Les Fatals Picards - Le Sens de la Gravité

What year is it?

Quel est le point commun entre : un deuil dans la famille royale britannique, une compétition sportive internationale ayant lieu dans un pays qui bafoue allègrement les droits de l’homme, et un contexte politique incitant la population française à descendre régulièrement dans la rue pour réclamer plus de justice sociale ? Si 2022 est aussi une bonne réponse, Le Sens de la Gravité, 5ème album des Fatals Picards, est celle qui nous intéresse aujourd’hui.

Fraîchement revenus de leur fiasco à l’Eurovision en 2007, le groupe se voit confronté à une nouvelle épreuve avec le départ d’Ivan Callot, dernier membre fondateur qui laisse l'ensemble sous la forme du quatuor que l’on connaît aujourd’hui. Encore ancré comme un groupe humoristique un peu débile dans l’imaginaire collectif, à cause de chansons devenues particulièrement virales comme La Ferme (qui ne figure d’ailleurs sur aucun album), Chasse, Pêche et Biture et bien sûr L’Amour à la Française qui n’a pas eu le succès escompté, les picards vont décider de changer d’approche en 2009.

Les Fatals Picards live Photo du concert des Fatals Picards du 31/10/2022 à Penmarc'h (29)

Si l’humour est toujours au rendez-vous, le ton un peu crétin des albums précédents a complètement disparu pour laisser la place à un humour plus noir et incisif. Le chant de Paul Léger paraît bien plus sûr de lui que sur les sorties précédentes et se prête plus naturellement aux compositions rock que par le passé. L’évolution est flagrante sur Seul et Célibataire 2 qui prend une tournure beaucoup plus dramatique que sur l’originale malgré sa liste de comparaisons toujours aussi drôles et inattendues.

Cette énergie rock se retrouve aussi sur Lady Diana, morceau garage rock rendant un hommage doux-amer à l’ancienne princesse décédée, tout en se moquant de l’obsession des britanniques pour leur famille royale et la multitude de produits dérivés qui en découle. Le titre permet à Jean-Marc Sauvagnargue de donner le meilleur de lui-même derrière les fûts pour survitaminer les refrains avec ses roulements sur les cymbales. Ce morceau et le précédent (Le Combat Ordinaire) marquent ce qui sera une constante sur l’album, à savoir des refrains tellement efficaces que l’on se surprendra parfois à les entonner dès leur seconde occurrence et ce même s’ils ne sont pas toujours repris à l’identique.

L’amélioration du groupe se ressent aussi dans la qualité des compositions qui se permettent, presque toutes, d’explorer un univers différent. Ma Baraque aux Bahamas nous plonge en pleine country texane avec Laurent Honel qui a sorti le banjo pour l’occasion. La basse sautillante d’Yves Giraud est un vrai régal sur cette piste et se fera remarquer chaque fois qu’un titre arbore un rythme dansant, notamment sur Les Princes du Parc, qui prend carrément des allures de twist. La chanson est un véritable brûlot contre l'alcoolisation excessive, l’hooliganisme, l’intolérance et la violence en général chez les supporters de football. Si le sujet est régulièrement remis sur le tapis depuis 2009, le titre faisait suite à l’affaire de la banderole anti-ch’ti qui avait fait grand bruit lors de la finale de la coupe de la ligue 2008. Le morceau n’est clairement pas le plus subtil du disque mais fait office de très bon défouloir et singe plutôt bien le comportement des personnes qu’il dénonce dans ses paroles bien basses du front.

Il est d’ailleurs curieux de constater qu’il est suivi par Chinese Democracy, pamphlet sous forme de valse à l’encontre des JO de Pékin de 2008 et de l’hypocrisie des sportifs qui ont pu y parader en dépit des problèmes liés à la politique autoritaire chinoise. De là à faire un parallèle entre les deux titres et le mondial de football, il y a un fossé que je ne me risquerais pas à franchir. Pas plus que je ne donnerais mon avis sur une compétition dont les stades climatisés en plein désert sont une aberration écologique et ont nécessité la mort d'au moins 6500 ouvriers lors de leur construction et dont l’attribution s’est faite sur fond de soupçons de corruption (oups).

Sur une note plus légère, Les Fatals Picards réitèrent leur amour pour le pastiche avec Boum. Après avoir laissé filer deux balles perdues à Superbus dans Ma baraque aux Bahamas et Seul et célibataires 2, le quatuor compile tous les clichés de l’univers du groupe de Jennifer Ayache pour nous proposer un titre punk-rock collégien qui fonctionne aussi bien au premier qu’au second degré. La chanson permet à l’album de respirer un peu en laissant de côté la plume assassine, au moins le temps d'un morceau. C’est l’histoire d’une meuf reste dans la critique du show-business en s’attaquant cette fois à la troupe des Enfoirés. La soif de popularité des stars participant à l’évènement caritatif annuel est tournée en ridicule via leur obsession pour l’image. Les paroles ont l’intelligence de ne viser aucune personne en particulier tout en citant des personnalités emblématiques du collectif fondé par Coluche. La présence de cloches dans l’instrumentation apporte au morceau sa touche d’originalité et renforce son côté accrocheur déjà marqué par ses refrains fédérateurs.

Il est à noter qu'une chanson supplémentaire devait figurer sur le disque mais celle-ci a été refusée au groupe par leur propre maison de disque. Pourquoi me demanderez-vous? Eh bien tout simplement car ils partageaient le même label qu'un certain Johnny Hallyday (encore en vie à l'époque) et que le titre est un hommage anticipé au jour de sa mort. Drôle et irrévérencieux sans tomber dans l'irrespect total, l'avenir rendra ce texte visionnaire et pas si excessif aux vues des funérailles nationales qu'a reçu le "Jean-Michel Jarre du rêve américain".

L’album s’achève sur deux chansons défendant la situation des marginaux. Le jardin suit la route d’un immigré clandestin Malien arrivé en France et poursuivant le rêve d’acquérir un petit pavillon de banlieue. Le ton y est plus léger et entraînant avec sa coloration reggae mais sombre petit à petit dans le quotidien précaire du personnage, jusqu’à la chute glaçante révélant son destin tragique. Enfin, Canal St Martin vient fermer la marche dans un splendide hommage aux Enfants de Don Quichotte. La chanson prend place au cours d’une action de l’association qui érigeait des campements pour sans-abri le long des quais de Seine durant les hivers de la décennie 2000. Le texte est narré par un de ses résidents décrivant son quotidien mais ne trahissant pas sa situation par pudeur. La musique s’y fait plus intimiste, la guitare est acoustique et les percussions sont réduites à un shaker. Jean-Marc Sauvagnargue ayant lâché les baguettes pour venir poser sa voix en alternance avec Paul Léger. Toutes les conditions sont réunies pour apporter une conclusion toute en douceur à un album ne laissant que très peu le temps de souffler. La chanson possède d’ailleurs un des refrains les plus beaux que je connaisse, tout en non-dit et en métaphore et repris par les quatre membres. S’il n’est jamais loin de me faire monter les larmes, les poils eux n’y manquent jamais:

Moi j’aimerais bien pouvoir me battre
En Espagne contre des moulins
Pourvu que je sois Don Quichotte
Pourvu qu’il y ait des moulins

Sous un soleil qui vaut de l’or
Avec la mer qui campe au loin
Poussant ses vagues au creux d’un port
Très loin du Canal St Martin

Par rapport aux précédents, cet album arbore un ton plus mature, ce qui autorise le quatuor à prendre plus d’assurance dans ses effets et expérimentations, surtout au niveau du chant. On note l’utilisation discrète d’auto-tune dans les dernières phrases de Lady Diana, la présence d’un filtre sur la voix dans l’intro de C’est L’Histoire d’une Meuf et de chœurs bien kitsch sur le pont des Princes du Parc. C’est aussi l’occasion pour Jean-Marc Sauvagnargue de nous présenter ses talents de chanteur sur Canal St Martin et Mon Père Était tellement de Gauche, morceau qui était déjà présent sur le disque précédent mais repris ici dans une version plus solennelle.

Si l’album peut paraître un peu foutraque à toujours changer d’ambiance musicale d’une chanson à l’autre, il n’en est pas mal construit pour autant. Les titres s’enchaînent logiquement au travers des thèmes qu’ils abordent. Le Combat Ordinaire vient annoncer la couleur d’entrée de jeu en plaçant le sujet de la contestation au centre du disque dans une ambiance syndicale très marquée à gauche et faisant écho à la pochette. La suite fonctionne par blocs avec d’abord la culture anglo-saxonne, la politique dans le sport, un troisième quart plus léger autour du show-business et un retour à des thèmes sociaux dramatiques. L’humour et l’ironie omniprésents, véritables marques de fabrique des Fatals Picards, permettent de donner du liant à l’ensemble et à rendre moins écrasantes des situations parfois très dures.

Si vous êtes à la recherche d’un album drôle, sincère et qui ne prend pas son auditeur pour un idiot grâce à des textes biens mieux écrits que ce qu’ils laissent transparaître de prime abord, alors je ne peux que vous conseiller de vous orienter vers Le Sens de la Gravité. Le fait que le quatuor se prenne un peu plus au sérieux qu'auparavant leur a clairement permis d’améliorer la qualité de leurs compositions. Le disque fait également une belle carte postale de son époque à reprendre des événements de l'actualité. Malheureusement la gravité est ainsi faite qu'en 2009, comme en 2022, on finit toujours par retomber sur les mêmes problématiques.

DérisionA quel point l'album inspire la galéjade et le rire, à dessein ou non 1/5 : Mouais. Pas envie de rigoler 5/5 : L'album vous fait extrêmement rire
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

Les Fatals Picards - Le Sens de la Gravité
Les Fatals Picards
"Le Sens de la Gravité"