Avez-vous déjà manqué un anniversaire ? Ne faites pas les innocents, cela nous est tous arrivé. On connaît tous ce moment de gêne en souhaitant à un ou une intéressé·e une bonne célébration probablement déjà passée. Pourtant, c’est ce que l’on s’apprête à faire aujourd’hui avec un album qui soufflait sa cinquième chandelle il y a de ça quelques semaines.
Il y 5 ans sortait No Comfort, quatrième méfait des Suédois de Monolord. Paré de sa magnifique pochouette issue de la peinture Delusions of Grandeur de Alexander Fjelnseth, le disque arbore une teinte plus épique que ses prédécesseurs, mais aussi plus sage et plus désespérée comme l’annonce l’illustration sur un fond noir profond et bouché.
Comme pour garder les habitués dans leur zone de confort (contrairement à ce qu'évoque le titre du disque), le trio amorce l’album avec The Bastard Son. Très proche de ce qu’on leur connaissait alors mais néanmoins très solide, cette ouverture offre aux amateurs du penchant le plus lourd du groupe une parfaite suite à l’indétrônable Empress Rising. Mention spéciale pour son pont flottant dans une boue noire avec en toile de fond la basse vrombissante que l’on sent prête à bondir à tout instant.
La première face se clôt avec un titre devenu un habitué des setlists du groupe : The Last Leaf. Très classique à son lancement et dans sa durée, on pourrait s’attendre à un simple single, pourtant il révèle une très belle surprise dans sa construction. La seconde moitié est composée d’une délicieuse boucle amorcée par une basse rampante de prime abord. Celle-ci est rejointe par la batterie puis la guitare électrique pour insuffler une montée épique au morceau. S’ajoute alors une discrète guitare acoustique qui vient cajoler cette virée dans les nuages de ses textures duveteuses. Le climax est atteint grâce à des harmonies sur la guitare lead, apportant une clarté solaire à un vol dont on ne veut jamais entreprendre la redescente. En live, la chanson monte encore plus haut en altitude grâce à un second guitariste ajoutant un solo jammé bouleversant.
Skywards, qui arrive plus tard dans la tracklist, fait un peu office de petite sœur aux deux premiers morceaux. Avec son riff binaire et groovy à souhait, on retrouve la patte écrasante de The Bastard Son, emprunt cette fois de mélancolie sur les refrains. Le climax survient dans un court solo de guitare qui nous lâche dans le vide avec de délicats arpèges accompagnés par la complainte de Thomas V. Jäger. La boucle peut faire écho au final de The Last Leaf en un reflet endeuillé de ce dernier.
Cette ambiance moribonde est d’ailleurs la composante principale des deux derniers tiers de l’album. Le motif qui intronise Larvae pourrait faire une parfaite marche funèbre tant la suite d’accords est dépourvue de toute joie. Néanmoins, les deux post-refrains renferment en leurs seins des émotions bien différentes. Le premier s’enfonce dans la noirceur et la dépression, là où le second, triomphant, baigne dans la lumière de l’acceptation. Malheureusement, cette parenthèse n’est que de courte durée et la conclusion cataclysmique vient enterrer la dernière lueur d’espoir qui pouvait survivre sur le disque.
Alone Together amorce la troisième face, la mort dans l’âme, avec son oraison plongeant vers le tragique. Le fuzz ne s’éveille que vers 3:40 sur une piste qui ne dépasse pas les cinq minutes, symptôme de l’apathie liée au deuil porté par le morceau. Si on pouvait encore trouver quelques pointes de clarté dans les titres précédents, là, l’ultime descente est amorcée vers la fin du disque. Sorte d’hommage post-mortem, le titre éponyme baigne dans une ambiance sombre, poisseuse mais surtout complètement plombée par la tristesse. Les jeux toujours plus lents de Esben Willems et de Mika Häkki, couplés au chant plaintif, éthéré et réverbéré de Thomas V. Jäger, sont un terreau fertile pour faire mûrir cette émotion au-delà de proposer des morceaux qui vous écrasent sous des kilotonnes de fuzz.
Ce ton solennel et fataliste est un cap qui sera maintenu par le successeur de No Comfort, à savoir Your Time to Shine deux ans plus tard. Si on peut penser que toute cette morosité aurait tendance à dynamiter l’envie de retourner vers le son des Gothembourgeois, elle offre à leurs dernières sorties une facette très appréciable : celle d’être de parfaits compagnons des mauvais jours. À une époque où chaque jour l’actualité nous abreuve de nouvelles toujours plus mauvaises, ces disques sont de véritables refuges pour extérioriser le malaise latent au travers d’une musique aussi belle que cathartique.
Bon anniversaire No Comfort, en retard, certes, mais juste à temps pour anticiper la déprime saisonnière.
Monolord
"No Comfort"
- Date de sortie : 20/09/2019
- Label : Relapse Records
- Genres : Doom, Stoner Doom, Stoner
- Origine : Suède