Complexe tâche que de définir avec exactitude la musique ambient. Le genre est riche d’histoires, d’artistes éminents et a depuis infiltré tellement de styles musicaux et de productions artistiques, que derrière cette désignation se trouve un univers immense. Comme si on voulait définir l’océan en ne pouvant décrire qu’une goutte d’eau.
Cette abstraction de l’étiquette peut rendre l’exploration impressionnante pour les audionautes non confirmés : allez-vous accoster à répétition sur des disques de drones agressifs ou des boucles interminablement longues et uniformes ?
Personnellement, j’aime beaucoup la description de David Troop (musicien et auteur de livres sur la musique ambient), qui la décrit comme une musique cherchant à aller au delà du simple parfum sonore, une musique (et une écoute) comme un moyen de questionner notre existence et notre rapport au monde en se définissant par rapport à l’atmosphère, à l’environnement, aux alentours et au problème de la distinction entre l’intérieur et l’extérieur.
Si cette description vous séduit bien plus que la simple évocation de l’étiquette, faites votre sac à dos et enfilez vos chaussures les plus fiables, car le projet du jour va vous embarquer bien au-delà de vos supports d'écoute.
Musicien multi-instrumentiste, Aurélien Regert nous offre son premier album solo sous le nom de Of Mountains And Seas, en hommage aux deux entités naturelles se rencontrant dans son lieu de vie, les Alpes-Maritimes. Un pseudonyme soulignant une connexion à la nature, un ancrage dans son environnement devenu un moteur créatif évident pour ce premier disque

Vos chaussures de randonnées parées, votre excursion avec Of Mountains And Seas démarre un peu avant le crépuscule. Departure se découvre pudiquement sur une tape loop de chants d’oiseaux donnant le rythme aux synthés qui s’élèvent délicatement. Un thème mélodique tourne, évoquant un mystère et une pointe d’inquiétude. Pas de doute : vous vous préparez pour un périple singulier tandis que la densité des synthés gonfle.
Mais très rapidement, vous vous prenez à l’aventure tandis que votre ascension vous fait passer par une forêt dense. La guitare lo-fi de The Pine guide votre destination, incrustée aux parois d’un épais cocon de son qui rappelle les travaux d’Amulets. Les questions et inquiétudes du quotidien se dissipent, pas après pas, dans la forêt de pins vous vous effacez, vous êtes là où vous devez être.
Immergé dans votre expédition, vous ne réalisez pas que l’écoute vous a élevé au-delà des cimes. Bien loin de la forêt désormais, dans la pénombre tout juste installée de la nuit, c’est l’espace qui capte naturellement votre attention.
Le deuxième segment de l’album est la bande son contemplative du ciel qui se pare de mille joyaux. Cygnus, The Traveller I et Pegasus s'enchaînent d’un seul souffle, faisant défiler des toiles grouillantes de richesse, tout en gardant leur dimension apaisante et méditative. Une plongée dans la torpeur nocturne avec une progressivité semblable au Singularity de Jon Hopkins. Au pinacle de la nuit, Andromeda vous fait témoin de la discussion délicate de la guitare avec les éclaboussures des synthés modulaires tandis que vous contemplez d’éparses étoiles filantes. Un dialogue qui va gagner progressivement en ampleur avant de s'asseoir sur un beat trip-hop que ne renierait pas Boards Of Canada.
En prenant de la hauteur vers l’infiniment grand, le disque nous invite à nous immerger, à l’inverse, dans l’infiniment intime.

C’est là la qualité des grands disques d’ambient : être ce pont entre l’environnement que l’on perçoit et le mouvement interne qu’il génère en nous. Of Mountains And Seas illustre cette puissance émotionnelle qui s’offre à nous lorsque nous contemplons le monde. Il évoque l’humilité imposée par cet Univers massif… ainsi que la curiosité d’un enfant, peut-être la seule chose connue de l'humain qui puisse rivaliser avec le cosmos en terme de grandeur.
Dad are we alone peint cette candeur de façon très touchante. Nous pouvons entendre Aurélien discuter avec son fils. Autour, les sonorités regorgent d’aspérités, comme si le morceau s'altérait au contact du dialogue. Les guitares se font progressivement plus présentes et sensibles, comme pour souligner l’innocence des affirmations du petit garçon que nous entendons :
Je pense qu’on n'est pas tout seul dans notre planète. Oui, je pense qu’il y a d’autres petits hommes comme nous !
Après de longues heures à scruter le ciel nocturne, terminer la section spatiale de l’album par cette bulle a l’effet d’un rayon de soleil. Et l’on jurerait voir l’aube émerger à l’horizon lorsque résonnent les arpèges de The Traveller II, qui ira droit au cœur de toute personne ayant été conquise par le jeu vidéo Outer Wilds.
Il est temps de reprendre votre marche. Home est le dernier morceau qui vous accompagne, la redescente se fait doucement, il vous semble entendre les mêmes oiseaux que ceux de la veille en arrivant à votre point de départ. Votre périple semi-nocturne et intérieur est terminé. Il est temps de rentrer et de poursuivre les autres aventures.
C’est une maturité rare que nous trouvons là pour un premier disque. Of Mountains And Seas fait preuve d’un excellent story-telling tout en finesse et démontre la grande richesse et accessibilité possible de la musique ambient.
Puisque je l’évoquais en introduction de chronique, David Troop déclarait :
Dans un monde idéal, celle ou celui qui fait de l’ambient poserait de vraies questions : en quoi est-ce que je consiste ? Quelles sont les frontières de mon être ? Quelle est ma musique et quelle est la musique du monde ? Ce son peut-il me faire ressentir de l’empathie pour n’importe quelle entité ? Pour tout objet ou phénomène qui n’est pas moi ?
Vous arrivez au bout de cette chronique, vous savez désormais que Aurélien Regert a coché toutes les cases.

Of Mountains And Seas
"Of Mountains And Seas"
- Date de sortie : 10/10/2025
- Label : Shimmering Moods Record
- Genres : Post Rock, Ambient
- Origine : France