Justice - Access All Arenas

Pourquoi y a-t-il des concerts ? Pour tout artiste, reproduire en direct des œuvres qu'on a minutieusement imaginées, créées puis perfectionnées en studio devant une audience, a tout de l'entreprise casse-gueule sur le papier. Le manque de contrôle sur les conditions les expose à des aléas potentiellement dévastateurs. Un câble mal branché, un ampli mal réglé, un instrument désaccordé, tout peut partir à vau-l'eau. Cependant, en retour, se produire dans une salle ou en festival permet de toucher des gens qui n'avaient pas encore connaissance de votre existence. Et bien sûr, cela permet de belles rentrées d'argent - pour peu que la salle ou le festival ne soient pas des escrocs - les concerts n'ayant peu ou pas d'intermédiaires touchant des royalties sur le travail des musiciens.

Mais en tant que spectateurs, pourquoi allons-nous en concert ? Après tout, les probabilités d'entendre quelque chose s'approchant des albums qu'on a écouté n'est pas si grande. En plus, le prix des tickets peut refroidir, sans assurance d'avoir un bon show en contrepartie, ni même les titres qu'on désire voir joués devant nous.

Et pourtant, au-delà de tout ce qui pourrait mal tourner, nous nous y retrouvons tous. Parce que vivre un titre en live avec des amplis à fond et des basses qu'on ressent dans tout notre corps est une expérience radicalement différente de celle d'entendre un morceau via une radio ou un casque audio. Parce que le live est l'occasion pour un artiste d'improviser, réarranger, innover ou renouveler sa discographie. Parce que, hors consultation auparavant sur setlist.fm, on peut avoir la surprise et la joie d'entendre un morceau qu'on n’imaginait pas avoir. Parce qu'en plus du son, on peut assister à un véritable jeu de lumière hypnotisant. Parce qu'il y aura une énergie, une prestation qu'on ne pourra jamais complètement retrouver sur un simple disque ou une playlist. Et surtout parce qu'on peut échanger, danser, crier, chanter, ou bref : vivre ça ensemble, alors que l'écoute est très souvent un loisir solitaire.

Toutes ces raisons sont difficilement transmissibles à travers l’enregistrement d’un live, et pourtant certains le font. Parce que les lives peuvent être des “best of” des discographies, permettant de passer outre les titres oubliables voire mauvais qui peuvent les parcourir.

Et parce que les meilleurs artistes transcendent leur matériau de base en concert, rendant ainsi immanquables leurs prestations et leurs enregistrements. Justice est de cette trempe. C’est sans doute pour ça que le duo français a sorti un album live après chacun de leurs albums studio, chose extrêmement rare dans le monde musical. Et parmi leurs trois albums live - oui World Woman Worldwide est un peu particulier - Access All Arenas est sûrement le meilleur. Certaines personnes, dont je fais partie, le mettent au niveau du mythique Alive 2007 de leurs compatriotes de Daft Punk. Et ce n’est pas sans raison.

D'abord, tout a été fait pour favoriser l'immersion avec les moyens disponibles pour un CD. À commencer par inclure 80 secondes du public des Arènes de Nîmes en attente fébrile au début du disque, nous mettant de fait dans la position d'un spectateur dans l'expectative, ne sachant pas quand les premières notes seront jouées. Plus tard dans Waters Of Nazareth, le groupe a là-aussi inclus l'arrêt de plus d'une minute du son, le groupe jouant avec le public à ce moment-là. On retrouve carrément une partie des réclamations du public avant l'encore, qui est un morceau à part entière dans la tracklist de l'album. De manière générale, la captation de l'ambiance du public a bien été réalisée, sans qu'elle vienne à cacher le son de Justice. L’énergie est transmise avec brio tout au long de l’album avec un mixage aux petits oignons.

Ensuite, que dire si ce n'est que Gaspard Augé et Xavier de Rosnay ont sublimé Cross et Audio Video Disco dans Access All Arenas ? Dès le début du concert et de l'album, la Toccata et fugue en ré mineur en guise d'intro sert d'incantation pour énergiser le public avant que Genesis ne lance les hostilités.

Durant le concert, les transitions impeccables sont légion et les subtils changements ont des effets qui le sont beaucoup moins. On peut penser à Horsepower, dont un passage un peu lourd de la version studio devient une véritable déflagration. Les titres ne sont pas tout le temps modifiés en profondeur : il suffit parfois de légers ajustements pour décupler leur impact.

Néanmoins, les chansons performées comme sur leur version studio sont rares. Il n’y a qu’à regarder la tracklist au dos de l’album, véritable setlist de concert, pour s’apercevoir que Justice a bien profité d’un artifice que le duo maîtrise à la perfection : les mashups. Ils sont si parfaits qu’on pourrait se demander pourquoi ce ne sont pas ces versions qui se sont retrouvées sur les CD studio. Le meilleur exemple est à coup sûr Waters Of Nazareth, qui se retrouve fusionné avec Helix, Phantom et On’N’On pour ce qui est un des hauts faits de l’album.

Plus généralement, les Français ont régalé l’audience, retravaillant parfois grandement leurs morceaux pour les adapter à un concert. Access All Arenas devient ainsi un best of où le groupe joue avec un public qui ne demande que ça. Contrairement aux concerts où les artistes jouent sans changer leurs morceaux, ici les mashups et réinterprétations dynamisent le set des DJ, surprenant la foule à plusieurs moments. L'arrivée soudaine de Stress, monumental coup de pression, ou le passage calme et rêveur d'Audio Video Disco sont des bascules où Justice prend de court les Arènes de Nîmes et à contre pied le momentum du concert, chose difficilement reproductible en studio. Avec la réaction de la foule dans nos oreilles, l'impact n'en est que plus fort.

Un des regrets qu’on peut avoir est l’absence de sortie DVD pour ce live car malheureusement, on ne peut pas montrer un lightshow sur CD. Pourtant celui de Justice vaut largement le détour, s’approchant de celui des concerts de Meshuggah. Inventif, epileptique, calé à la perfection sur les rythmes des morceaux joués, c’est un bonbon pour les yeux qu’on ne pourra hélas jamais contempler avec une qualité décente. Seules de rares vidéos prises par des téléphones de 2012, avec la qualité de l'époque, sont disponibles sur YouTube. Et elles sont suffisantes pour faire baver d’envie.

Access All Arenas est un disque live immanquable, c’est certain. L’immersion a été poussée autant que faire se peut, seul le titre NY Excuse ayant été supprimé (un indice bien pensé se trouve au dos de la pochette) pour tenir dans la limite physique des 80 minutes du CD. Justice y revisite avec maestria les titres de ses deux premiers albums, certaines pistes de l’album pouvant devenir meilleures que leur version studio. L'œuvre offre un rendu dynamique, mais plus encore, entraînant et sans passage pour s’ennuyer, à part quand le duo s’amuse avec nous. Les passages mémorables sont trop nombreux pour être tous cités, Gaspard et Xavier ayant su trouver les moments où insister pour qu’ils nous restent en tête. Globalement, le mélange de french touch, d'électro et de house est parfait pour donner envie de danser et de rejoindre un concert des Français (s’ils décident d’en refaire un jour).

Si on devait faire dans le trait d’esprit, Access All Arenas est un album où Justice s’est dépassé pour que le public et les auditeurs y dépensent toute leur énergie. Et comme rien n'est dû au hasard, son acronyme AAA correspond exactement à une note qu'il mérite amplement.

ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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