Il n'est pas rare pour des artistes de devoir créer une autre entité musicale à part. Ces side-projects sont là pour permettre aux musiciens d'avoir un autre terrain de jeu, de pousser les expérimentations ou parfois, coucher sur bande des idées qui n'auraient pas été dans le cadre des groupes principaux auquel ils participent à la base. D'Arcadea à Gorillaz en passant par A Perfect Circle ou encore Audioslave, les exemples pullulent dans l'histoire de la musique et aujourd'hui, on va évoquer l'un d'entre eux. Moins connu mais pourtant d'une fort belle qualité.
En 2001, les patrons de Leader Price faisaient des choses que la morale réprime mais de l'autre coté de l'Atlantique, un jeune guitariste rencontre Mike Eginton, bassiste de son état. Avec leurs groupes respectifs, ils feront la connaissance du batteur Mario Rubalcaba, déjà reconnu pour ses talents de skateboarder du coté de San Diego. Leur amour commun du rock psychédélique japonais et du krautock font que le trio se réunit pour composer et tenter de se faire une place dans une scène californienne dense. Il faudra attendre 2005 pour voir débarquer Sonic Prayer, un album de deux titres dépassant chacun les vingt minutes, le premier portant d'ailleurs le nom d'une des formations japonaises les plus reconnues de la scène, Flower Travellin' Man. Une chose va frapper les auditeurs : la virtuosité de l'homme derrière la six cordes. Isaiah Mitchell se fait un nom et avec lui, Earthless deviendra pour beaucoup la meilleure réincarnation moderne de Jimi Hendrix et de sa musique.
Le trio a offert au monde cinq disques reconnus et appréciés par tous les critiques et les fans. Enfin, presque tous. En 2018, Earthless sort Black Heaven et avec lui, son lot d'interrogations et de surprises. Pour la première fois, Isaiah Mitchell se place derrière le micro et surtout, aucune piste ne dépasse les dix minutes, marque de fabrique du reste de la discographie des Californiens. Beaucoup de changements qui vont brusquer les fans de la première heure ne souhaitant qu'une chose de la part du groupe : de longues plages psychédéliques et instrumentales. Alors que l'on pourrait s'attendre à une sortie de piste, il ne faut pas creuser bien longtemps pour comprendre l'attrait de Mitchell pour une formule plus classique. Pour cela, il faut revenir en 2010.
Déjà aux prises avec un side-project (Howlin Rain), Isaiah Mitchell, accompagné aux claviers par son épouse Camilla Saufley, lance un nouveau groupe nommé Golden Void. Autour du duo se grefferont Justin Pinkerton à la batterie et Aaron Morgan à la basse. Ce quatuor offrira un premier album éponyme en 2012 avant de débarquer en 2015 avec Berkana, dernière sortie d'une formation qui ne devrait pas revenir sur le devant de la scène suite à la séparation du couple. Mais il n'est nullement question de s'étaler sur ce point, revenons à la musique et à ce Berkana qui fête ses dix ans. Un disque trop méconnu qui mérite pourtant toute votre attention.
En vous évoquant le fait qu'Earthless est un groupe instrumental, sachez que j'ai omis une petite chose : le trio ne s'est jamais caché de son amour des vieux titres de rock n'roll. Il arrive même régulièrement que des reprises soient jouées durant les rappels des concerts. L'occasion donc d'avoir Isaiah Mitchell en tant que chanteur. On a pu l'entendre sur la version bonus de l'album Rythms From A Cosmic Sky via la reprise de Cherry Red de The Groundhogs ou encore en live avec du Led Zeppelin et Communication Breakdown. Tout ceci pour dire qu'Earthless et surtout Mitchell ne sont pas étrangers à l'exercice de la chanson plus traditionnelle, ce qui atténue la surprise au lancement de ce Berkana.
Burbank's Dream nous offre une belle entrée en matière avec un titre calme qui tourne autour du riff principal, magnifiquement soutenu par la section rythmique qui apporte un certain groove nonchalant à l'ensemble. La voix de Mitchell colle parfaitement à l'ambiance psychédélique et posée du morceau et tout s'enchaîne avec fluidité. Une remarque valable sur l'entièreté de la tracklist tant tous les titres s'écoutent à la suite des autres sans sensation de fatigue. Pour revenir sur l'ouverture, le chanteur rappelle à tous qu'il reste un excellent guitariste et gratifie l'auditoire d'un solo final magnifique, moins démonstratif que dans Earthless, mais tout aussi réussi.
Bien qu'Isaiah Mitchell soit l'attraction principale, les autres membres ne sont pas en reste. Rien que sur Silent Season, on se retrouve chatouillé par un son de basse délicieusement fuzzé qui sera la trame principale du titre tandis que Camilla Saufley se fait entendre pour la première fois en tant que choriste, en plus de poser des tapis de claviers et autres orgues tout au long de la tracklist, l'exemple le plus flagrant arrivant sur Astral Plane.
Placée au milieu de l'album, cette piste est le magnum opus de Golden Void. Pendant sept minutes, le quatuor va dérouler une partition psychédélique et aérienne, portée par un Isaiah Mitchell dont la voix est agrémentée d'une légère reverb accentuant le coté éthéré voulu. Le titre va devenir un peu plus puissant sur sa fin, une légère prise de muscles pour un final prenant où les refrains se retrouvent doublés au niveau de la voix. De petites touches qui apportent énormément à l'ensemble et rendent cet Astral Plane incontournable.
Si l'album transpire l'hommage au vieux rock and roll des 70's, les Californiens n'hésitent pas à jouer sur les ambiances et les temps calmes. Qu'il s'agisse du pont d'I've Been Down où Mitchell tricote sur sa guitare avec maestria ou encore la piste de clôture Storm and Feather, ballade mélancolique terminant parfaitement ce voyage qu'est Berkana, Golden Void apporte bien plus qu'un simple enchaînement de titres riffus. De plus, Mitchell sait adapter sa voix aux différents passages du disque, montrant que sa palette vocale est étendue et colle de manière idoine aux intentions développées.
Déjà en 2012, Golden Void avait tapé dans l'œil et les oreilles des fans et des critiques avec son premier album. Il faut dire qu'on retrouvait déjà de beaux moments de musique avec en point d'orgue, un Atlantis final sublime et astral. Avec Berkana, le quatuor offre une version améliorée de cette première livrée et tout était écrit pour une belle carrière sous le soleil californien. Malheureusement pour nous, il n'en sera rien même s'il est entendable d'imaginer Black Heaven d'Earthless comme une sorte de troisième album non officiel de Golden Void tant on peut retrouver des traces de cette formation dans le projet principal de Mitchell. C'est d'ailleurs ce qui avait contrit les gens. Les auditeurs veulent du Earthless dans leur Earthless et c'est tout. La formule reviendra donc sur Night Parade Of One Hundred Demons pour le plus grand plaisir des amateurs de pistes instrumentales de vingt minutes. Pour les autres, il reste ces deux disques de Golden Void comme un souvenir heureux d'une période probablement révolue.
Berkana est la bande-son idéale d'un coucher de soleil, un bonbon qui fête donc ses 10 ans et qui garde toutes ses saveurs avec le temps. Alors que Docteur Isaiah chez Earthless peut effrayer, de par la musique du trio et son style très expressif, Mister Mitchell apporte une facette de sa musique dans Golden Void qui prouve que c'est l'un des musiciens les plus importants de la scène Stoner au sens le plus large possible. Dommage que son projet le plus accessible ne soit qu'un lointain souvenir, nous créant un certain vide. Doré, certes, mais un vide.

Golden Void
"Berkana"
- Date de sortie : 18/09/2015
- Label : Thrill Jockey
- Genres : Rock Psyché, Rock Psychédélique, Stoner Rock
- Origine : Etats-Unis