Il y a plus de 16000 ans en Bolivie, au pied de la cordillère des Andes, se trouvait un immense lac salé. De par certains phénomènes géologiques et météorologiques, cette extraordinaire étendue d’eau est venue à s’assécher totalement en l’espace de 2000 ans, ne laissant derrière elle qu’un vaste désert de sel. Cet endroit du globe, c’est le lac Tauca, et c’est ici que s'inscrit le point de départ de l’album A Distant (Dark) Source de Hypno5e.
La musique que produit Hypno5e est singulière, déployant à chaque album des univers très différent et avec un côté cinématographique pleinement assumé grâce à l’ajout d’extraits de films ou de lectures de textes. Signée chez Pelagic Records, la formation montpelliéraine n’a cessé d’innover tout au long de sa discographie, chaque disque proposant un voyage différent. Ils iront même beaucoup plus loin dans leur démarche artistique en réalisant un film en 2018, accompagné d’une bande originale complètement acoustique : Alba, Les Ombres Errantes.
2019 sera une année charnière pour le groupe, avec le début d’un nouvel arc de sa carrière. En effet, il marquera l’arrivée de leur cinquième album studio, annoncé comme la seconde partie d’un diptyque qui arrivera dans un futur proche. Après 3 longues années d’attente, sa première partie fut enfin annoncée pour le 24 février 2023 et sortira sous le nom de Sheol. À l'occasion de son arrivée, je vous propose de vous replonger ou de découvrir ce périple fascinant qu’est A Distant (Dark) Source, second partie de ce diptyque.
On The Dry Lake ouvre l’album de la plus belle des manières. Une introduction à la limite de l’ambiant sur laquelle on peut entendre un passage de La Machine Infernale de Jean Cocteau, et puis arrivent ce riff saccadé, cette basse vrombissante et cette batterie magistrale. Aussi soudain que tranchant, l'ensemble nous captive et nous emporte immédiatement dans l’atmosphère mélancolique de l’album. En alternant entre phases plus directes et passages plus apaisés, les 12 minutes du titre semblent n’en durer que 4. Il se passe toujours quelque chose d’intéressant et de beau dans la composition, sublimée par une production encore plus aboutie et fluide que sur leurs précédents travaux.
Mais il y'a un élément central de la formation que nous n'avons pas encore évoqué : son frontman, Emmanuel Jessua, aussi le réalisateur des clips. Avec son timbre de voix si particulier, il fait se succéder avec aisance les parties hurlées et claires. Son chant est absolument déchirant et ses textes poétiques nous emportent dans l'histoire qui nous est contée :
There she laid
Drained by the dust of blood
She lives in a dark home
Drained by the shade of sun
It's gone
This dream
It's gone
And I
I wander here
As I wander in your dreams
De nombreuses histoires entourent le lac Tauca, décor de l'album. On dit de ce lieu qu’une fois le soleil couché, on peut y retrouver des âmes, errant sans but sur ses terres désertiques. Une nuit vint alors un homme perdu, cherchant désespérément à retrouver l’être aimé.
Chaque alternance de style musical présente sur l’album vient nous dépeindre avec justesse les sentiments de ce personnage, oscillant entre nostalgie, colère, tristesse et désespoir. Le deuxième morceau, In The Blue Glow Of Dawn, en est un parfait exemple. Il débute par une première partie calme et atmosphérique avec de légers arpèges de guitares ainsi qu’une nappe de violons et un doux chant clair. Tous ces éléments viennent temporairement nous laisser respirer avant de revenir nous remettre la tête sous l’eau avec des plans de batterie donnant envie de se briser la nuque, des riffs syncopés à souhait et un Emmanuel Jessua qui vient nous hurler dans les pavillons auditifs.
« Nous désirons que l’amour dure, et nous savons qu’il ne dure pas. » Albert Camus
Tout le disque viendra jouer sur cet équilibre entre douce mélancolie et pure expression de rage et de frustration, l'homme désespérant à trouver son âme sœur, le tout, entrecoupé par des extraits de lecture de textes. Une formule qui pourrait paraître redondante sur le papier, laissant transparaitre à vue d’œil certains gimmicks de composition, mais il n’en est rien. Chaque riff, chaque intonation de chant, chaque subtil plan de batterie ou de basse font mouche. Les passages littéraires sont pertinents dans la narration et viennent ajouter du cachet à l’ambiance qui se dégage tout le long du disque. Certaines cassures de rythmes peuvent parfois surprendre, notamment ce passage à 3:52 dans la partie II du morceau éponyme où l’on entend « ça t’épates ? Et bien c’est comme ça ! » suivi d’un break qui vient vous percuter sans crier gare pour ensuite enchainer sur un long passage acoustique. On peut aussi noter sur On Our Bed Of Soil la présence de délicates notes de piano sur sa mélancolique première partie avant d’enchainer sur l’un des meilleurs riffs de l’album dans sa deuxième. Mais dans tout cet ensemble, il y’a un morceau qui se démarque des autres : le titre de clôture, Tauca – Part II (Nowhere).
On y entend tout d’abord une personne nous déclamer un extrait de La Valse des Adieux de Louis Aragon, accompagnée par d’inquiétants violons. Un chant clair intervient par la suite, mais cette fois-ci plus posé. Après toutes les phases traversées par le personnage sur le reste du disque, tout n’est que tristesse ici.
When the pain is gone
When the same old song
We did stop in nowhere
We will reach the nowhere
Bien qu’étant plus court que le reste, Tauca – Part II (Nowhere) apparait comme un véritable coup de maître en final de cette épopée. Se construisant sur une lente montée en puissance adjoint de parties de différents instruments à cordes, on y ressent tout le chagrin éprouvé par l’homme acteur de l’histoire. La performance d'Emmanuel Jessua tient même plus ici du théâtre que du domaine du chant, tant il semble habité par ses paroles, évoquant le deuil. En effet, l’être qu’il incarne se retrouve seul, sans son amante, semblant être disparue à tout jamais. À 4:25, un court silence s’enchaine sur une cavalcade des plus cathartiques. Les hurlements ressemblent bien plus à des pleurs, l’homme ne voulant pas accepter son sort de solitude. Un instant d’une intensité rare durant près d’une minute où l’espoir n’est plus permis. Et tout ça jusqu’à ce que tous les instruments s’arrêtent, sauf les violons, laissant la voix a cappella :
Is it me ?
Is it real ?
Let me breathe
(…)
In the end
Won't be anyone else.
Avec ce cinquième opus, les Montpelliérains rajoutent à leur très belle discographie une œuvre s’imposant avec le temps comme l’un de leurs meilleurs méfaits, aux côtés de Acid Mist Tomorrow et de Shores Of The Abstract Line. A Distant (Dark) Source est un disque riche et généreux, qui pourra paraître difficile à digérer sur ses premières écoutes. Et si vous vous demandez ce que donnent ces morceaux en concert, je ne peux que vous recommander la version live complète de l’album enregistrée à Nimes, disponible sur YouTube sous le nom de A Distant Dark Source Experience. Hypno5e fait partie de ces formations à part, une véritable fierté française. À vous donc de vous laisser transporter par leur univers et leur approche singulière de la musique.
Hypno5e
"A Distant (Dark) Source"
- Date de sortie : 22/11/2019
- Label : Pelagic Records
- Genres : Metal Cinématique, Metal Experimental, Post Metal, Metal Progressif
- Origine : France
- Site : https://www.hypno5e.com/