Feistodon - Feistodon

La mode est un éternel recommencement. Indispensable pendant près de 30 ans, le vinyle est tombé en désuétude avec l'arrivée du support CD. Alors que l'on imaginait une disparition pure et dure de ce format, la nostalgie et la curiosité ont offert une seconde vie à ces galettes, de quoi permettre, encore aujourd'hui, un retour en force de ce business juteux. Après la liquidation de Tower Records, grande enseigne réputée dans la vente de disques, un conglomérat de passionnés issus de trois organisations (Alliance of Independent Media Stores, Coalition of Independent Music Stores et le Department of Record Stores) s'est réuni à Baltimore afin d'imaginer un évènement célébrant le vinyle.

Le 19 avril 2008, à travers les USA, les disquaires indépendants célèbreront les 33 et 45 tours sous une appellation maintenant bien connue : Record Store Day. Le concept est que les disquaires puissent avoir des sorties vinyles exclusives afin de pousser les gens à aller dans les boutiques. Il peut s'agir de rééditions spéciales, de lives ou encore de créations pour l'occasion. Certaines échoppes peuvent aussi accueillir des évènements comme des concerts avec par exemple Metallica en 2008 dans leur Californie natale. Devant l'engouement de la première édition, l'Europe ne tardera pas à organiser ses propres RSD et la France suivra le rythme avec le Disquaire Day, lancé en 2011.

Cette même année, deux entités musicales bien distinctes vont se télescoper via des sorties parues à trois jours d'intervalle. Le 27 septembre, Mastodon débarquera avec The Hunter, cinquième chapitre de leur carrière déjà remarquée avec une quadrilogie des éléments conclue en beauté par Crack The Skye en 2009. Le 30, c'est la chanteuse canadienne Leslie Feist qui proposera son quatrième album nommé Metals, devant succéder à l'excellent The Reminder l'ayant propulsée sur le devant de la scène avec des singles forts comme 1234 ou My Moon My Man.

Afin de promouvoir leurs albums respectifs, les artistes se lancent dans une tournée des médias. Arrive octobre et le plateau de Later... with Jools Holland, passage incontournable au Royaume-Uni. Alors que Feist performe des titres de son dernier album, Mastodon observe en coulisse et tombe sous le charme des travaux de la Canadienne. De quoi pousser le quatuor à vouloir collaborer avec elle comme le déclarait Bill Kelliher à Rolling Stone :

Une idée qui germera dans une reprise d'un des titres de Feist, à la surprise de cette dernière qui a un peu été prise de court mais qui au final, fut honorée de cette attention :

En retour, la Canadienne se décidera à reprendre un des titres des Atlantiens après avoir parcouru les paroles de presque toute leur discographie. Son attention se portera sur Black Tongue, premier single de The Hunter. La chanson se veut directe, punchy, à l'inverse de Crack The Skye sorti 2 ans auparavant, beaucoup plus progressif et aérien dans ses mélodies.

The Haunted

Pour sa reprise, Feist piochera dans son catalogue folk mais surtout dans les ambiances poisseuses qui font partie de son imaginaire. D'une piste rentre-dedans et violente, on passe à une sorte d'incantation vaudou possédée. Les riffs sont remplacés par la voix envoûtante de Leslie Feist qui a su se réapproprier le morceau à la perfection. Une belle reprise que la chanteuse emmènera avec elle lors de quelques lives en 2012.

Commotion pour cause de headbang

De son côté, Mastodon piochera le titre A Commotion, extrait de Metals. Une piste offrant des violons comme pièces principales, autour desquels se greffe la voix de Leslie Feist, remplacée uniquement sur les "A Commotion" du refrain qui sont scandés par les membres de son groupe de l'époque, dont un certain Chilly Gonzales. La toute fin du morceau se veut être une répétition des phrases suivantes, sur fond d'instrumentation montant en puissance, avec la seconde répétée trois fois en conclusion de la piste :

If it rips you all apart
The grudge has still got your heart

Mastodon s'est saisi du matériau de base et l'a adapté à sa sauce en remplaçant les violons par les guitares de Brent Hinds et Bill Kelliher tandis qu'en fond, Brann Dailor s'en donne à cœur joie sur sa batterie. Pour le chant, Troy Sanders occupe le rôle principal tandis que Dailor se charge des chœurs. La partie finale, elle, se voit agrémentée d'un solo magnifique de Brent Hinds tandis que la partie vocale est déclamée de manière stoïque par le duo Dailor/Sanders. La reprise s'incorpore parfaitement à la période autour de The Hunter dans le son mais aussi dans les idées de riffs. Pourtant, il réside toujours ce petit fond de progressif qui sied parfaitement au groupe et qui rend la cover reconnaissable instantanément.

Le split EP sera proposé lors du Record Store Day 2012 à 5000 exemplaires, tous écoulés. Cette même année, Mastodon se fera aussi remarquer pour une autre cover, celle de A Spoonful Weighs a Ton des Flaming Lips, disponible lors de la même édition du RSD. Un an auparavant, ce sont les ZZ Top qui eurent l'occasion d'être repris par le quatuor via la piste Just Got Paid, là aussi mise en vente en 7 pouces lors du RSD. Passé 2012, le groupe s'arrêtera là concernant les reprises, préférant se concentrer sur leurs propres nouveaux morceaux, un choix judicieux quand on connaît la discographie des Américains. De son coté, Feist continuera à proposer des albums avec Pleasure en 2017 et Multitudes en 2023.

Reprendre un titre est toujours un exercice casse-gueule, surtout quand le matériau de base est éloigné de ce qu'un artiste propose habituellement. Dans le cas de Feistodon, les deux entités ont su adapter parfaitement les chansons reprises à leurs univers respectifs, de quoi presque questionner l'origine des titres. Une petite pépite passée un peu inaperçue malgré ses ventes et qui ne demande qu'à voir un épisode deux sortir un jour. En attendant, on se réécoutera ce split en boucle et on célèbrera toujours son existence car oui, c'est la Feist.