscrit Devil Master dans la continuité esthétique des clips metal mi-sérieux mi-théâtralisés de la fin des années 80 / début des années 90 avec par exemple le légendaire Bewitched de Candlemass ou bien encore Call of the Wintermoon d'Immortal.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Devil Master sonne comme ses visuels. Les guitares reflètent ainsi très bien l'imagerie rose pétant du groupe avec leur son acidulé criard, reconnaissable entre mille, produit notamment par l'usage outrancier de l'effet flanger. Ce son mouvant, limite baveux, rappelle plutôt une esthétique death rock / gothique / post-punk voire early shoegaze venant contraster avec le jeu assez chargé des guitares aux riffs et soli très clairement metal. La basse et la batterie bien présentes viennent, quant à elles, apporter du corps et de l'énergie supplémentaire au travers d'un jeu minimaliste et agressif, parfaitement à la frontière entre punk et metal. Dans le cas de la batterie, on relève notamment l'usage de rythmes d-beat et de passages qui rappellent clairement du Discharge et du Motörhead, l'exemple le plus parlant étant le morceau The Vigour of Evil.
En bref, avec cet album Devil Master nous apporte un univers qu'on pourrait qualifier de jusqu'au-boutiste : trop d'effets, trop d'ironie, trop de sérieux. Et en cela justement, il me semble qu'ils ont parfaitement réussi à développer leur vision du metal punk, leur univers n'étant définitivement pas fait pour tout le monde et ne laissant pas indifférent. Là où dans la même génération, un groupe comme Unto Others fonce vers un revival sonore plein de nostalgie pour le metal et la musique gothique des années 80, Devil Master propose une approche différente et paradoxalement plus subtile de l'hommage à cette période. En effet, c'est plus à travers le jeu avec les codes de cette époque, et leur exagération dans l'esprit de leurs influences, que nos quatre compères cherchent à se démarquer. Pari risqué et bien difficile équilibre que de ne pas tomber dans la caricature d'un passé fantasmé, mais Devil Master tire bien son épingle du jeu en proposant quelque chose d'unique et de reconnaissable avec sa formule.
Devil Master
"Ecstasies of Never Ending Night"
- Date de sortie : 29/04/2022
- Label : Relapse Records
- Genres : D-Beat, Blackened Death Rock, Metal Punk, Black Metal
- Origine : Etats-Unis
- Site : https://devilmaster.bandcamp.com/