Lomepal - Mauvais Ordre

Renaître de ses cendres

Après avoir passé des années à faire sa musique dans son coin, Lomepal a connu un immense gain de notoriété en 2017 grâce à Flip, son premier album. Une explosion qui ira bien plus loin que la seule sphère Rap tant l’album nous proposait quelque chose de frais et varié. Beaucoup d’éléments Pop étaient présents, notamment dans des titres comme Yeux Disent ou Palpal qui passent en boucle sur les chaines de télévision mais aussi à la radio. Durant près d’un an, il enchaînera les concerts et ne s’arrêtera pas d'écrire de la musique. En décembre 2019 sortait ensuite Jeannine venant confirmer son virage Pop, mais aussi décevoir une partie de ses fans. Malgré cela, le phénomène Lomepal ne cesse de grandir, entraînant un nombre de concerts à guichets fermés conséquent. Un succès que même notre cher Antoine Valentinelli ne semble pas comprendre, preuve en sont les paroles de Évidemment :

Évidemment que je veux briller comme l'or
J'ai passé ma vie invisible comme l'air
Pourquoi vous voulez m'aimer maintenant ?

Un titre qui, d’ailleurs, reviendra sur la setlist de toute la tournée de ce deuxième disque qui durera une année complète, l’artiste se lâchant complètement sur scène. Mais lorsque Évidemment débarque, une sorte de sentiment d’incompréhension le gagne, comme s’il ne réalisait pas complètement ce qui lui arrive depuis près de deux ans. Il a enfin obtenu le succès dont il rêvait, mais tout n’est pas comme il le voulait, ne trouvant aucun temps pour se reposer ou prendre soin de ses proches. Ce sentiment l’amènera à prendre une décision importante pour sa carrière : au mois de novembre 2019, il annonce lors de ses concerts qu’il compte prendre une pause indéterminée de la musique mais aussi de ses réseaux sociaux, et ne reviendra que quand il en ressentira l’envie ou que son troisième album sera prêt. Son public ne semblant pas complètement y croire, le jour fatidique arriva sans crier gare fin 2019.

Concert lomepal Lomepal en concert au théâtre antique de Vienne, juillet 2022

À partir de ce moment-là, nous n’aurons plus aucune nouvelle de lui. Un silence inquiétant pour ses fans, mais qui semblait nécessaire à l’artiste. Les mois passent, et nous pouvons légitimement nous poser quelques questions : tiendra-t-il sa promesse et reviendra-t-il sur le devant de la scène avec un nouvel album ? A-t-il pris goût à sa vie discrète loin des médias et des réseaux sociaux ? S’est-il lassé de la création musicale ?

Arrive début mai 2022. Une tournée de six dates seulement est annoncée dans six théâtres antiques et arènes en France, et puis... plus rien durant près de deux mois. L’attente prendra fin le 2 juin grâce à une story Instagram intrigante : une capture d’écran d’un mail de son label parlant d'une potentielle vidéo musicale à venir. Le lendemain, Tee débarque sur toutes les plateformes, accompagné de son clip.

Le titre se voit découpé en deux parties distinctes. Le premier tronçon se trouve être assez classique pour du Lomepal, mais magnifiquement bien exécuté, notamment grâce son flow toujours propre et à une instrumentale oscillant entre la Trap et une douce mélancolie. Les paroles tournent autour d'une solitude urbaine et des addictions (« Rhum, clope, rancune, j’ai tout combiné… »), nous menant d'une façon logique, bien que surprenante, à un second passage. Les sonorités synthétiques du début laissent place à une guitare acoustique et à une douce nappe de clavier débarquant tout en douceur dans nos oreilles. Quelque chose de bien plus apaisé se ressent sur cette deuxième partie. N’ayant jamais caché son admiration pour la musique Rock, que ça soit à travers ses réseaux sociaux ou même en live avec ses musiciens l’accompagnant en tournée, l'apport de ces instruments est donc pleinement compréhensible. De plus, il semble s’adresser directement à nous concernant sa pause en disant qu’il désire « Planter quelques tomates et faire du son sans ordi ». Les intentions sont claires : Lomepal est de retour après presque 3 ans de silence, sous une forme artistique différente.

« Ce nouveau monde est trop dangereux pour l'humain imparfait qu'j'suis. Donc lève ton verre, on fête la laideur involontaire » (Auburn)

À partir de ce moment, la fébrilité des fans va s'intensifier avec la sortie de Auburn, puis l’annonce de la sortie de son troisième album, Mauvais Ordre, accompagné d'une pochette sous forme d'hommage au film The Truman Show. Tout semble pressé, comme si l’artiste se sentait craintif de sa réception, comme il nous l’avait fait comprendre sur Tee :

« Retient l’monstre à l’intérieur, repousse la date de sortie »

S’il y a bien une chose qui saute aux oreilles, et ce dès le premier morceau, c’est la variété des sonorités qui nous seront proposées sur tout le disque. Allant de la Trap à la simple ballade au piano, en passant par des explosions Rock voire même quelques passages acoustiques, on ressent immédiatement qu'Antoine et ses musiciens se sont fait plaisir lors de la confection de l’album, chacun des titres possédant une identité propre. On pourrait reprocher à ce Mauvais Ordre d’être trop disparate. Mais évidemment, tout comme l'indique le nom de ce troisième effort, cette impression de désordre est totalement voulue, notamment au niveau conceptuel mais aussi thématique.

Mauvais Ordre nous raconte donc l’histoire d’un homme complètement perdu, se sentant à part et totalement seul dans notre société. Mais un jour, il vient à rencontrer une femme le désirant, et notre protagoniste ne comprend pas vraiment pourquoi (« Tomber sur une fille qui collectionne les mecs bizarres et mystérieux ? Qu'est-ce qui pouvait m'arriver de mieux ? », extrait de Prends Ce Que Tu Veux Chez Moi). Leur relation évoluera et deviendra de plus en plus compliquée pour le personnage, ce qui mènera à leur séparation. Tout ceci nous est raconté de façon non linéaire : à la manière d’un film, on se sent comme projeté dans la tête de cet individu par l’intermédiaire de ses souvenirs. On peut aussi ressentir à travers les textes qu’il ne possède aucune confiance en lui, se désignant comme « le mauvais ordre en personne ». Un élément que l’on retrouvera notamment dans Maladie Moderne.

Accompagné d’une simple guitare acoustique et de légers éléments Trap, le personnage nous parle ouvertement de sa dépression (« Le sens de la vie part en fade-out ») et à quel point ce trouble le ronge de l’intérieur, venant même à influer sur ses relations avec les autres, notamment celle qu’il aime. Mais selon lui, « le miel n’existe que grâce au vinaigre », c’est-à-dire que les côtés doux d’une relation n’auraient pas la même saveur sans ses travers. Titre touchant et dépouillé, Maladie Moderne fait partie des moments forts de Mauvais Ordre, démontrant les qualités d’écritures de Lomepal et sa façon de mettre des sujets compliqués en musique.

On retrouve aussi sur le reste du disque certains autres thèmes comme celui des addictions sur Crystal avec sa ligne de basse envoutante, de la dépendance affective sur la triste mais fataliste Decrescendo ou encore de la gestion de ses émotions négatives sur Etna, titre qui à l’instar du volcan, semble pouvoir exploser à tout moment.

« Rien n'est dans l'bon ordre, faut tout inverser »
L'homme pale

Comme signifié plus tôt, l’ordre de l’album ne suit pas la chronologie de l’histoire du protagoniste. En tant qu’auditeur, selon notre ressenti et nos interprétations des paroles, Mauvais Ordre devient donc un véritable jeu de pistes où il devient amusant de trouver un enchaînement logique entre chaque titre afin de créer une sorte de fil rouge. Bien que l’artiste ait démenti toute notion de tracklist alternative, cette anachronie rajoute une dimension de puzzle à l’ensemble de l’œuvre qui n’en reste pas moins intéressante et très bien ficelée.

Aussi fascinant dans sa construction musicale que dans sa narration, ce troisième album est un retour véritablement réussi après trois ans de silence total. Lomepal n’a jamais semblé aussi sincère et à l’aise dans sa démarche artistique. L'apport du piano ainsi que d'éléments acoustiques à sa musique apportent une certaine chaleur à l’ensemble, qui viendra bien évidemment décevoir certains fans préférant ses passages rappés, qui se font de plus en plus rare au fur et à mesure de sa discographie. Disque diablement touchant et efficace, Mauvais Ordre en déroutera plus d’un. Dans tous les cas, la proposition artistique forge le respect tant Lomepal a préféré rester fidèle à lui-même et à ses propres envies plutôt que de donner au public ce qu’il voulait.

Hasarder
J'sais rien faire de mieux
Me dis pas que tout est possible
J'sais même pas ce que je veux
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
FraîcheurIndice de l'apport de neuf que fait cet album. 1/5 : l'album réutilise les codes du genre et fait une bonne soupe avec de vieux pots. 5/5 : l'album invente et innove son style musical
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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