Laurent Damont - NN

La poésie par la déconstruction

Dans la société actuelle, énormément d’artistes brillent par leur technicité et la densité de leurs œuvres. Mais parfois, dans l’ombre, se cachent d’autres préférant un côté plus sobre de la musique. La personne dont il est question aujourd’hui, Laurent Damont, fait partie de cette seconde catégorie. Pianiste talentueux et versatile, il a tout d’abord sorti en 2012 un album du nom de Inside mélangeant Jazz, Soul et Pop accompagné d’un groupe de musiciens. Après de nombreuses collaborations, il a ensuite entamé une carrière en solo en 2019 avec Épris Par Cœur, proposant déjà quelque chose de plus épuré. Cet allègement de sa musique atteindra son paroxysme en avril 2022 avec un nouvel EP : SO. Fini les cuivres, la batterie ou n’importe quel instrument présent précédemment : il ne reste plus qu’un doux piano. L’artiste est seul, lui permettant de peindre une toile intimiste et mélancolique à souhait.

Annoncé comme la première partie d’une trilogie d’EP, SO est la définition même de la simplicité. On se laisse emporter par son univers qui peut parfois nous rappeler le travail de Yann Tiersen sur la bande originale du film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Chacun des 4 titres nous prouve le talent du pianiste, toutes les émotions se retrouvant transmises par le seul vecteur de cet instrument. Son touché doux et singulier amène énormément de nuances dans son jeu.

Laurent Damont Again Laurent Damont, lui même (Source : https://saintjacquesrecords.com/photos-videos/ )

Après cette première strophe, Laurent Damont revient poursuivre son poème avec NN. Si le quatrain initial est composé intégralement d’un piano solitaire, cette suite prend un virage inattendu grâce aux apports de la MAO (Musique Assistée par Ordinateur). Le piano de SO se voit samplé, loopé, transformé pour un résultat qui tire plus vers la musique ambient, la jazztronica voir même la trip-hop.

NN s’ouvre sur Soirée chez TAN faisant immédiatement écho à Bienvenue chez TAN qui clôturait SO. Le morceau se meut en un reflet déformé de la piste originale devenue dissonante. Le motif principal de Bienvenue chez TAN samplé s’efface progressivement au fil des boucles successives, au profit des sonorités électroniques. Un beat discret a fait son apparition et des nappes éthérées viennent s’inviter à la fin du morceau pour absorber les dernières traces du motif initial, alors résumé à 2 ou 3 notes noyées de reverb.

Après s’être insidieusement installée sur la piste précédente, la facette trip-hop de la musique de Laurent Damont est maintenant pleinement assumée sur L’amour par Chaos. Rappelant ce qu'on peut trouver sur le Dummy de Portishead de par son côté Lounge, tout du moins dans sa première moitié, le titre s’envole ensuite dans une montée en puissance très house. La retombée s’effectue délicatement autour du sample de piano dont a disparu la tonalité.

All-In sur Elle poursuit sur la lancée ambient mais prend une tournure beaucoup plus cinématographique. Les sonorités se font plus étranges et inquiétantes et ne détonneraient pas dans un film de Quentin Dupieux. Le motif tournoyant et le beat marqué par les touches stridentes emmènent le morceau dans une spirale qui aboutit sur une myriade de samples électroniques éclatés.

Arrive donc le quatrième morceau et conclusion de ce NN. À l’instar d’un Tigran Hamasyan, le piano se fait saccadé et rapide. L’instrument s’estompe au fur et à mesure pour laisser place à quelque chose de plus synthétique, Club Paradis nous apportant une fin de voyage sous le signe de l'électro avec ses beats répétitifs et entêtants. Après avoir plané sur les titres précédents, Laurent Damont nous fait dodeliner de la tête et danser. La fin se faisant assez abrupte, elle peut nous laisser imaginer une continuité avec la suite à venir dans les prochains mois.

All In Sur Elle Image extraite du clip de All In Sur Elle

Avec ce deuxième EP, une véritable introspection nous est proposée. Chacun des 4 titres nous offre des ambiances singulières mais l’ensemble forme un tout cohérent. Le récit entamé sur SO progresse dans une direction aussi inattendue que passionnante, faisant évoluer l’univers dans lequel il s’inscrit. NN a permis à Laurent Damont d’expérimenter de nouveau et ce grâce à un excellent travail sur la production et sur la manipulation des sonorités. Le mélange des genres est harmonieux et ne vient à aucun moment perturber notre écoute, si bien que lorsque l’on termine le disque, l’envie d’y retourner se fait ressentir. Sa durée un peu courte fait sens au sein d’une œuvre en 3 parties mais laisse un léger sentiment de frustration tant on aimerait en avoir plus.

En attendant, le changement drastique survenu entre SO et NN nous rend impatient de découvrir de quoi sera fait le dernier acte de ce SO-NN-ET. Doit-on s’attendre à un retour du piano sous sa forme acoustique ? À une exploration électronique encore plus jusqu’au-boutiste ? Ou à des compositions exécutées à plusieurs mains ? La conclusion de Club Paradis semble annoncer une atmosphère plus dansante et enjouée, mais pour avoir le dénouement de cette trilogie, il faudra attendre encore un peu.

DélicatesseIndice de la douceur de l'album. 1/5 : l'album est assez sec. 5/5 : l'album est un champ de coton
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
Consigne du maître nageur :
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