Loud Heavy Pretty Noises
1er Janvier 2020, une courte vidéo mise en ligne sur Instagram attire ma curiosité et m'emplit d'espoir. On y observe une main jouant avec un papillon, avant de partir subitement sur un mur sonore, habillé d'une image kaléidoscopique.
Si elle me ravit autant, c'est qu'elle sonne comme une future annonce de la part d'Holy Fawn, un groupe qui enchante mes oreilles depuis un petit peu plus d'un an.
Holy Fawn est un groupe américain originaire de l'Arizona, se décrivant comme quatre créatures fabricant des sons puissants, forts et mignons. Une description collant parfaitement à l'univers du quatuor, bien plus que n'importe quelle étiquette. En effet, sur leur dernier album Deathspells se confondent les chapelles du post-rock, du shoegaze, de l'ambient, parfois du doom et du black metal... Un disque splendide se rangeant du côté des productions pour lesquelles le vocabulaire musical classique peine à décrire succinctement et justement la réalité de son contenu. Et qui, si l'on n'ose le terme inclassable, peut se targuer de celui de singulier.
Seize jours plus tard, c'est sans prévenir que sort des bois la raison de la vidéo mentionnée plus tôt : un nouvel EP de trois titres, répondant au nom de The Black Moon, sorti sur le label Triple Crown Records, maison de Caspian. De plus, est crédité à la production Matt Bayles, ayant été derrière la console pour des albums d'Isis, Caspian ou encore les trois premiers Mastodon. Un historique alléchant donnant beaucoup d'espoir sur cet EP, que j'ai bien évidemment lancé instantanément et travaillé quotidiennement.
Candy se charge de lancer l'aventure avec un passage noisy intriguant, soudainement balayé par le groupe, arrivant uni par un mur sonore classique gorgé de pistes et de reverb, pour nous emporter directement. Sur ce titre, c'est clairement la batterie qui donne le ton. Massive durant les explosions du groupe, elle n'hésite pas à s'absenter quelques instants pour leur permettre de glisser leurs ambiances mélancoliques habituelles à base d'arpèges et d'harmonies vocales. Son retour, tout en tension par son rythme martial, donne une sensation d'oppression et annonce la prochaine envolée à venir. C'est même elle qui finit le titre, ne nous donnant pas de répit en frappant de plus belle alors que les instruments se fondent en un bruit sourd, parasités par moment de quelques sonorités trafiquées. Un bon lancement d'EP qui séduira les fans des précédents efforts du groupe.
À l'instar de Two Waves et Same Blood sur Deathspells, Tethered est le morceau ambiant/experimental de l'EP. Un interlude atmosphérique de 2min39, ou des notes de saxophone se font entendre au lointain, se confondant dans l'alliage éthéré et délicat de sonorité. Ce à quoi ressemblerait un morceau de synthwave passé sous un filtre hivernal, troquant son énergie pour un apaisement onirique, tout en conservant l'émotion nostalgique qui en émane. Un véritable cocon de douceur.
Ce morceau semble être la bande-son de la pochette de l'EP, signée Reilyn Sanderson, ou l'on voit de dos une personne marchant de nuit, sous la neige, avec un éclairage froid et ordinaire. Une photographie d'un instant saisi, aux allures de banal. Une démarche romantique s'inscrivant dans l'esthétique et la mentalité shoegaze, part évidente de l'ADN d'Holy Fawn, et une approche intelligente de ce dans quoi la musique du groupe puise et surtout dans ce qu'elle donne.
Mais le tour de force de cette production est très clairement réalisé avec le titre Blood Pact, mis en avant par le groupe, étant habillé d'un clip surréaliste réalisé par Bird Sounds.
Ce morceau est tout d'abord une leçon de dynamique, commençant de façon lancinante, où voix douces et arpèges de guitare s'élèvent sur un socle de boite à rythme et de basse synthétique, conservant l'aspect cocon du morceau précédent. Il finit sur un mur sonore aux basses gonflées et déchirantes, donnant à la transition un poids instantané. Le chant détonne avec un dernier refrain en voix de tête, avant de rejoindre l’instrumentation dans un hurlement de transition à la puissance saisissante. Le retour au calme de fin nous permet d’émerger doucement de ce voyage.
Si la qualité de la composition est à saluer, c'est bien la production renversante de ce titre qui lui donne un tel goût d'aboutissement. En effet, si on la sent très bonne tout au long de l'EP, c'est sur le climax de Blood Pact qu'elle nous dévoile toute sa maîtrise, contribuant à en faire l’un des meilleurs efforts du groupe à ce jour.
Le son est massif, paradoxalement tant lourd qu'éthéré. Incroyablement ample et lisible, il nous permet d'en percevoir toute la richesse et de savourer tout le savoir-faire d'Holy Fawn dans ses fresques, garnissant sa musique de couches et de textures, se révélant écoute après écoute, récompensant notre implication. Une démarche d'orfèvre leur donnant ce goût de singulier, d'une esthétique construite consciemment et savamment, au-delà même de la musique. Cet habillage d'entité étrange, sensible et emo, ils l'appliquent à leurs visuels, leurs clips, et leur communication. Tout ce soin envers l'image démontre une maturité et une personnalité forte, qui vient renforcer la musique. De plus, il donne espoir quant à leur faculté à fédérer et à prendre de l'ampleur s'ils continuent sur cette voie. Une approche romantique de l'art qui ne peut que vous séduire !
Avec The Black Moon, Holy Fawn démontre qu'ils ne sont pas juste capables d'accoucher de douces mélodies et de fresques sonores introspectives. Le quatuor dévoile toute sa maîtrise et sa véritable force : savoir insuffler à leurs compositions une esthétique propre et riche. Donnant à leur univers une dimension viscérale, sensuelle et sensible, les rendant terriblement touchants, terriblement addictifs.
Holy Fawn
"The Black Moon"
- Date de sortie : 17/01/2020
- Label : Triple Crown Records
- Genre : Doomgaze
- Origine : Etats-Unis
- Site : https://holyfawn.bandcamp.com/