King Gizzard & The Lizard Wizard - Made In Timeland

Voyage temporel

Comment dire d’une nouvelle manière que le sextet australien de King Gizzard & The Lizard Wizard est hyperactif, le tout en ne cessant de perpétuellement nous étonner ? Devant le 19ème album du groupe en 10 ans (on n’exagère pas l’utilisation d’”hyperactif”), il faut bien avouer que plus le collectif produit, plus on a de chance de se répéter en voulant les qualifier eux et leur musique.

Qu’à cela ne tienne : après quelques albums moins innovants, ou tout du moins perdant en fraîcheur comparés au reste de la discographie, on ne peut nier que la bande à Stu Mackenzie a - encore - poussé les portes des genres à explorer. Par exemple K.G., L.W. et Butterfly 3000, bien que de fort bon aloi, semblaient plus mesurés et moins extravagants que d’autres albums. Made In Timeland est donc l’œuvre faite pour balayer tout ça, King Gizzard nous donnant ainsi une nouvelle occasion de leur trouver de nouveaux adjectifs et compliments.

Timeland festival Affiche du 1er festival

Mais qu’est-ce que "Timeland", d’où l’album viendrait ? Loin d’être une copie sonore cheapos de Thaïlande, le nom désigne un festival créé par King Gizzard, chez les amis de King Gizzard, avec les groupes proches de King Gizzard, pour les fans de King Gizzard. Prévu pour le réveillon et le jour de l’An, le sextet devait effectuer quatre sets d’une heure et demie, sans jouer deux fois le même morceau. L’événement avait été annoncé via une vidéo déjantée que les alter-egos des frères Duplantier Tchang et Tangui n’auraient pas renié :

Malheureusement, le Covid passa - encore - par là et annula par la même occasion la fête. C’était sans compter sur la persévérance des Australiens, qui reprogrammèrent le festival sous un nouveau nom, "Return Of The Curse Of Timeland", mais ne purent jouer "que" deux sets d'1h30. En entrée et à l'interlude entre les sets se trouvaient les 2 morceaux composant Made In Timeland. L'album en est-il véritablement un, ou sont-ce simplement deux entractes compilés à la va-vite ?

Curse Timeland Affiche du second festival

Tenant en tout juste 30 minutes et donc 2 morceaux, Made In Timeland est à coup sûr l’album le plus expérimental des Australiens. Et cela peut étonner si vous avez déjà écouté Flying Microtonal Banana ou Nonagon Infinity auparavant. L’éventail des genres visités sur cette demi-heure de musique est immense : rock, prog, house, club, trance, psy, hip-hop, indie-rock et tant d’autres ont leur moment de gloire. Ils sont tous liés entre eux par un métronome prenant parfois la forme de claquements de doigts, d'autres fois celle d'une horloge. Qu'importe le moment de Made In Timeland où vous tombez, il y aura toujours un beat à 60 BPM battant le temps qui passe. Il se trouvera peut-être à contretemps par moments, tombera exactement sur la mesure plus tard, mais il sera continuellement présent. Il est d'ailleurs amusant d’écouter comment le groupe joue en le plaçant n’importe où sur les mesures.

Mais passons à la particularité de cet album : sa diversité. Là où le Puzzle de Devin Townsend ou le Project 56 de Deadmau5 proposent un éventail de genres découpé morceau par morceau, King Gizzard a tout réuni sur deux pistes qui pourraient n’en être qu’une sans le contexte du festival. Même s’ils ressemblent à un patchwork de passages différents, les deux titres proposent une vraie continuité sans avoir recours à des fondus qui auraient tout de suite fait penser à un DJ Set. Au contraire, tout s'enchaîne presque parfaitement grâce au tic-tac invariable de l’horloge. Cette dernière se trouvait d’ailleurs sur la scène du festival sous la forme d’un petit Big Ben. Au final, on peut compter une vingtaine de changements de style en trente minutes, lors desquelles on n’est jamais vraiment perdu. Peut-être désorienté si on n’est pas préparé, mais malgré toutes ses variations, Made In Timeland nous autorise à nous immerger dans son trip temporel.

Maintenant, au-delà du concept brillamment exécuté par les Australiens, qu’avons-nous à retenir de l’album, ou pour être explicite, la musique est-elle bonne ?

Étant bon public, je n’ai pas eu trop de mal à monter dans le train et admirer les paysages formés par les instruments : j’ai pu contempler les parties les plus calmes, danser sur les passages trippants ou flotter sur les moments plus “chill”. Surtout, je n’ai pas eu de problème pour imaginer les ères à travers lesquelles le groupe à voulu nous faire passer. De l’époque primitive à la moderne en passant par la baroque, King Gizzard nous emmène en sautant aléatoirement à travers le temps et l’espace.

Et ce sont ces sauts auxquels il faut être préparé. Là se trouve peut-être la malédiction donnant son nom au festival : si l’immersion ne fonctionne pas, l’album peut vite devenir casse-tête, à essayer de comprendre ce qui nous arrive entre chaque section. On peut se retrouver à se plaindre de la qualité des rails plutôt que de pouvoir profiter des lieux où ils passent. D’autant plus que, il faut être honnête, si les contrées défilant sont belles, elles ne sont pas non plus exceptionnelles. La vitesse de leur défilement ne leur permet pas de nous offrir une progression, une profondeur à pleinement apprécier avant de passer à la zone suivante, ce qui peut clairement biaiser le degré d’appréciation du concept. L'enchaînement des genres est rocambolesque, en soit témoin le passage d'une section typique du Daft Punk période Homework à un moment rock psyché / indie.

La difficulté d’approche se trouve là pour moi : il faut pouvoir s’imprégner très rapidement de ce que le groupe nous propose, sans quoi on se fera juste balader. Et compte tenu de la taille des sauts, le coup du lapin suite à un mouvement trop brusque est un risque pour le voyageur qui ne sait pas où il s’aventure.

Pour celui qui connaît déjà le groupe et sait où il met les pieds, l’odyssée peut devenir une montagne russe où il aura juste à lever les bras en l’air et apprécier les loopings, tonneaux et autres acrobaties dirigées par les rails du temps de Timeland.

En espérant que vous puissiez être ce second personnage, et que les Australiens soient des guides dont l'extravagance ne vous effraie pas pendant cette demi-heure.

FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
PsychédélismeIndice sur le côté psyché de l'album. 1/5 : On est dans le concret, le dur. 5/5 : vous voyez des couleurs défiler devant vos yeux et la musique vous propose un voyage initiatique en vous-même
EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
Consigne du maître nageur :
Scaphandre
Scaphandre

Made In Timeland