Qu'est-ce que 10 ans ? En fonction de l'échelle choisie, une décennie peut représenter une montagne comme un grain de poussière. Dans une carrière musicale, c'est une étape importante. Arriver à sa première décennie de vie est quelque chose de formidable tout comme ça représente un gouffre si on le transpose en temps d'attente entre deux sorties.
Il y a aussi l'impact que cela a sur l'auditeur. Durant ce laps de temps, sa perception de la musique change. Il découvre ou redécouvre des entités musicales entières tout en creusant de nouvelles choses trouvées sur le tas. Une personne peut avoir complètement changé son fusil d'épaule en ce qui concerne son genre préféré ou bien a pu s'ancrer dans ses convictions suite à des albums révélateurs. Dix ans c'est un cap, surtout quand ce qui suit est décevant. Il est donc temps de revenir sur Wasting Light, septième album studio des Foo Fighters qui souffle ses 10 bougies puisque sorti le 12 avril 2011.
Ne revenons pas sur la carrière de Dave Grohl, un simple article ne suffirait pas pour étayer tout ce que cet homme a effectué. Néanmoins, il est important de signaler que depuis 1994 et la fin de Nirvana, l'ex-batteur reconverti en guitariste/chanteur cartonne avec son projet nommé Foo Fighters. Du one-man band des débuts au sextette que l'on connaît maintenant, beaucoup de choses se sont passées dans leur histoire, et surtout, énormément de tubes. Dès leur deuxième disque, le formidable The Colour And The Shape (1997), les Foo vont envoyer Everlong dans la tronche d'un paquet de monde. Un titre légendaire qui encore maintenant définit le groupe. À chaque sortie sa ou ses pistes légendaires : Learn To Fly, All My Life, Best Of You, The Pretender, la liste peut continuer de s'étendre jusqu'à plus soif. Même en cas d'album moins marquant, Grohl parvient à sortir LE titre. Celui qui cimente à chaque fois plus sa légende.
Il ne faut pas croire que cette histoire s'est écrite naturellement. Entre membres virés, un départ pour cause de fatigue, problèmes d'addictions, la vie du groupe ne fut pas un long fleuve tranquille. Si vous cherchez à en savoir plus, l'excellent documentaire Back & Forth, lui aussi sorti en 2011, est là pour vous. Il revient sur la vie tumultueuse des Foo Fighters avec les témoignages des membres. Un rockumentaire qui en profite aussi pour nous montrer l'envers du décor de l'enregistrement de ce Wasting Light, sujet du jour.
Afin de faire un dernier gros disque de rock, Dave Grohl s'entoure de Butch Vig, légendaire producteur au CV plus qu'équivoque (Nevermind de Nirvana, Siamese Dream des Smashing Pumpkins ou encore 21st Century Breakdown de Green Day) et aussi batteur de Garbage à ses heures perdues, rien que ça. De plus, le groupe va se retrouver dans la maison de Grohl à Encino en Californie pour tout enregistrer là-bas, notamment dans le garage du chanteur. Pour couronner le tout, pas question d'utiliser le numérique. Ce sont les bonnes vieilles bandes analogiques qui serviront à récolter les pistes. De quoi décontenancer Vig qui a dû se réhabituer à ce matériel devenu désuet avec la technologie. Il faut rajouter qu'il est quasiment impossible de corriger quoi que ce soit sur des bandes analogiques. Là ou le numérique permet de gommer facilement de petites sorties de piste, les bandes sont une sorte de traversée de canyon sans être attaché : une erreur et toute la prise doit être refaite. Pour Grohl, c'était pour mieux capturer l'essence rock des morceaux.
"But Dave really wanted it to be about the sound and the performance. They'd just played some shows at Wembley Stadium, and he told me, 'We've gotten so huge, what's left to do? We could go back to 606 and make a big, slick, super-tight record just like the last one. Or we could try to capture the essence of the first couple of Foo Fighters records.'" Butch Vig dans NylonMag
Cerise sur le gâteau, les Foo Fighters accueillent de nouveau Pat Smear, guitariste de son état, dans la formation. Ayant quitté le groupe en 1997, il était revenu comme musicien de tournée en 2005 avant donc de réintégrer le line-up des Foo pour Wasting Light. Un quintette à trois guitaristes, un album enregistré sur bandes analogiques dans le garage de Dave Grohl, les bases sont solides pour obtenir quelque chose de particulier. Au milieu de tout ça, Butch Vig s'arrache les cheveux au début.
"I used to be able to do 20 edits in half an hour if need be. It took me about 20 minutes to do the first edit!"
Il faut dire que Vig découpait les bandes au rasoir pour ensuite les associer, quelque chose de courant mais qui est assez long à mettre en place. Surtout quand une des filles de Dave Grohl détruisit une des cassettes contenant des titres déjà passés sous les mains du producteur. Du découpage, Vig passera au poinçonnage, autre technique permettant de recouvrir des parties de bandes par d'autres bandes ou même en réenregistrant par dessus. Malgré les doutes du producteur, l'enregistrement se passera sans encombres. Et si le début du mixage de l'album se fera dans un studio de Los Angeles, c'est bien chez Dave Grohl qu'il sera terminé. A 8 mains, Butch Vig, Dave Grohl et deux ingénieurs, Alan Moulder & James Brown (non pas celui auquel vous pensez), Wasting Light est peaufiné sur la console Neve du légendaire studio Sound City, rachetée par Grohl au moment du documentaire sur le dit studio sorti en 2011. Les morceaux iront même jusqu'à passer un test particulier : celui d'être diffusé dans les voitures des membres du groupe. Pour Butch Vig :
"if it sounds good on a lousy stereo, it will sound good anywhere"
Il aura donc fallu 4 ans d'attente pour que les fans des Foo puissent avoir un successeur à Echoes, Silence, Patience & Grace. Et c'est en février 2011 que le premier single sort. Avec un clip qui sent bon les années 80, les Foo Fighters roulent sur tout le monde avec leur White Limo puissant et sauvage. Mention spéciale à Lemmy, formidable conducteur de limousine. Du riff d'intro puissant à la batterie de Taylor Hawkins en passant par les cris pleins de rage de Dave Grohl, cette chanson sert d'avertissement au reste du monde. Les Foo sont de retour et ça va chier.
Derrière, c'est Rope qui est choisie pour continuer la hype. Dans un style plus sobre mais tout aussi efficace, le quintette dévoile un peu plus les contours de Wasting Light : moins de violence mais toujours autant d'efficacité avec quelques breaks de batterie plutôt bien sentis. On se rapproche doucement de la sortie de l'album et tous les signaux sont au vert pour dire qu'on a de bonnes chances d'avoir un sacré bon produit.
Dès sa piste d'introduction, Wasting Light nous fait comprendre qu'il n'est pas ici pour trier les lentilles. Bridge Burning démarre sur les chapeaux de roues et nous permet de voir que Dave Grohl est un maître dès qu'il s'agit de faire des morceaux puissants aux refrains fédérateurs. Une leçon qui ne demande qu'à être suivie par d'autres coups de cœur. Ça arrive avec Dear Rosemary, plus douce dans ses intentions, mais c'est ce qui en fait sa beauté. On peut aussi signaler l'apparition de Bob Mould, guitariste et chanteur de Husker Dü, groupe important de la scène alternative dans les années 80.
À chaque morceau, sa gifle : de l'efficacité remarquable d'Arlandria à la power ballad These Days en passant par la plus pop Back and Forth, c'est un disque où rien n'est à jeter. Et puis, comment discuter de cet album sans évoquer ce qui est peut être son plus beau titre : I Should Have Known.
Une piste puissante aux paroles évoquant le suicide de Kurt Cobain, ami très proche de Dave Grohl de par les années Nirvana. La musique, elle, suit une progression constante : les instruments prennent de plus en plus de place, on retrouve quelques cuivres disséminés en arrière-plan et puis un pont extrêmement puissant où la basse est étonnamment en premier plan. Il faut dire que ce n'est pas Nate Mendel, bassiste du groupe, qui joue ce riff mais Krist Novoselic, qui avait ce rôle dans Nirvana. Pour la première fois depuis le décès de Cobain, les deux autres membres du trio se retrouvent pour enregistrer quelque chose ensemble. Une volonté de Grohl quand on sait que le texte est très touchant et lourd de sens. On pourrait d'ailleurs débattre du fait que cette piste ne soit pas celle terminant ce Wasting Light. Néanmoins, dans ce rôle, Walk est une belle conclusion. Il faut dire qu'elle permet de terminer le disque sur une note positive, une bonne chose avec un peu de recul.
Wasting Light est un album qui fera mouche dans le cœur d'énormément de monde. De sa production impeccable aux chansons géniales, tout est une franche réussite pour les Foo Fighters qui termineront de cimenter leur place au sommet avec ce disque. Mais la rançon de la gloire sera une attente démesurée sur chacun de ses successeurs. Et si l'on peut pardonner l'inconstance de Sonic Highways de par la complexité de production imposée par le concept de la série tournée en même temps, Concrete & Gold et Medicine At Midnight ne parviendront pas à rassasier les fans. Il faut aussi comprendre la volonté de Dave Grohl de se faire plaisir et d'aller sur d'autres territoires. Il ne lui sera jamais reproché cela. En revanche, quand on voit qu'en 10 ans, le groupe est passé de monstres du rock à groupe de stade en manque d'inspiration, on ne peut que regretter le virage pris.
Une décennie c'est peu et c'est beaucoup à la fois, on le constate avec les Foo Fighters. La réussite totale de Wasting Light leur permet maintenant de faire tout ce qu'ils veulent, mais en contrepartie, les gens seront presque tout le temps déçus de ce qui sortira, tant la qualité de ce disque est au-dessus du lot. Néanmoins, il n'est pas l'heure de se plaindre mais plutôt de célébrer. Alors lancez-vous cet album et profitez d'une pièce qui ne vieillira pas. Un moment hors du temps qui fera qu'on parlera encore des Foo 100 ans après leur mort. Et rien que pour ça, chapeau messieurs.
Foo Fighters
"Wasting Light"
- Date de sortie : 12/04/2011
- Label : RCA Records
- Genres : Hard Rock, Rock Alternatif
- Origine : Etats-Unis
- Site : https://www.foofighters.com/