Le Passage #18 : The Beach Boys - God Only Knows

La pureté des harmonies

Au fil de nos écoutes, certains albums et certaines pistes parviennent à capter notre attention. Des morceaux qui reviennent régulièrement dans nos playlists, nos oreilles, pour combler les moments creux ou tout simplement nous faire du bien. Dans Le Passage, nous revenons sur ces chansons qui rentrent dans notre panthéon, grâce à une partie qui les font surnager au-dessus des autres.

Les épisodes du Passage sont assez personnels puisque le sujet implique un moment qui a touché l'auteur des lignes que vous lisez. Cependant, pour cette chanson, il pourrait totalement y avoir d'autres numéros tant la chanson est riche, dans son instrumentation, ses paroles et son histoire.

En 1965, le leader des Beach Boys tombe sur la version US de Rubber Soul des Beatles. Frappé par la qualité du disque et le fait qu'il n'existe, selon lui, aucun morceau à jeter sur la tracklist, Wilson se décide à vouloir "concurrencer" les Fab Four. Il se tournera vers son épouse et prononcera ces mots :

"Marilyn, I'm gonna make the greatest album! The greatest rock album ever made!"
(Catch a Wave: The Rise, Fall, and Redemption of the Beach Boys' Brian Wilson par Peter Armes Carlin)

Alors qu'il a laissé ses frères et amis tourner pour The Beach Boys, Brian Wilson plongera dans la conception de Pet Sounds, un disque qu'il voit comme son premier album solo tant la patte du compositeur est partout. Pour les paroles, Wilson sera sur toutes les pistes, parfois aidé du parolier Tony Asher, parfois par son compère habituel du groupe Mike Love. Ce dernier a d'ailleurs souvent été accusé de détester cet album, tout comme les autres membres de la formation, accusations réfutées à maintes reprises par les concernés.

En mai 1966, le disque sera proposé au grand public et recevra des louanges de part et d'autre du globe. Il faut dire que le travail de Wilson est titanesque, qu'il s'agisse des plans vocaux ou bien des arrangements orchestraux. Pet Sounds est un album qui poussera les barrières dressées autour de la Pop et de sa conception. Pas moins de 68 musiciens auront contribué à ce chef-d’œuvre, qui mériterait un dossier à lui tout seul tant il est essentiel à l'Histoire de la musique. Mais ce qui nous intéresse ici se trouve en début de face B.

La voix des Anges

Après avoir été béni par une des meilleures faces A de l'histoire de la musique, les Beach Boys appuient sur l’accélérateur et envoient God Only Knows pour débuter l'autre face. Un titre qui demandera l'apport de 22 musiciens et, dès les premières secondes, on le comprend. Les oreilles sont submergées par un accordéon et un clavecin ainsi que des cuivres et cordes qui servent d'introduction. Vient ensuite la voix de Carl Wilson, désigné par son frère Bryan comme plus à même de porter les paroles. Un texte poignant parlant d'amour qui, pourtant, démarre avec un contre-pied rentré dans l'histoire.

I may not always love you

Et si cette simple phrase aurait pu être le sujet du jour, il faut attendre la barre des 2:01 pour que s'amorce la dernière partie, celle qui fait battre mon cœur à chaque écoute. Car après avoir déroulé le fil du morceau, Carl Wilson va se mettre à répéter "God Only Knows What I'd Be Without You". Une parole déjà forte qui sera chantée en décalage par Bryan Wilson et qui verra s'ajouter les chœurs de Bruce Johnston pour agrémenter le tout et offrir une partition vocale sublime.

En plus du travail d'harmonies, l'instrumentation qui l'accompagne prend le temps avant de revenir en pleine force, mettant d'abord quelques percussions avant que le clavecin, les cuivres et les cordes ne reviennent pour ajouter une touche épique à cette fin déjà prenante.

Ce titre, et plus largement cet album, est très important pour moi. Il m'aura permis de me montrer une palette étendue de ce qu'on peut faire musicalement. Aussi, Pet Sounds est un voire le premier disque qui m'aura apporté le concept d'harmonies vocales. Une caractéristique propre à la Pop qui a pu se démocratiser dans certains genres, mais qui reste indissociable de cette période de la musique portée par les Beatles ou les Beach Boys. Enfin, alors que je n'étais qu'un jeune ado en pleine recherche de nouveautés, Pet Sounds m'aura montré que vieux n'est pas forcément synonyme de daté. La production reste encore d'une pureté éclatante alors qu'on parle d'un objet musical qui s'approche des 60 ans de vie.

La beauté de God Only Knows a frappé mon âme mais pas seulement. Un certain Paul McCartney parlera de ce titre comme "the greatest song ever written". Venant du type ayant composé Sgt. Pepper ou encore Abbey Road, ça vous pose le pedigree de cette chanson. À titre personnel, je rejoins les propos de Macca tant chaque écoute de cette chanson peut me procurer de puissantes émotions. Puis je me rappelle que ça a été composé en 1966 et je reprends une autre claque. Comment est-ce que Brian Wilson a réussi un tel tour de force ? Dieu seul le sait.

PetSoundsCover
The Beach Boys
"Pet Sounds"