Au milieu d'albums anodins se trouvent parfois des chansons à la qualité indéniable, trésors sous-marins dont les oreilles attentionnées entendent l'appel. En d'autres occasions, ces perles sont des singles perdus au fond de l'immense océan musical, lâchées discrètement par des artistes inconnus du grand public. Tout comme nos Passages surlignent des instants impactant d'un titre, cette chronique veut faire remonter à la surface ces morceaux à côté desquels on serait passé. Et nous savons que la Prise du jour sera bonne.
Dans nos écoutes, il est des groupes dont on n'attend pas grand chose de plus qu’ils nous apportent une capsule de joie et de bonne humeur. Quelques minutes dans une journée où on laisse ses tracas de côté et où on va pousser la chansonnette en dodelinant du haut ou du bas. Le quatuor bergenois de Slomosa s’est taillé une solide réputation dans la scène stoner grâce à cette capacité à fédérer n’importe qui autour de cette belle énergie. Que l’on soit initié aux musiques fuzzées ou pas, d’ailleurs.
Pour ma part, je me suis étalé un peu plus longuement sur ce que le premier album des Norvégiens représente pour moi dans une Escale que je vous invite à écouter ou réécouter. Il n’empêche qu’au quotidien, quand je l’écoute, la musique de Slomosa ne me ramène pas systématiquement à mon vécu. C’est avant tout une bulle d’air frais que j’apprécie, lunettes de soleil à la portière et coude sur le nez (ou l’inverse). Et si je peux partager ce moment à hennir bêtement les paroles avec des êtres chers, c’est encore mieux.
Malheureusement, la vie fait que ces instants se font parfois plus rares et éphémères. La faute à un rythme de vie qui vous éloigne de vos proches et vous enferme dans une routine mortifère. Ce genre de période, on en a tous vécu une particulièrement intense au début de la décennie 2020 avec la crise du covid-19. C’est d’ailleurs en plein cœur de celle-ci qu’est sorti le premier opus des Bergenois et celle-là même qui leur inspirera le single qui nous intéresse aujourd’hui : Cabin Fever.
Le syndrôme de la cabane, en français, est un mal provoquant peur et anxiété sociale après une période de confinement prolongée. Qu’il soit imposé ou non, cet isolement m’a confronté à des choses qui me terrorisent encore aujourd’hui : la routine et l’ennui. Deux éléments insidieux qui s’auto-alimentent et qui créent un cercle vicieux qui peut être très difficile à identifier et dont il est peut être encore plus dur de s'extirper.
Quand Cabin Fever est sorti en juillet 2023, j’entamais alors une période de bataille que j’espérais courte. Servi par les riffs imparables et le chant accessible et fédérateur de Benjamin Berdous, maintenant accompagné des choeurs de Marie Moe, on est dans du Slomosa pur jus, à l’exception près que le refrain chanté est plus clair que jamais. Un refrain qui s’enfoncera petit à petit dans mon cerveau et mon cœur comme un piolet, aussi profond que mes efforts s’enliseront, enchaînant les voies sans issues et retours au camp de base.
Cabin Fever
Know this was just the start
And now it’s lost
And it goes on
Des échecs qui occasionneront de terribles périodes de découragement, empirées par la saison froide et l’éloignement des relations sociales. Des mois compliqués où Cabin Fever reviendra bien trop souvent dans mes oreilles, comme l'écho narquois de ma routine quotidienne sur des montagnes qui se refusent à me dévoiler leurs horizons. Une escalade perpétuelle de reliefs obstrués par la brume où chaque barrière nuageuse franchie ne débouche que sur de nouveaux dénivelés. Quand ceux-ci ne se dérobèrent pas carrément sous mes pieds, au risque de chuter dans un abîme où m'attendais l’abysse insidieux de la routine sclérosée. Avec ce goût amer du : “À quoi bon ?”. À quoi bon se démener si rien ne vient ? À quoi bon, s’user alors que se résigner amènerait au même résultat ?
After All, All the days are the same
On and on
At the starting line for
Nothing to come
Le problème de ce foutu "À quoi bon?", c’est qu’au fond de l’abîme, sous les nuages, il y a la pluie. Et elle est là pour durer, encaissée dans les reliefs, sans une miette de vent pour la déloger. Avec un épais manteau de brouillard pour vous étouffer dans l’obscurité et la prostration.
Alors oui, la varappe c’est compliqué. On y laisse des bouts et on s’y coupe les mains sur des connards de reliefs qui refusent que vous vous y agrippiez. Parfois on s’engage sur des voies qui, à chaque instant, menacent de vous lâcher, mais au moins on reste accroché. Car si ce n’est pas le sommet qui vous apportera le soleil, alors peut-être que ce sera la tempête. Une tempête qui, à coup sûr, vous apportera enfin de l'air frais. Et peut-être même qu’elle vous emportera loin. Loin des rochers. Loin des abysses. Loin des echos. Et loin des cabanes.