Justice - Hyperdrama

Retour aux sources et expérimentations.

Huit ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour avoir un nouvel album d'un des duos les plus célèbres de la French Touch : Justice.

Il s’en passe des choses en huit ans ; des pandémies, des victoires de la France dans divers sports mais surtout, il y a eu la disparition d’un autre duo emblématique du style, ceux qui avaient pavé le chemin pour Gaspard et Xavier : Daft Punk.

Avec la disparition des Robots en 2021, il était logique de penser que le trône qu’ils avaient laissé vacant allait revenir à la Croix. Et à l'aube de la nouvelle ère de Justice, on pouvait aisément attendre d’eux la confirmation qu’ils allaient prendre la couronne comme de dignes héritiers. Mais est-ce qu’Hyperdrama a été créé dans cette vocation ? Pas si sûr…

Sur la forme, on peut définir une certaine ressemblance entre ce dernier cru des Parisiens et le désormais mythique Random Access Memories qui a humanisé les androïdes en 2013 :

  • La croix de Justice, présente sur toute les pochettes, est représentée ici comme une carapace pour des organes mécaniques, comme si celle-ci était désormais vivante, animée par une vie artificielle et robotique.

  • Une chanson en milieu de disque, Dear Alan, possède un pont en 8-bits avec une similarité sonore nous rappellant The Robots de Kraftwerk. Cela pourrait indiquer que le titre de la chanson fait référence à Alan Turing, le père de l’informatique.

  • On y trouve des featurings à foison avec des artistes en vogue. Notamment deux morceaux avec Tame Impala, qui ont déjà bénéficié d'un matraquage médiatique, One Night/All Night étant diffusée toutes les heures sur les grandes ondes. Ils feraient alors écho aux deux tubes composés avec Pharrell Williams : Get Lucky et Lose Yourself To Dance sur le dernier album de Daft Punk.

  • Et surtout, à l’écoute du disque, on sent que Justice s’est éloigné de ses débuts saturés pour se rapprocher d’une électro pop plus accessible, empruntant à la funk et au disco. Esthétique déjà présente sur Woman en 2016, mais ce genre de sonorités furent déjà développées par Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem Cristo en 2013 et même plus loin dans le passé avec Discovery et ses multiples samples piochés des années 70.
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Si notre duo a toujours refusé, et même détesté, leur comparaison avec leurs acolytes casqués, on ne peut pas nier les ressemblances, mais elles s'arrêteront là. Car résumer Hyperdrama au “Random Access Memories de Justice” est un brin réducteur.

Quand on remonte aux influences de Gaspard Augé et Xavier de Rosnay, on peut citer ABBA, Funkadelic et bien d’autres noms allant jusqu'au psychédélisme spatial des années 70, notamment Space Art. Et ce sont toutes ces références qui inspireront l'esthétique rétrofuturiste développée sur les artworks et dans la musique de ce nouvel album. Leur virage funk fut donc entamé bien avant ce disque. Car dès leur premiers efforts, des morceaux comme Newjack ou Valentine viendront argumenter leurs influences.

Depuis ses débuts, le duo n’a cessé de maîtriser le sampling pioché dans les précédentes décennies pour en créer une mixture Disco entêtante et sublimée avec une orchestration Baroque. Et en-cela, ce nouvel album ne fait pas faux bond à la carrière du groupe. Cette nouvelle apparition de la Croix est un condensé du savoir-faire des Français, où leurs références spatiales et dansantes s'entendent parfaitement. Dans ce sens, Hyperdrama se veut être une Odyssée retraçant l'histoire de Justice, avec encore plus de synthés 90's que sur Woman tout en faisant référence à d'anciennes ères du groupe.

Sur ce point, Generator est une suite spirituelle de Stress, délivrant des punchs en mélangeant ces sonorités angoissantes avec leur technicité imparable pour faire danser les masses. Le meilleur exemple de cela étant Afterimage, avec des notes de synthés agressives, mais ponctuées d'un groove de basse sans pareil et de la voix de la chanteuse RIMON nous envoyant dans les étoiles.

Le voyage continuera dans la bulle spatiale lancée par Afterimage. Une fois passés les tubes dansants, comme Incognito et ses synthés prêts à faire nous faire passer en vitesse lumière, nous serons à la dérive dans l'espace avec comme seul phare dans la nuit, une boule disco brillant de mille feux sur la piste dansante de notre vaisseau.

On arrive alors dans une phase où le psychédélisme spatial évoqué dans les influences du groupe se fait le plus présent. Les orchestrations Baroques proposent des percées en territoires Jazz sur Moonlight Rendez-Vous avec son saxophone joué par les synthés du groupe. Et sur Explorer, une sonate accompagne merveilleusement les teintes nocturnes dans lesquelles nous voguons. Jusqu'à même s'inspirer de Boards of Canada sur Muscle Memory, empruntant au glitch et pouvant être aisément une bande originale d'un film de Science-Fiction. Ce chemin nocturne n'est qu'une brève accalmie, prenant fin sur Saturnine, où l'on s'imagine dans un casino céleste, et surtout avec les rythmes accélérés de The End venant conclure le disque dans un feu d'artifice.

À la fin de l'écoute, nous arrivons à la conclusion que ce projet est le plus hétérogène que Justice a mis au monde, avec deux ambiances bien distinctes mais ne reniant jamais leur amour du sample qui ont fait d'eux de grands noms de la French Touch. Car au final, la fameuse Dear Alan n'est pas destinée à Alan Turing, mais à Alan Braxe, autre grand musicien de la scène électro française, notamment connu pour être une des trois têtes de Stardust, le fameux groupe qui a fait (et fait encore) danser les gens avec Music Sounds Better With You. Et que ce sample que nous pensions faire référence à la robotique de Kraftwerk, provient en réalité du morceau Dear Brian de Chris Rainbow, chanteur du légendaire Alan Parsons Project. Preuve supplémentaire de toute l'empathie que porte notre duo sur la musique de ses pères.

Hyperdrama est un disque complet et collaboratif, où le duo a prêté les platines aux plus de musiciens. Mais chaque présence fait sens au vu des adjectifs utilisés dans la chronique. Nous voguons dans un night club sur une planète où la fête ne s'arrête jamais et où Justice est le maître de la soirée. Ils ont invités le groove de Thundercat, le psychédélisme de Tame Impala, les voix de RIMON ou de Miguel, et tous ces featurings renforcent la direction rétrofuturiste évoquée par la pochette d'un vaisseau vivant dans la Croix, et de la surutilisation de synthés vintages pour nous rappeler toutes leurs influences.

Là où Woman et sa pochette iridescente nous invitaient à la danse estivale, ce nouvel album, du même noir que Cross, nous soutient que Gaspard et Xavier n'ont jamais quitté leur disco baroque entrainant. Et les madeleines de Proust seront mêmes présentes avec des chansons au kick explosif.

Justice a récupéré la couronne depuis bien longtemps, même avant la disparition des Robots. Car si Daft Punk avait déposé les armes, eux ont toujours continué dans ce chemin alliant groove des synthés et samples cachés. Gaspard et Xavier n'ont cessé de s'amuser et d'expérimenter pour faire du neuf avec du vieux. Et c'est à cela que l'on reconnait qu'un groupe s'épanouit. Nous n'écoutons pas le disque d'un groupe à bout de souffle, mais bien celui de deux musiciens qui aiment toujours autant découvrir des paysages pour nous proposer de nouvelles escapades réussies.

DiversitéLa profusion d'ambiance que propose l'album. 1/5: Le disque est un monolithe uniforme. 5/5: Les pistes passent régulièrement du coq à l'âne et de l'âne au coq.
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
FraîcheurIndice de l'apport de neuf que fait cet album. 1/5 : l'album réutilise les codes du genre et fait une bonne soupe avec de vieux pots. 5/5 : l'album invente et innove son style musical
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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Justice
"Hyperdrama"