Les sirènes, ces créatures mythologiques qui attirent irrépressiblement ceux qui ont le malheur d’entendre leur chant avant de les envoyer par le fond. Nombreux sont ceux qui prétendent les avoir entendues chanter mais ceux qui les ont vues ne sont plus là pour en témoigner. Au Sonic Whip 2023, ce sont sous les fréquences d’un synthé que se sont incarnées ces machiavéliques mélopées. Capturant notre volonté et ne nous rendant notre liberté qu’à la fin du set d’un quatuor suédois qui a durablement impacté nos playlists : Les Big Byrd.
À peine le temps de digérer l’excellent Eternal Light Brigade (c’est faux, l’album a tourné en boucle dans nos esgourdes pendant de longs mois) paru quelques mois plus tôt que le groupe remettait déjà le couvert à l’automne avec un single sorti hors disque : I’m Living a Saved Life Now. Un titre toujours aussi envoûtant que son aîné, si ce n’est plus, à l’intitulé optimiste semblant répondre à la longue série de chansons au patronyme déprimé entamée sur l'album Iran Iraq IKEA en 2018. Un signe, ou tout du moins on l’espère, que le quatuor a pu tourner la page d’une période mentalement difficile.
Après la sortie confidentielle d’un album de B-sides en fin d’année, c’est à la surprise générale que Les Big Byrd dévoile un autre single : Mareld et dans la foulée, le successeur d’Eternal Light Brigade pour le début d’année 2024, à peine plus d’un an après ce dernier. Ce morceau, plus lancinant que ce à quoi nous a habitué Les Big Byrd, surprend également par sa longueur, dépassant les dix minutes, là où les Suédois n’avaient jamais dépassé les huit.
Les bases sont posées : sans être en terrain complètement inconnu, le quatuor va s’essayer à de nouvelles choses sur ce Diamonds, Rhinestones and Hard Rain. Le titre éponyme, choisi en tant que second single, va d'ailleurs confirmer cette intention. Contrepied total de Mareld, celui-ci est beaucoup plus enjoué et sautillant. On y trouve une cadence presque rockabilly nonchalante avec une durée beaucoup plus radiophonique.
C’est Curved Light qui viendra fermer la marche de cette phase promotionnelle. Probablement le titre le plus proche de ce que l’on connaissait sur Eternal Light Brigade, Les Big Byrd renouent avec les pistes très courtes ayant la faculté de satelliser le public en un rien de temps. Ils nous avaient déjà fait le coup avec I’ve X-ed Myself From Your World sur Iran Iraq IKEA. Le choix de ces trois singles peut d’ailleurs paraître surprenant de prime abord, Curved Light étant quasiment une interlude, mais il se justifie totalement quand on les compare aux trois autres morceaux qui composent Diamonds, Rhinestones and Hard Rain.
En effet, les trois chansons restantes s’avèrent beaucoup plus expérimentales que celles dévoilées en avant-première. Exit aussi le chant de Joakim Åhlund, le groupe laisse pleinement la place aux textures explorées pour l’occasion. Lycka Till På Färden part voyager en terrain spirituel avec ses nappes orientalisantes que n’aurait pas renié un alter ego lumineux de Wyatt E. On se laisse porter jusqu’à l’arrivée des percussions, ne survenant seulement qu’à la moitié du morceau. Le rythme maintenant imprimé à votre corps, il ne reste plus qu’à laisser votre esprit vagabonder jusqu’au terme de ce titre tout en ambiance.
Le morceau le plus surprenant est certainement Ensam i stan på sommarlovet, beaucoup plus orienté musique électronique. Complètement trip-hop dans son atmosphère, la batterie a cédé sa place pour une boite à rythme et les riffs ont déserté pour laisser des boucles nous enivrer. Seules subsistent les touches ponctuelles de guitare astrale pour donner un corps organique à ce titre très synthétique de prime abord.
Mais la véritable pièce maîtresse de l’album figure sur sa conclusion avec The Night Bus, une longue fresque de douze minutes au garrot. Une ligne de basse simplissime bouclant à l'infini nous accueille ici, propice à réveiller de vieux traumatismes chez ceux qui ont découvert I Tried So Hard en live, toujours avec ces ponctuations de clavier et de guitare à s’en noyer dans la reverb. C’est avec délice que l’on se laisse emplir par la torpeur générée par le titre. Tout du moins jusqu’à ce que le saxophone ne vienne vous ramener brutalement les pieds sur Terre.
C’est dommage mais cette première incursion du bois est peut-être le seul point noir du disque jusqu’ici. Mixé beaucoup trop en avant par rapport au reste des instruments, il y a fort à parier qu’il vous fasse même sursauter la première fois, en plus de s’insérer assez mal dans l’ambiance posée jusqu’ici.
Heureusement, il laisse rapidement le champ libre aux nappes de clavier. Telle une percée de la lune derrière les nuages, l’instrument rend le ciel aux étoiles qui auront rarement autant scintillées dans le ciel de Les Big Byrd. The Night Bus vous offre cinq minutes au-delà de la stratosphère à flotter en orbite, au-dessus des continents, sous la protection des astres. Le saxophone revient cette fois dans des tons beaucoup plus graves et agréables, comme un satellite qui vous accompagnerait jusqu’aux dernières secondes de cette parabole suspendue.
Bien en a pris à Les Big Byrd de chercher à conserver la dynamique créative entamée par Eternal Light Brigade, à nouveau isolés sur l’île de Gotland pour donner un successeur à cet opus. Retranchés dans le Sandkvie Studio de Visby, le quatuor est loin d’être resté campé sur ses acquis comme on aurait pu le penser avec une sortie si rapprochée de la précédente. En témoigne la diversité des sons explorés par chaque titre. Ni décousu, ni fourre-tout, Diamonds, Rhinestones and Hard Rain reste cohérent grâce à cette énergie envoûtante et mélancolique si propre à Les Big Byrd. Malgré les pluies battantes, ce n’est pas au fond des eaux que nous ont menés les sirènes suédoises, mais dans les cieux, bien loin au-dessus des paillettes et des diamants.
Les Big Byrd
"Diamonds, Rhinestones and Hard Rain"
- Date de sortie : 22/03/2024
- Genres : Krautrock, Psych Rock, Rock Psyché, Rock Psychédélique
- Origine : Suède
- Site : https://lesbigbyrd.bandcamp.com/music