Le Passage #02 - Clown Core - Existence

.

Au fil de nos écoutes, certains albums et certaines pistes parviennent à capter notre attention. Des morceaux qui reviennent régulièrement dans nos playlists, nos oreilles, pour combler les moments creux ou tout simplement nous faire du bien. Dans Le Passage, nous revenons sur ces chansons qui rentrent dans notre panthéon, grâce à une partie qui les fait surnager au-dessus des autres.

Clown Core est un OVNI. Duo américain supposément composé de Louis Cole et Sam Gendel (même si cela n’a jamais été officiellement confirmé), la musique du groupe s’approche du chaos ultime. Au niveau des instruments, on retrouve une batterie, un saxophone, des claviers et... des klaxons. Si vous savez compter, vous aurez remarqué qu’il y a plus d’instruments que de musiciens. Normal, étant donné que Sam Gendel s’amuse en alternant saxophone et synthé tandis que Louis Cole manie les baguettes et les touches des claviers en même temps.

Pour aller plus loin dans l’aspect bordélique, les deux musiciens se griment en clown (d’où le nom) pour leurs performances vidéo, toutes plus débiles, loufoques et insensées les unes que les autres. Ce n’est pas assez à votre goût ? Alors le groupe va jouer dans des toilettes portables (l'EP Toilet, 2018) puis dans un Toyota Previa (l'EP Van, 2020). Rien que ça.

Pour ce qui est des titres, l’anarchie règne encore, le duo alternant entre noms absurdes (bologna penis, flat earth, you are pregnant) et dénominations insinuant des concepts plus sérieux (infinite realm of incomprehensible suffering, existence). Et si vous entendez des voix ou ce qui y ressemble, masqué par une infinité d’effets, sachez que les paroles ne reflètent pas exactement une réflexion poussée, le titre Hell extrait de Toilet en étant témoin :

All of my turds come straight to hell,
A small gift from the darkness itself,
All of my farts come straight from hell,
You’re already dead if you notice a smell.

Genre : ?!

Quant à la musique jouée, on est sur un style aussi alambiqué que le paragraphe précédent. À la confluence de tous les genres et ne dépassant qu’exceptionnellement les deux minutes, le résultat final est aussi délirant que dénué de sens : on écoute une espèce de jazz vicié sous acide avec des accords de claviers dissonants, menaçants et adéquats pour films d'horreur, saupoudrée de polyrythmes plus complexes les uns que les autres. Cet aspect de Clown Core est difficilement approchable, les Américains jouant avec des notions musicales pointues que des néophytes auront du mal à appréhender. Je pense notamment aux breaks batterie/saxophone monotonal présents sur presque chaque morceau, où le seul intérêt réside dans leur rythmique désarmante.

Et puis au milieu de tout ça, le duo va jeter une section où s'allient allégresse et volupté, les instruments retrouvant par on ne sait quel miracle une unisson que l'auditeur espérait. Véritables respirations, ces passages emmènent la musique vers des sommets de beauté insoupçonnables étant donné ce qui les précède. D’une certaine façon, les morceaux de Clown Core sont faits pour nos chroniques du Passage : un instant fragile de grâce vous catapultant dans un voyage astral, étonnamment - ou maladroitement selon les points de vue - placé au milieu d’un bazar sans nom et rebutant. Un des meilleurs exemples est computers, tiré de Van, où au milieu du morceau [à 1:00] le saxophone et les synthés nous transportent dans l’espace.

Départ vers l'infini

Pour ce qui est du morceau sujet de l’article, il ne déroge pas à cette règle : après 8 secondes sur un ton désinvolte, presque joyeux, vous aurez le droit à la recette traditionnelle du groupe. Section polyrythmique complexe, voix déformées et mélodies dissonantes introduisent le morceau. Les breaks batterie / saxophone désarticulés sont aussi de la partie, jusqu’à ce qu’un riff simple vienne supporter une mélodie apportant une tension au morceau.

Angoissantes, les notes de synthé indiquent implicitement une résolution massive alors que la batterie martèle le rythme. Un impressionnant fill de Louis Cole plus tard, seule une note de clavier subsiste, suspendant le temps pendant une poignée de secondes avant que le passage n’arrive.

Nous sommes à 1:12, et l’imposant mur de synthés qui survient emporte tout, mené par une ligne de basse synthétique nous emmenant vers une certaine forme d’angoisse existentielle, mais avec une telle maestria ! Balayé par cette mélodie hypnotisante, on ne peut que se laisser attirer vers le vide de notre existence qu’elle appelle, au milieu de cet univers où nous ne sommes, finalement, qu’une planète sans importance. Pour moi, Clown Core visualise cette sensation de n’être qu’un petit rien au milieu du grand en insérant des frames de tout et n’importe quoi, au milieu d’un ralenti du véhicule donnant son nom à l’EP. Rien n’a de sens, comme ce sublime instant de révélation au milieu du chaos ambiant de l'œuvre des Américains. Et tout se finit dans un fade-out, comme si tout s’effaçait de notre monde.

COLLAGE_clowncore.png L'existence selon Clown Core

Poussons-nous l'analyse trop loin ? Voyons-nous, comprenons-nous des choses bien au-delà de toute intention de ce duo déjanté ? À vous de voir en entrant dans l’univers ésotérique de Louis et Sam (et du conducteur, n'oublions pas ce valeureux serviteur !).

Van_EP
Clown Core
"Van"