Jacob Collier - Djesse Vol.3

Déambulations pop et électro

La fin du mois d'août aura enfin vu le fils prodige revenir dans l'actualité musicale après une longue campagne de teasing armée de 6 singles. Jacob Collier nous amène un funk clinquant, électronique, une pop aux variations allant du survolté au doux, en passant par une panoplie d'atmosphères intimistes. Djesse Volume 3 s'annonçait comme une vraie singularité dans la continuité de la tétralogie Djesse (J-C). Les arrangements très orchestraux du volume 1, puis riches et boisés sur le volume 2 , sont devenus synthétiques et juteux de nombre de techniques de production issues de la pop moderne. Tel un éventail déployant un à un ses plis, chaque single a opéré un dévoilement progressif des couleurs de l'album. Ne nous restait plus qu'à le découvrir en entier lors de sa sortie, qui était l'une des plus attendue de l'année.

Jacob toujours en ascension

L'album a connu un acceuil comme Jacob n'en a pas connu depuis le début de sa jeune carrière. Ayant réussi à séduire au-delà de sa fanbase de connaisseurs, et à toucher un grand nombre d'auditeurs. Rien ne semble indiquer qu'il s'agisse d'un plafond, l'ascension se perpétuant doucement mais sûrement. Cet opus va sans nul doute y contribuer énormément étant donné son accessibilité véritablement imparable. Jacob s'attaque principalement à la pop/funk actuelle, la transformant selon ses méthodes (ce qui peut inclure d'ajouter des bulles de savon qui éclatent en arrière plan des centaines de pistes de chaque session studio...). Un genre aussi codifié que la pop de nos jours n'a cependant pas diminué l'étendue du spectre que Collier a pu visiter. "J-C" a simplement redécoré son univers aux couleurs d'une douceur nocturne planante, parsemée d'instants plus étincelants. Nombre de titres sont porteurs de thèmes toujours en rapport au relationnel, qu'il s'agisse d'amour, de flirt, de désir, comme il est coutume désormais chez le londonien. Cependant tout s'agence de façon à présenter un rapport cette fois-ci plus direct, frontal.

L'énergie est concentrée sur des refrains plus accrocheurs et calibrés que jamais, tels All I Need, Sleeping On My Dreams, ou l'ultra funky In My Bones. Le ressenti global est relativement plus calme que ces pics énergisants, car le tissu liant ces pistes, est une toile de pétillements et d'ambiances bien plus calmes, flottantes.

Le parti pris de fournir un corpus d'albums réunissant un nombre aussi grand que possible de courants musicaux se réalise ici en flattant la pop, la funk et rapidement l'électronique/trap comme mentionné précédement. Cela impliquait donc d'incorporer ces codes au vocabulaire de notre artiste, déjà bien riche. Certains de ces éléments sont manipulés avec une grande minutie et un dosage précis, comme l'oscillation rythmique du combo volume/compression des pistes sur les refrains, leur permettant d'élever leur potentiel d'euphorie encore plus haut. Les éléments connus du parlé de Collier se sont adaptés au contexte, avec l'intense second refrain d'All I Need et son usage d'une clef microtonale (qui n'est pas un gimmick unique à Jacob, mais reste une de ses techniques favorites). Bien évidemment, l'harmonie construite au sein des arrangements est un délice auquel on résiste difficilement. Cependant, elle est assez en retenue par rapport à l'utilisation intense des effets de synthèse et l'usage mirifique des basses, du rythme et du volume pour créer de véritables tubes sur quasiment chaque piste.

D'autres choses fonctionnent relativement (et il est important de souligner l'usage de ce mot) moins bien. Son rap sur COUNT THE PEOPLE, bien qu'on puisse en saluer la tentative, est au mieux énergique, au pire légèrement bizarre. On est heureusement capable d'oublier ce dérapage à moitié contrôlé lorsque deux pistes plus tard la royale intervention de Daniel Caesar sur l'ultra classe Time Alone With You (aux influences de D'Angelo à peine cachées) élève à nouveau le niveau sur les cimes. Une des plus intéressantes collaborations parmis les nombreuses présentes sur l'album.

Un virage pop marqué et légèrement clivant

Il faut en effet le dire, son album pop est riche d'apparitions de grands noms du genre. On pourra ainsi compter sur Daniel Caesar, Kimbra, Ty Dolla $ign, Jessi Reyez, Mahalia, Tori Kelly, T-Pain et d'autres encore pour épauler une sorte de tribute-album à la pop actuelle, fourni en bangers alignés les uns après les autres. Pour une oeuvre qui semble s'être destinée à être un des plus gros succès de Jacob, rien ne saurait mieux l'aider. Il s'agit à la fois d'un rassemblement de forces majeures, mais aussi de participations fédératrices qui subliment les compositions, flattant un genre trop souvent décrié par de nombreuses franges des auditeurs comme des critiques.

Il est d'ailleurs à noter que ce virage a été opéré avec un relatif coût auprès des habitués du travail de Jacob. La frange attachée au caractère jazzy, construit et complexe de Djesse vol.2 reste un peu sur sa faim, déplorant un passage à la "pop" qui n'est pas aussi enrichi qu'ils l'auraient espéré, et qui souvent ne correspondait pas non plus à leurs attentes de la part du musicien. Ceux là même pourront d'ailleurs noter que chaque volet de la quadrilogie est un "animal" différent des 3 autres, et que le "véritable" jugement ne pourra se faire que lorsque les quatre volets auront été sortis. Cela étant dit, il est à noter que c'est jusqu'à présent l'album marquant la principale brisure de continuité dans la carrière de Jacob. Malgré tout ce n'est pas une tendance à priori définitive, mais un virage tout au plus, la tétralogie Djesse ayant d'emblée été pensée comme une représentation éclectique de la musique.

Un virage réussi.

Tout cela n'empêche pas l'oeuvre de conserver ce qui fait la saveur du travail de Mr. Collier. Ce caractère proche et introspectif de la musique de la quadrilogie Djesse, les lucarnes de l'intimité s'étant ouvertes sur un monde d'atmosphères et de couleurs léchées, douces, à l'image de ces animations sur les clips associés aux singles All I Need & Sleeping On My Dreams. La plus belle représentation de cette douceur plus réservée (et de cette maturité ?) se trouve sur la conclusion de l'album, avec les morceaux He Won't Hold You, et To Sleep.

Nul ne saurait être exhaustif sur l'incroyable richesse des moments de douce allégresse que cette oeuvre porte en son sein, mais que voulez vous, il s'agit d'une oeuvre très fournie tout en rendant son auteur plus accessible que jamais. Cet album est une réussite incontestable sur quasiment tout les tableaux. À la fois cortège de tubes, compagnon doux d'ambiances nocturnes festives, et suite réussie d'un Djesse vol.2 prodigieux. Voilà qui nous rendrait presque déjà rêveur à l'idée de ce que pourrait bien être Djesse Vol.4...

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FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
FraîcheurIndice de l'apport de neuf que fait cet album. 1/5 : l'album réutilise les codes du genre et fait une bonne soupe avec de vieux pots. 5/5 : l'album invente et innove son style musical
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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Jacob Collier
"Djesse Vol.3"