Eldovar - A Story Of Darkness & Light

Le confinement n'a pas que des mauvais traits.

Confinement. 11 lettres qui laissent imaginer des souvenirs amers à n'importe quel être humain. Transposé au monde du spectacle, entre autres, il est synonyme d'un chômage forcé. Comment défendre des titres sur scène quand il est interdit de quitter son salon ? Si certains groupes ont trouvé la parade en organisant des concerts diffusés sur les Internets, d'autres ont profité de ces accalmies forcées pour écrire et composer. Il n'est d'ailleurs pas anodin de voir autant de formations sortir des disques depuis quelques mois. Et comme souvent dans l'histoire de l'art, l'Allemagne et sa capitale seront des points névralgiques.

Formé au début de la précédente décennie, Kadavar s'est fait une place de choix dans la scène Stoner avec son rock'n'roll direct tout droit sorti des meilleurs concerts des années 70. Avec leurs cheveux longs et leurs jeans serrés, ils ont représenté l'archétype du groupe de Stoner Rock, copié par un bon nombre de personnes, des fans aux musiciens. Leur premier méfait, un éponyme sorti en 2012, tapera dans l'œil des fans, des critiques mais aussi d'un gros label : Nuclear Blast. Un changement de bassiste plus tard et nous avons le trio que nous connaissons actuellement avec Christoph Lindemann (Lupus) à la guitare et au chant, Christoph Bartelt (Tiger) à la batterie et le Français Simon Bouteloup (Dragon) à la quatre cordes. Jusqu'à l'arrivée du Covid, les Allemands ont creusé leur sillon sans encombre, avec cependant quelques critiques sur leurs disques. Reproche principal : la répétitivité trop importante et le manque de fraicheur que pouvaient apporter les productions plus récentes.

L'entrée dans notre décennat marquera un tournant important. En premier lieu, Kadavar quitte Nuclear Blast pour fonder sa propre structure : Robotor Records. Parfait pour être maître de ses sorties mais aussi pouvoir accompagner d'autres groupes vers une meilleure reconnaissance du public. Ce lancement sera complété du sixième album du trio nommé The Isolation Tapes. Un disque qui divisera les fans : d'un coté, ceux reprochant au trio leur virage trop brutal vers la pop et le rock progressif typé 60's. De l'autre, ceux louangeant le vent de fraicheur que cette sortie apporte dans la discographie des Allemands. Et si vous vous questionnez sur ma place dans ce débat, je vous renvoie à l'excellente chronique de Drey Talquor qui résume très bien ma pensée. Un projet vendu comme une parenthèse dans la vie des trois compères, comme l'expliquait Lupus lors de la diffusion du premier single Everything Is Changing.

"The time of isolation has been a very intimate one that would not invite to write another hard rock album just like that. At home I wasn’t looking for loud guitars or walls of sound: everything turned quiet, both inside and outside, until sound almost disappeared. I would start listening to things I usually wouldn’t, like water drops, steps, birds or wind…"

Dans le même temps, un quatuor venu du Massachussetts était attendu au tournant. Il faut dire que depuis sa création, Elder n'en finit plus de conquérir les cœurs et les oreilles. De Dead Roots Stirring en 2011 à Lore en 2015 en passant par Reflections Of A Floating World en 2017, rien ne semble arrêter l'ascension de Nick DiSalvo et ses compères. Il faut dire qu'avec leur science du riff, les Américains savent frapper là ou ça fait du bien. Néanmoins, on sent poindre dans leur musique une légère variation, notamment au niveau de l'agressivité. L'EP The Gold & Silver Sessions offre une facette beaucoup plus psychédélique et progressive du groupe avec un penchant pour les jams assumé. Des subtilités qui vont se poursuivre sur leur cinquième album : Omens. Les riffs se font moins percutants et beaucoup plus planants. Est-ce un problème ? Absolument pas. Les cinq pistes s'enchaînent à la perfection avec quelques passages sublimes, notamment sur Halcyon ou One Light Retreating. Les quatre membres ne semblent donc pas capables de se louper et chaque sortie est désormais attendue avec une impatience folle.

Ces dernières années, DiSalvo aura emmené son talent avec lui en direction de Berlin. Le guitariste/chanteur en a profité pour se rapprocher du label Stickman Records au point d'y travailler. Ce dernier s'occupe des sorties d'Elder sur le Continent. Forcément, le rapprochement semblait donc tout trouvé. Il ne sera pas le seul membre du quatuor en Allemagne : Michael Risberg (Guitare/Claviers) et Georg Edert (Batterie) sont résidents chez nos voisins d'outre-Rhin.
Pour en revenir à Nick, il se servira lui aussi du confinement pour composer, offrant à la face du monde Delving, son projet solo. S'occupant de tous les instruments, il sortira un album du nom d'Hirschbrunnen en référence à la statue de cerf doré se trouvant dans le parc proche de son habitation berlinoise. Si vous aviez aimé The Gold & Silver Sessions, vous adorerez ce disque. Les influences Krautrock et psychédéliques sont poussées encore plus loin, les riffs sont soyeux et le voyage vers les étoiles obligatoire.

Alors que 2021 avançait paisiblement, une nouvelle nous est parvenue. Kadavar et Elder s'étaient réunis en secret pour jammer et nous offrir un disque, fruit de leur union. Néanmoins, le quatuor américain était forcé de rester en trio suite à l'indisponibilité du bassiste Jack Donovan, bloqué aux USA pour cause de restrictions sanitaires liées au Covid. Nous aurons donc six esprits à la tête de ce projet qui ne parait pas si farfelu que ça quand on regarde le passé récent des deux entités. La chance étant que ce sextette allait être bloqué à Berlin, aidant à la création d'un disque. Et si l'on pouvait imaginer toute sorte de musique sortir de ce mélange, Tiger pose les bases de ce qu'allait offrir Eldovar :

"After ‘The Isolation Tapes’ I simply wasn’t ready for the next Kadavar record. I couldn’t imagine continuing as if nothing had happened.”

Pourtant, le premier single offert nous laissait entrevoir ce que beaucoup espérait d'une rencontre Kadavar/Elder. Une piste de neuf minutes avec des montées en puissance, des riffs tantôt Elderien, tantôt Kadavaresque et une dualité vocale très efficace entre Lupus & DiSalvo. From Deep Within, c'est un craft simple mais d'une efficacité totale. Heureusement, toutes les cartes n'avaient pas été jouées. Arrive El Matador, second teaser à l'ambiance bien différente. Plus sombre, menaçant, le titre se veut pesant sans pour autant être écrasant. On est porté par ce rythme nonchalant et ce lent crescendo sublimé par le solo de Kristof Hahn (Swans). Il réside néanmoins un petit goût de frustration tant on aurait souhaité que cette fin dure plus longtemps. Armé de ces deux titres, il était donc temps de plonger dans le reste de ce disque.

Un équilibre se trouve aisément entre les deux groupes, chacun laissant de la place à l'autre pour exister et poser ses idées. In The Way est une synthèse plus condensée de la discographie récente des deux groupes avec une première partie acoustique et une seconde plus électrique où les riffs font de suite penser aux travaux de DiSalvo et Risberg avec Elder. Kadavar n'est pas en reste avec la seconde moitié de l'album pensée comme une seule piste qui s'enchaîne, réminiscence de The Isolation Tape et de sa première face composée de la même manière. Et si Rebirth Of The Twins nous emmène dans le Krautrock des Américains, Raspletin, s'enchainant parfaitement à cette dernière, suinte l'hommage à Pink Floyd, groupe que les Allemands ont mis en valeur sur leur précédent disque.

S'il faut être honnête, il y avait une chanson qui attirait notre attention : Blood Moon Night. Quand on connait l'inventivité et la créativité des six personnes dans Eldovar, voir une piste de 11 minutes sur la tracklist faisait saliver.
Tout commence par une partie chantée par Lupus qui pourrait sortir d'un album de Kadavar. Nick DiSalvo prend le relai pour un moment qui semble lui tiré d'une œuvre d'Elder. Les deux voix se rassemblent aux alentours des 3:30 dans un duo enjoué sur un passage de nouveau influencé par les Floyd. Le solo qui suivra sera dans la même veine avant une bascule : à 5 minutes, les guitares saturées reviennent et la tempête commence à se déchainer. On a le droit à une petite respiration offerte par le duo basse/batterie avant le retour du chaos. Les riffs sont puissants, les voix moins aériennes et plus directes, la tête bouge instinctivement, la magie opère.
Ce maelstrom sonore ira jusqu'à verser dans le post-rock pour l'emballage final afin d'accentuer l'affrontement qui se joue dans nos oreilles. Jusqu'à l'arrivée des claviers, d'abord pour apaiser, puis pour signifier l'arrivée de la suite.

Dans la culture japonaise, le cerisier est synonyme de chance, de renaissance et de nouveau départ. Avec un simple piano, quelques notes de guitare disséminées et des voix cristallines, Cherry Tree apporte une paix et un calme bienvenus après la tempête reçue sur la piste précédente. Symboliquement, la lumière l'emporte sur l'obscurité, de quoi boucler parfaitement avec le titre de ce disque : A Story of Darkness & Light. Tout au long de cet album, on enchaîne les ressentis et les émotions, comme chaque humain face à ce qu'il encourt en ces temps troubles. Le bien en sort vainqueur mais ce sont surtout les auditeurs qui sont les gagnants, chanceux d'avoir un disque de cette qualité entre les oreilles.

À travers les 45 minutes de cet album, on voyage entre les univers, les thèmes, les ambiances. Alors qu'on aurait pu être déçu par une collaboration prometteuse sur le papier, Eldovar arrive avec un disque réussi, plein de bonnes idées et ne demandant qu'une suite pour confirmer l'essai. Mais en attendant qu'Elder & Kadavar ne se réunissent en studio, on peut toujours espérer une tournée commune afin d'avoir quelques titres sur scène. Quoiqu'il arrive nous, auditeurs, pouvons savourer cette collaboration musicale qui vit le jour grâce au contexte compliqué de la crise sanitaire. Comme un symbole, les heures les plus sombres accouchent finalement d'un immense rayon de lumière.

PsychédélismeIndice sur le côté psyché de l'album. 1/5 : On est dans le concret, le dur. 5/5 : vous voyez des couleurs défiler devant vos yeux et la musique vous propose un voyage initiatique en vous-même
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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Eldovar
"A Story Of Darkness & Light"