Au milieu d'albums anodins se trouvent parfois des chansons à la qualité indéniable, trésors sous-marins dont les oreilles attentionnées entendent l'appel. En d'autres occasions, ces perles sont des singles perdus au fond de l'immense océan musical, lâchées discrètement par des artistes inconnus du grand public. Tout comme nos Passages surlignent des instants impactant d'un titre, cette chronique veut faire remonter à la surface ces morceaux à côté desquels on serait passé. Et nous savons que la Prise du jour sera bonne.
La musique adoucit les mœurs. Une fameuse maxime à laquelle j’adhère particulièrement tant cet art m'aide et m'accompagne au quotidien. Que ce soit au travail, en voyage, dans les moments de solitude, de joie, de colère ou de peine, il existe toujours une chanson pour m'aider à traverser les épreuves et passer le temps. Mais ce proverbe m'a récemment fait défaut, dans une situation que je pourrais qualifier de "détresse face à l'actualité". Et il va falloir que je parle politique et d'un des sujets les plus clivants qui soient, car ici tout est contexte.
Vous n'êtes pas sans savoir que le 7 octobre 2023, le Hamas a mené des exactions meurtrières contre l'État d'Israël. Exactions auxquelles ce dernier a choisi de répliquer avec des méthodes outrepassant les Conventions de Genève.
Malheureusement, un moment est arrivé où ce conflit a débarqué sur les réseaux sociaux, où leurs défauts ont été exacerbés. Désinformation, appels à la haine et contenus choquants se sont démultipliés sur des plateformes où la modération ne parvenait pas à endiguer ce flux nauséabond, quand elle ne l'encourageait pas (merci Elon). Je n'ai hélas pas réussi à échapper à tout ceci.
Ces dérives, couplées avec l'inaction des personnes ayant le pouvoir d'agir sur ce conflit, sans même parler de celles qui le supportaient avec véhémence ont fait que j'ai personnellement atteint un point de vide total. Se sentir impuissant face aux pires crimes qui soient pendant que d'autres en jubilaient sans honte m'a mis dans ce que j'appelais plus haut une "détresse face à l'actualité".
Et pendant un moment, la musique n'a rien pu faire pour apaiser cette sensation. Rien pour arriver à passer outre cette horreur, ne serait-ce qu'un instant, pour apaiser mon esprit. Jusqu’à ce que ma liste de lecture tombe aléatoirement sur Prophet de Truckfighters et m’éloigne de tout ceci pendant presque cinq minutes.
Tout tient aux leads de guitare de Dango et à la voix d’Ozo présentes sur le titre. Loin du stoner efficace et direct auquel nous a habitué le trio, Prophet tient une approche beaucoup plus subtile et mélancolique. Derrière un beat simple de Toro, c’est tout d‘abord cette mélodie à la guitare qui est venue me chercher : triste et douce, elle récupérait les petits morceaux qu'il restait de ma personne. La six-cordes est soutenue par la basse d’Ozo, dont la terrible distorsion ajoute une lourdeur plus qu’adéquate à mon état d’esprit. Soudain, je ne me sentais plus si seul dans cette situation, comme si quelqu'un reconnaissait enfin ce que je ressentais. Pendant les couplets, alors qu'on ne peut faire aucun lien entre cette tragédie et les paroles, la voix d'Oskar Cedermalm semblait répondre à mes inquiétudes, accompagnée par un Dango jouant tout en subtilité.
Le refrain, plus intense, continue dans cette direction étrangement réconfortante malgré la mélancolie qui se dégage du titre. Alternant entre une partie mélodique et une autre semblant chercher une résolution, le titre titillait mes attentes. Puis les paroles de fin du refrain me frappèrent.
Got to run far away from hollow
Truckfighters me tendait la main, m’invitant à laisser de côté le poids de l’actualité le temps d’un instant. Je me sentais écouté, à un moment où peu de paroles appelaient à cesser les massacres. Prophet fut un soulagement inattendu puisque venant d’un groupe à mille lieues de ce genre de problématiques (il a été compliqué de trouver une photo des membres adéquate au ton de cette prise), mais tellement bienvenu pour effacer mon anxiété et mes angoisses grimpantes.
Au moment où ces lignes s'écrivent, l’issue de cet événement est toujours inconnue. Il est difficile de dire si on fait preuve d'un optimisme obstiné ou d'une naïveté affligeante quand on espère un arrêt de ce génocide en cours. Mais c'est parce que l'autre option est si horriblement affreuse qu’on ne veut pas l'imaginer. En prenant du recul, ces questionnements sont incroyablement ridicules face à un drame de cette ampleur. Nos problèmes sont à des années-lumière des souffrances engendrées là-bas.
Néanmoins ils existent bien, et au milieu d'un monde qui nous demande constamment d'avancer sans regarder sur les côtés, Prophet nous offre une petite oasis hors du flot du monde et de ses atrocités. Une escapade par conséquent plus que bienvenue quand le pire de l'humanité revient nous hanter.