Au milieu d'albums anodins se trouvent parfois des chansons à la qualité indéniable, trésors sous-marins dont les oreilles attentionnées entendent l'appel. En d'autres occasions, ces perles sont des singles perdus au fond de l'immense océan musical, lâchées discrètement par des artistes inconnus du grand public. Tout comme nos Passages surlignent des instants impactant d'un titre, cette chronique veut faire remonter à la surface ces morceaux à côté desquels on serait passé. Et nous savons que la Prise du jour sera bonne.
À la surface des flots, les vieux galions les plus rutilants ont tendance à accaparer l’attention plus facilement que des vaisseaux plus modestes mais tout aussi finement sculptés. Pourtant, chaque navire conserve sous sa ligne de flottaison les marques d’erreurs de navigation passées mais aussi quelques trésors oubliés au fond de sa cale.
Mettons les pieds dans le plat tout de suite et évacuons un débat qui ne nous intéresse pas aujourd’hui : passé les années 80, la carrière de Metallica me laisse de marbre. Néanmoins, afin de comprendre pourquoi celle-ci était tant controversée, j’ai décidé il y a 2 ans d’écouter leur discographie dans son intégralité à raison d’un disque par jour. Si le bilan de cette expérience a été plutôt enrichissant pour comprendre l’évolution du groupe, elle a été l’occasion de faire quelques belles découvertes.
Parmi celles-ci, Bleeding Me, la prise qui se retrouve dans nos filets aujourd’hui. Figurant sur l’album Load, un disque décrié par les fans de la première heure car s’éloignant trop du thrash metal des débuts, la chanson n’a même pas eu la chance d’avoir sa place sur un single. Sa seule apparition sur un support physique qui lui fut alloué était un CD promotionnel devenu inabordable car quasiment introuvable aujourd’hui.
Avec son ambiance feutrée et vaporeuse, la chanson vous accueille délicatement sur un riff de guitare lent et réverbéré que ne renieraient pas certains groupes de stoner, le fuzz en moins. La ligne de basse est discrète mais parfaitement audible lors des couplets, ce qui apporte une épaisseur de fumée supplémentaire à l’atmosphère embrumée. Un orgue en retrait vient ajouter du relief à l’ensemble avant que le chant ne vienne prendre le relais. La chanson vient prendre son envol pendant les refrains grâce à la guitare soliste pendant que la rythmique vient se faire plus massive. La basse se met plus en retrait mais sa présence dans le spectre grave crée un vrombissement sourd en arrière-plan qui donne une assise très confortable à ces parties.
Si la chanson aurait pu s’arrêter à 04:48, le titre repart pour un troisième refrain placé avant un solo de Kirk Hammett qui fleure bon le sable chaud du désert californien, le soutien des lourdes lignes de cordes rythmiques renforçant encore ce ressenti. Cette structure inhabituelle pour Metallica ajoute presque un côté progressif au titre mais la fin traîne un peu en longueur avec un retour au premier couplet qui ressemble plus à un tic de composition du groupe.
À l’époque de la sortie de Load, Metallica avait la réputation de suivre les tendances et de s’inspirer de ce qui les entourait. Avec la montée du stoner et du grunge au même moment et la présence de formations comme Alice in Chains ou Kyuss dans leurs premières parties, il n’est donc pas si étonnant de trouver ce genre de sonorités infusées dans leurs morceaux. Si la pratique reste discutable, elle permet parfois l’accouchement de morceaux vraiment réussis. Bleeding Me en est la parfaite illustration et la preuve que certains albums à mauvaise réputation valent le coup d’être creusés.