Ghost - Impera

Fantômes de l'Opéra Rock

Lorsque l'on regarde les têtes d'affiche de la scène Metal, il revient un pattern éloquent autour de l'âge des formations occupant les sommets des line-up des festivals. Il semblerait qu'il faille obligatoirement passer la barre des vingt années d'existence pour prétendre à une place de headliner. Pourtant, il existe une formation qui s'est faufilée aussi vite que Mario prenant une warp zone pour passer du monde 4 au monde 8. Derrière son "Pape émérite", Ghost n'en finit plus de gravir les échelons à une vitesse folle et chaque sortie devient maintenant aussi attendue que le retour du Messie.

La sortie de Meliora en 2015 sera la première fusée qui les propulsera très haut. Porté par des singles excellents, le troisième méfait des Suédois est un incontournable. Néanmoins, ce qui se tramera autour du disque sera le début d'une petite zone d'ombre. Jusqu'alors, l'identité des membres était cachée. Et bien que le nom derrière Papa Emeritus était un secret de polichinelle, ce mystère contribuait à la hype tout autour du groupe. Début 2017, un procès pour des questions d'argent et de droits d'auteur sera intenté par quatre anciennes goules contre Tobias Forge, l'homme derrière le masque du Pape. Si le leader de Ghost en sortira vainqueur, il en résultera des petites craintes de certains fans autour de cet imbroglio.

Avec Prequelle, la formation suédoise entérinera son virage metal de stade et coupera un peu avec l'imagerie qui avait fait son charme lors de ses débuts. Moins d'occulte, plus d'hymnes et forcément, des dents qui grincent. S'il est difficile de reprocher ce choix au vu de la réussite commerciale du groupe, il est dommage de voir Ghost abandonner sa part d'ombre. Néanmoins, ce qui donnait du succès à tout ceci venait du mystère qui entourait le Pape et ses goules. Maintenant qu'il est clair que Tobias Forge dirige tout, tout seul, est-il nécessaire de forcer sur un mysticisme qui pourrait tourner en fausse maison hantée de fête foraine ?

Il est évident que le succès de Ghost ne s'est pas fait que via leurs chansons. Il suffit de regarder quelques lives sur Youtube pour se rendre compte que rien n'a été laissé au hasard concernant les prestations scéniques de l'ensemble. C'est un tout qui a propulsé les Suédois au sommet, comme une resucée de Slipknot avec beaucoup moins de violence, cela va de soi. Tout comme leurs homologues de l'Iowa, la perte du mystère autour des membres n'a pas entaché leur ascension et chaque sortie devient une attente remarquable et remarquée, nous amenant tout naturellement à Impera, cinquième sortie de Forge et son orchestre.

Une des forces de Ghost réside en ses singles. Chaque album possède des titres très forts, mis en avant à raison, pour attirer les auditeurs. Même si Prequelle est un disque en demi-teinte, il est impossible de ne pas succomber à l'efficacité redoutable de Rats, son refrain accrocheur et son riff du tonnerre. Ici, on a eu droit en premier à Hunter's Moon, piste présente sur la B.O. de Halloween Kills et sortie en septembre 2021 soit six mois avant Impera. Alors qu'on aurait pu croire au simple titre promotionnel, elle se trouve bien sur la tracklist de l'album avec Call Me Little Sunshine, deuxième single dévoilé lui en janvier dernier qui a servi à annoncer officiellement l'arrivée du disque pour mars.

Deux titres qui marquent les principaux soucis que l'on pourra avoir avec cet album. En premier lieu, le mixage totalement aux fraises de la batterie. Sur Hunter's Moon, la cymbale ride se retrouve bien trop en avant, ce qu'on retrouvera aussi sur Kaisarion, Spillways ou Darkness At The Heart Of My Love. On pourra également signaler une grosse caisse très agressive sur Twenties et si l'on veut chipoter, le charleston est un brin baveux mais rien de bien méchant.

Ensuite, on notera une abondance de gimmicks vus et revus. Ils peuvent être propres à Ghost, comme débuter son disque par une courte chanson de moins de deux minutes qui fait le lien avec la piste suivante. Une mécanique entendue sur chaque disque du groupe, excepté Meliora. On trouve également une dernière piste en forme de power ballade épique, comme sur Infestissumam ou Prequelle.

On peut aussi souligner des facilités d'écriture avec les paroles répétées à l'infini sur les fins de morceaux comme pour Spillways, Call Me Little Sunshine ou bien Watcher In The Sky. Cette dernière comporte un classique du rock de stade : la grosse caisse sur tous les temps pour que le public crie le poing levé. Ajoutez à tout ceci un refrain simple et vous avez un hymne calibré pour marcher.

Enfin, l'album se morfond dans une repompe sans saveurs des années 80, dans sa majorité, pour donner à la plupart des morceaux des impressions de déjà-vu assez dérangeantes. Sur Kaisarion, on retrouve un solo doublé digne des meilleurs groupes d'Arena Rock et on s'imagine dès le cri d'introduction un titre de Mötley Crüe. Ce gimmick du solo reviendra également sur Watcher In The Sky mais aussi sur la fin de Hunter's Moon via la reprise du riff principal.

On peut mentionner les claviers de Spillways, subtil emprunt aux meilleurs tubes d'ABBA ou de Supertramp. Mais plus que des détails, la production de certains titres nous plonge directement dans les 80's. Kaisarion dès son intro, Watcher In The Sky qui pue la face B de Kiss ou bien Griftwood qui parvient à être une copie du riff de Ain't Talking Bout Love de Van Halen mais aussi d'avoir un pont ressemblant à celui de Raining Blood de Slayer. Sans oublier la finale avec une montée de ton très cliché, une habitude des morceaux d'Eurovision.

Il reste encore les deux plus gros points noirs du disque à évoquer. En premier : l'utilisation du fade-out. Entendons-nous bien, ce n'est pas l'outil en lui-même qui est reproché, grand nombre d'artistes s'en servent depuis toujours pour ponctuer leurs morceaux, il n'y a pas de mal à cela. Mais quand en 2022, on se retrouve avec un groupe qui se sert d'un fade-out de cinquante (!!) secondes, et ce par deux fois, c'est une véritable honte. Les fautifs : les titres Respite On The Spitalfields et Watcher In The Sky. Cette dernière cumulant même l'affront d'avoir un fade-out sur des paroles répétées jusqu'à l'écœurement. Une fainéantise de qualité.

Enfin, il faut évoquer la ballade Darkness At The Heart Of My Love, qui est un naufrage complet du début à la fin. Les claps sonnent extrêmement datés, le mix est raté, l'ambiance est mièvre, le refrain est d'une mollesse folle. Il semblerait que Ghost se soit mis en tête de refaire un He Is mais tout semble à côté sur ce titre. En plus de tout cela, on peut notifier la présence de trois personnes pour son écriture, Tobias Forge s'entourant de Salem Al Fakir et Vincent Pontare, deux grands noms de la production et du songwriting dans le monde de la Pop. Le trio est d'ailleurs impliqué sur cinq pistes de l'album dont Spillways et Watcher In The Sky et leurs fin ad lib déjà évoquées plus tôt.

Pourtant, cet Impera n'est pas un total raté et la principale qualité du disque est celle qui jalonne la discographie de Ghost depuis ses débuts : des refrains d'une efficacité redoutable. Il est impossible d'écouter cet album sans en retenir des mélodies ou des parties vocales. Les "Hypatia" sur Kaisarion en sont un bon exemple même si la palme revient à Call Me Little Sunshine, notamment son refrain final avec cette petite touche d'orgue très bien sentie et qui rappelle les précédents méfaits des Suédois.

Malheureusement, une autre de ses qualités réside dans le fait qu'il permet d'apprécier un peu mieux son prédécesseur, Prequelle. Pas certain qu'il s'agisse de l'effet escompté.

Aussi, il faut signaler les paroles toujours aussi recherchées pour coller avec ce qu'il reste de l'esthétique de Ghost. Avec l'envie de souligner Kaisarion, décidément un si ce n'est le meilleur titre de cet album. Le parolier s'est appliqué à parler des dérives de la religion via le féminicide d'Hypatia, mathématicienne et astronome de renom qui succomba à d'atroces souffrances des mains de fanatiques Catholiques. Le reste du disque n'est pas en reste puisque l'on peut évoquer Aleister Crowley en passant par l'obscurantisme, Donald Trump et les politiques. Tobias Forge s'est appliqué à offrir un panel touffu à celles et ceux qui voudraient enquêter sur les différentes histoires comptées par le Pape et ça reste une des grandes qualités de Ghost sur le long terme.

Impera n'est pas un album fondamentalement raté. Mais il lui manque énormément de choses pour être un bon disque, en premier lieu, de la surprise. Prequelle avait pour lui des prises de risques, notamment sur ses instrumentales Miasma et Helvetesfonster. Ici, on a cet arrière-goût de pilote automatique pendant l'écoute, et c'est dommage. On a toujours été surpris par les productions Ghost, nous voici pour la première fois déçus. Cette course au stade est en train d'assagir Tobias Forge. Il y a longtemps que les fantômes ne nous font plus peur, maintenant, ils ne nous font plus plaisir non plus.

EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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Ghost
"Impera"