Elder - Innate Passage

La suite logique.

Nous avons tous un rapport propre envers les groupes que nous chérissons. Toutes les entités les plus fortes de notre vie partagent le fait d'avoir ce petit quelque chose qui les rend plus grandes que la moyenne. Une prestation live, un contexte de vie sublimant les morceaux d'un disque, un contre-pied vis à vis de l'attente autour d'un album ou même un mélange de tout ça. L'occasion est donc toute trouvée pour discuter de la discographie récente d'Elder et de l'évolution de mon rapport à leur musique.

Lorsqu'en 2017 sort Reflections Of A Floating World, le quatuor de Boston n'est qu'un nom entendu et lu sur des sites spécialisés mais rien de leur musique n'avait pénétré mes tympans, à l'exception de bribes déjà oubliées alors. Le disque sera loué par de grands noms, ainsi que par les fans du groupe, conquis d'avoir plus d'une heure de musique conçue par Nick DiSalvo et ses compères de l'époque. Pourtant, à ma grande déconvenue, je n'ai jamais réussi à rentrer dans l'entièreté du disque, me laissant seulement convaincre par Sanctuary, piste d'ouverture magistrale devenue ensuite un hymne des concerts de la formation. Ce n'est pas faute d'avoir persisté avec ce "monde flottant" mais rien n'y fait, je reste sur le bas coté, sans pour autant dénigrer les qualités des musiciens. Il manque juste ce petit truc qui permet d'en faire un disque formidable.

Alors qu'Omens arrive en 2020, mes sentiments envers Elder ont commencé à évoluer vers le positif grâce à l'arrivée de l'EP The Gold & Silver Sessions (2019). La musique se veut moins dans l'étalage de riffs et plus dans des odyssées psychédéliques planantes. Un petit virage confirmé par le successeur de Reflections et qui lui, parviendra à m'emporter. Sans pour autant en attendre grand chose, cet album sera une immense gifle qui continuera alors à partager des moments de ma vie. Et ce, jusqu'à aller me faire tirer quelques larmes devant le live d'Halcyon vécu au Desertfest Anvers 2022, titre pour lequel mon cœur bat la chamade depuis les premiers instants de notre rencontre. Comme pour ROAFW, me voilà à contre-courant, une majorité de gens venant bouder ce disque, n'appréciant peu le tournant musical et le chant de Nick DiSalvo.

Il faut aussi mentionner qu'entre Reflections & Omens, le groupe a effectué une mutation avec l'arrivée de Mike Risberg à la seconde guitare et aux claviers, ainsi que le départ du batteur fondateur Matt Couto, remplacé par Georg Edert. Deux changements poussés aussi par le déménagement de Nick DiSalvo du coté de Berlin, se rapprochant, par la même occasion, du label Stickman Records pour lequel il travaille. L'air Berlinois et son ambiance propice à la création ont poussé le leader d'Elder à continuer la métamorphose du groupe jusqu'à offrir aujourd'hui, leur sixième disque nommé Innate Passage.

Afin de nous préparer au mieux à cette arrivée, nous avons eu droit à un "single", si tant est qu'une piste de près de 10 minutes puisse être qualifiée comme telle. Endless Return offre un beau panorama de ce qui attend les auditeurs avec au programme : un Nick DiSalvo toujours aussi fort avec sa guitare mais, et c'est bienvenu, bien plus efficace au chant. Est-ce la production qui le met mieux en valeur que sur Omens ? On vous laissera juge. Toujours est-il que le frontman d'Elder se porte à son meilleur niveau derrière le micro et c'est un facteur rassurant. Autre très bon point, le son du duo basse/batterie. Même si la première citée est plus à son avantage sur d'autres titres, on a l'occasion de se faire caresser l'oreille par ses petits licks soyeux. Quant aux fûts, ils sonnent parfaitement, notamment cette caisse claire d'une justesse et d'une pureté remarquable.

On peut aussi signaler la présence de claviers et autres synthétiseurs qui parfois, se trouvent en tapis sonore, parfois, se retrouvent mis plus en avant, là où les guitares ne jouent qu'un rôle de support. Quelque chose de logique dans la progression sonore d'Elder. Nous amenant au devant d'un titre réussi, qui reste en tête et qui pousse gentiment à la performance du air-instrument de votre choix. Néanmoins, il réside un défaut en cette piste : il s'agit de la "plus faible" de l'album.

Aussi surprenant que cela puisse paraitre, cette avalanche de louanges n'est que pour un titre "bon" du quatuor. Et de la même manière qu'Embers était un amuse-bouche solide à Omens, Endless Passage n'est qu'un apéritif pour le festin que nous gardait en lieu sûr les quatre musiciens. Et on peut s'en rendre compte avec l'ouverture Catastasis.
Guitare pleine de reverb, ambiance qui se crée peu à peu, on sait que l'on va être happé par le groupe. Malgré notre vigilance, quand l'ensemble débarque dans le spectre sonore, on ne peut que se laisser emporter par le riff hypnotique qui nous est lancé en pleine face.

Elder n'aime pas rester sur un même riff, une même idée. Alors ils étendent leur univers sur chaque piste telle une pelote de laine que l'on délie sans savoir quelle en sera la finalité. On découvre d'ailleurs sur cette ouverture la présence d'une seconde voix pour apporter plus de beauté aux harmonies vocales. En grand ami de DiSalvo, Behrang Alavi (Samavayo), vient apporter sa touche aérienne et éthérée aux parties vocales. L'intelligence du groupe aura été de ne pas en sur-abuser, faisant que chaque apparition d'Alavi devient exceptionelle, notamment sur cette même Catastasis, autour des 8 minutes, où le duo nous offre un pont magnifique avant que les instruments ne reprennent leur marche en avant. Et comme pour Omens, on en ressort avec une légère sensation de manque tant on aurait aimé avoir quelques minutes de rab.

L'occasion de reparler rapidement de Reflections Of A Floating World car une des critiques que je lui adresse volontiers est sa longueur écrasante et surtout ses morceaux ne sachant parfois pas s'arrêter aux bons moments. Il est d'ailleurs amusant de remarquer qu'il s'agit du seul album, à ce jour, ne comportant pas 5 titres sur sa tracklist mais 6. Expliquant la durée dépassant l'heure, là ou les autres efforts du groupe se "contentent" de rester dans la cinquantaine de minutes. Et cette formule, Elder la maîtrise de mieux en mieux. Omens se voyait être 10 minutes plus court que son prédécesseur et Innate Passage reste dans les mêmes durées que son grand frère. Savoir créer du manque plutôt que de l'ennui, voilà un adage suivi à la perfection par le quatuor.

Pour revenir sur ces moments de frustration, la doublette finale en est un exemple assez flagrant. En premier lieu, Merged In Dreams - Ne Plus Ultra est la pièce centrale du disque avec son quart d'heure au compteur. Pourtant, Elder aura été assez malin dans la construction de ce titre, reprenant une formule testée et approuvée sur Omens avec Halcyon ou One Light Retreating. Le but est de faire monter la pression, de calmer le tout de manière assez brute pour recréer un climax qui vient exploser sur la dernière partie dans un développement jouissif et prenant. Et si l'on est ravi de se prendre le final de ce titre en pleine figure, on demeure frustré d'entendre débarquer ce synthé au bout d'1 minute 30. Ce riff final vous emportera et vous donnera juste envie qu'il dure tellement plus longtemps.

S'enchaînant parfaitement, grâce au dit synthé qui fait le lien, The Purpose nous emmène dans son univers et nous donne en récompense un lick redoutable d'efficacité et de beauté. Alors qu'on vient de se manger une quarantaine de minutes de musique, Nick DiSalvo parvient encore à nous régaler par sa justesse technique et ses idées de composition. Néanmoins, le groupe n'ira pas persister à outrance sur ce passage, s'offrant un final un brin déroutant avec un riff plus calme, seulement accompagné d'un xylophone, suivi d'un bruit de vent. Nul doute que le projet Eldovar aura inspiré Elder au moment de terminer cet Innate Passage tant l'ambiance de ce final semble sorti tout droit des créations du supergroupe.

Nous nous sommes, pour le moment, concentrés sur la guitare car le talent de Nick DiSalvo sur la six cordes n'est plus à démontrer. Mais il serait malhonnête de ne pas évoquer l'instrumentation dans son ensemble. Et l'idée brillante du quatuor est d'avoir des parties très distinctes, faisant presque d'Elder le premier groupe instrumental à chanteur.
Chaque titre est habité du chant du frontman. Cependant, il n'est pas présent sur toute la durée des titres, laissant souvent place aux instruments pour vivre leur vie et s'imposer. Et s'il est évident que les guitares sont majoritaires, d'autres ont leurs moments de gloire tout au long du disque. En premier lieu, le duo basse/batterie.

Sur toutes les pistes, Georg Edert sera à son avantage pour démontrer sa justesse implacable. Chaque break, roulement, section est millimétré pour que l'ensemble puisse tenir debout. À ses cotés, Jack Donovan nous envoute avec ses lignes de basses. Tantôt simple, tantôt technique, souvent avec un groove détonnant, il alterne les plans toujours armé d'un son faisant ronronner son instrument pour mieux faire frétiller nos tympans. Chaque apparition de la 4 cordes dans le spectre sonore est un bonbon. On peut parler de l'intro de Merged In Dreams - Ne Plus Ultra ou bien de ses interventions sur The Purpose pour souligner la qualité du jeu de sieur Donovan.
Il est aussi important de souligner la présence régulière des claviers dans les compositions d'Elder. Depuis son virage plus psychédélique et se rapprochant du progressif, le groupe ne se prive pas d'agrémenter le spectre sonore de ses morceaux de synthétiseurs. Quelque chose que l'on avait déjà vu, avec brio, sur Omens, et qui se confirme ici. Reste la question de leur incorporation lors des prochaines tournées, mais laissons ces considérations de côté.

Si dans sa construction et sa conception Innate Passage a tout du successeur parfait à Omens, il réside quelques petits moments, surtout dans la production, qui rend l'album cousin avec Reflections Of A Floating World. Elder n'oublie jamais vraiment qui il est tout en continuant de mener sa barque à bon port. Depuis bientôt 20 ans, le quatuor mené par Nick DiSalvo crée son histoire et solidifie sa place parmi les groupes les plus importants de ce siècle. Nous ne sommes certes que de passage sur ce caillou flottant à travers l'Espace, mais il est du travail de chacun de faire que celui-ci soit le plus mémorable possible. Nul doute que DiSalvo et ses compères ont trouvé la voie. Qu'elle fut innée ou non.

FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
RiffingIndice de la qualité technique. 1/5 : Bof bof, même votre petit frère ferait mieux. 5/5 : Ok Steve Vai, on te laisse faire
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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cover ELDER - Innate Passage
Elder
"Innate Passage"