Enter Shikari - Nothing Is True & Everything Is Possible

Quelle drôle d'époque que ce début de 21ème siècle. Avec Internet, l'information n'a jamais autant fusée, la parole n'a jamais autant été prise, et les angoisses n'ont jamais été aussi bien nourries.
En effet, ce buffet d'information a de quoi être anxiogène, que ce soit dans les grands titres comme les conversations les plus localisées.
Nous vivons une époque où deux leaders de nations se chamaillent sur Twitter, menaçant de sortir les armes comme on commanderait son pain; où revendications populaires sont opposées à la lacrymogène; où la science appelle à la raison face au drame écologique qu'un grand capital orchestre, aveugle et sourd, enivré par quelques chiffres de plus sur l'écran de la Sainte Bourse; où sur les plateaux, des ancêtres vocifèrent sans gêne leur haine envers les causes les plus louables, leur tort étant juste de chercher plus de justice pour tous. Le progressisme se percute à l'obscurantisme ; Collapsologues heurtent climato-sceptiques ; Les causes sociétales semblent ignorées et les acquis menacés.
Les avis pleuvent en 280 caractères, personne ne semble chercher à se comprendre, les fake news fusent, frappent et fatalement fourvoient ceux et celles qui auront la crédulité d'y voir la vérité. Alors oui on angoisse, on doute. On entend tout et son contraire, et on ne sait qui croire. Et pendant que la planète brûle, on observe les avis se polariser en tout sens sur les réseaux comme un cancer (que certains prétendent pouvoir guérir à coup de billes de sucre, de jus, ou du pouvoir des pierres).
Et en plus de cela, vient s'ajouter au carrousel un Covid-19 nous confinant tous chez nous. Les gouvernement mentent, les gens doutent, on recherche les responsables, les complots, et les plus candides espèrent un réveil mondial sur notre responsabilité écologique, avant de se souvenir que, pour notre système, le sujet fait pâle mesure face à la santé de l'économie.
A l'aube de la décennie 2020, rien n'est vrai, et tout est possible. Comble de l'ironie, c'est le titre d'un album sorti au début de la crise sanitaire. On ne peut plus d'actualité.

Le titre de cette production reflète en bien des points les sons qu'elle abrite ainsi que le groupe qui en a accouché. Enter Shikari étant une formation s'amusant allégrement avec l'hybridation musicale. Sous leurs doigts sont passés une ribambelle de genres musicaux appartenant aux chapelles du rock/metal, de l'electro et de la pop. Ainsi, des breaks post-hardcore et drum n bass peuvent appuyer des refrains pop entêtant avec une cohérence insolente. Une folie et grandiloquence instrumentale jouissive et maîtrisée sur laquelle viennent se poser les sublimes textes résolument engagés de Rou Reynolds, car chez Enter Shikari, le soin n'est pas apporté qu'au son. Sous la plume de son frontman, le groupe dénonce le système capitaliste, les problèmes écologiques, l'angoisse du monde moderne, la psyché humaine, le besoin d'un changement, la rage de vivre et d'améliorer le monde. Un engagement nullement de façade, le groupe ayant même publié les textes de leur discographie dans un livre (nommé Dear Futur Historians), commentés par Reynolds. Preuve s'il en est de l'importance de leurs messages dans leur musique.

Nothing Is True & Everything Is Possible n'échappera pas aux règles instrumentales et littéraire du quatuor. De leur aveu, le disque cherche à puiser dans tous les univers que le groupe a exploré par le passé, et d'en faire une synthèse. Rou Reynolds déclarant que si nous devions présenter Enter Shikari à un néophyte, cet album en serait de facto la meilleur carte de visite.

Si des éléments sonores faisant écho à leurs anciens travaux sont présents, nous ne sommes pas en face d'un pastiche du passé pour autant, le groupe variant ses alliages musicaux. L'aspect post-hardcore des début, par exemple, se fait bien plus discret. L'album en conservera néanmoins quelques breaks bien choisis et une énergie punk très appréciable, la distorsion cohabitant avec une ribambelle de synthés, non moins puissants, en témoigne le titre T.I.N.A.

Le groupe permettant même aux éléments orchestraux, jusqu'alors de soutiens dans leur discographie, de s'exprimer pleinement sur Elegy For Extinction, qui peint par la seule force évocatrice de la musique la catastrophe écologique menaçant la Terre.
Pessimiste diriez-vous ? Ce n'est pourtant pas l'impression que l'on a en parcourant les différentes pistes de l'album. Très inspiré de la culture rave, tout dans Nothing Is True n'est qu'incitation à la danse dans toutes ses formes d’expressions. Du simple balancement à la valse en passant par les mosh-pits des concerts et rave party les plus enflammés. Ces différentes nuances d'énergies font de l'écoute du disque un moment plaisant. Les univers sont variés, les titres, pourtant directs, proposent une richesse que l'on savoure et apprivoise écoute après écoute. Affichant qui plus est une durée de 43 minutes, évitant l'indigestion face à la profusion qu'il offre.

Les textes quand à eux ne sont pas en reste. Ils brillent une nouvelle fois par leur richesse, piochant dans un panel très larges de références culturelles et d'images poétiques pour illustrer au mieux les messages qu'ils portent. Nothing Is True & Everything Is Possible traite, comme l'indique son nom, des possibilités. De ce fait, Rou Reynolds va à travers l'album nous présenter ses observations sur différents aspects du monde tout en nuance, préférant aborder des descriptions réalistes plutôt que de sombrer dans l'optimisme ou pessimisme selon le thème, bien qu'évidemment toujours engagé. En témoigne le merveilleux diptyque Marionettes, un appel à l'esprit critique et l'indépendance des individus.
L'album ne se cantonne pas aux politiques, et se penche grandement sur le fonctionnement actuel de notre société et des relations humaines. Un de ses plus beau moment réside dans le survitaminé Satellites**, morceau dédié à la communauté LGBTQI+ traitant de la peur de montrer ses sentiments en public à cause du regard des autres. Encore une fois, malgré la dure réalité qu'il décrit, le message se veut positif, étant une ode à l'amour.

Nous pourrions rapidement être affecté face à la dureté des thèmes abordés, sombres pour la plupart. Néanmoins, l'apport de toutes ces nuances à travers l'album amène un sentiment réconfortant : c'est un état, une photographie de notre société encore trop imparfaite, certes. Mais à aucun moment il n'y est imposé un filtre nihiliste, de ce fait, Nothing Is True apporte une certaine catharsis et l'énergie d'affronter les problèmes de notre quotidien. L'album se conclue sur une note ouverte : rien n'est vrai, et nous valsons sur la surface de la terre. Illustrée par des sons de nature en introduction, suivit d'un morceau solennel et orchestral lumineux, avant de se conclure sur des sonorités 8-bits évoquant un conflit armé. Le choix de l'interprétation étant laissée à l'auditeur : l'humanité poursuivra-t-elle une valse folle en faisant fit de ses impacts jusqu'à la catastrophe, ou trouverons-nous le moyen de nous responsabiliser et de vivre en harmonie entre nous et le vivant ?

La grande force de Nothing Is True & Everything Is Possible est de nous faire aller mieux, donner de l’énergie et de l'espoir. En traitant avec intelligence et justesse de thèmes sombres rythmant son quotidien, mais sans fatalisme, Enter Shikari galvanise l'auditeur. En résulte un bien-être nourri d'espoir : quoi de mieux que de scander des hymnes si fort sur nos démons et angoisses pour se donner la force de les affronter ?
Au début des années 2020, en effet, rien n'est vrai et tout est possible. Mais cela ne veut pas nécessairement signifier un déclin inéluctable. De bonnes choses peuvent aussi se produire, et il est toujours bon de se le faire rappeler. Particulièrement durant ces périodes de chaos.