Pelegrin - Ways of Avicenna

Après le désert, voyagez vers les confins de votre esprit

Ce n’est un secret pour personne, le stoner rock et le désert, c’est une longue histoire d’amour. Le style y trouve son origine : né dans les generator parties du désert californien au début des années 90, la presse musicale de l’époque qualifiait la musique des groupes issus de ces rassemblements comme Kyuss et Yawning Man de « desert rock ». Pour beaucoup, cette musique rappelle les terres arides et leur chaleur assommante via ses tempos ralentis ainsi que ses riffs lourds et distordus qu’elle propose. Mais pour les groupes plus orientés sur le versant psychédélique du genre, le désert n’est pas retranscrit par la lourdeur du son mais plutôt par la symbolique qu’il propose : son côté énigmatique, ses mirages et ses dangers inconnus, quelque chose de beaucoup plus ancré dans l’inconscient collectif des Européens. Quand on évoque le désert, nous avons d’abord en tête ceux du monde arabe comme le Sahara ou ceux du Moyen-Orient et leurs immenses dunes et oasis cachées plutôt que ceux de Californie avec ses cactus et ses terres rocailleuses.

C’est justement tout cet imaginaire que les français de Pelegrin essayent de nous retranscrire dans leur musique. Formé en 2019, le trio parisien nous avait déjà tapé dans l’oreille lors de la sortie de leur première réalisation, Al-Mahruqa. Un album concept conçu comme une ode au désert, ses nuits périlleuses avec leur froid mordant et ses journées suffocantes. Un voyage rock psychédélique comme on les aime avec une singularité propre au groupe qui fait la part belle aux sonorités orientales pour apporter une touche originale à un genre déjà bien inventif.

Malgré un relatif anonymat et l’absence complète de représentation live à la suite de cet album de la part du groupe, ce dernier est reparti en studio en 2022 et a concocté un nouvel album : Ways of Avicenna.

Pelegrin bw Jason Recoing (c) Pelegin Facebook

Comme pour l’album précédent, la première chose qui frappe est sa superbe pochette, réalisée par l’artiste Alice Garnier. On y voit un homme sur son cheval observant au loin une cité orientale pendant ce qui semble être l’aurore. Le bleu nuit de l’album précédent est remplacé par un bleu denim profond. Une illustration parfaite pour retranscrire le voyage psychédélique, le genre de pochette à faire foisonner l’imaginaire de l’auditeur.

Notre écoute de Ways of Avicenna démarre au début de la nuit avec Madrassa. Un arpège de guitare, des percussions et une voix prophétique emplis de réverbération, l’appel à l’aventure démarre. Le groupe ne perd pas les amateurs du premier album, nous replongeant immédiatement dans cette ambiance psyché old school aux touches orientales. Madrassa (autre nom donné aux écoles coraniques qui provient du perse madresé) est un appel à la curiosité, à assouvir notre soif de connaissances. Une mise en bouche idéale avec ses mélodies enivrantes et joyeuses, supportées par une basse rebondissante et groovy.

Mais cette fois-ci, le périple proposé par Pelegrin ne sera pas au cœur du désert mais vers le fin fond de notre esprit. Ways of Avicenna renvoie aux préceptes d’Avicenne, célèbre médecin et philosophe arabe du Moyen Âge dont les textes à la croisée des pensées orientales et occidentales ont eu une influence considérable sur les penseurs de l’époque médiévale qui l’ont suivi.

Ce voyage dans notre conscience ne sera pas de tout repos, notre esprit se retrouvant vite embrumé comme dans Thunderstorm. Le tempo ralentit, la mélodie devient lancinante et progresse jusqu’à la déferlante de riffs toujours teintés d’orientalisme et de mysticisme. Le travail des percussions tribales, dissipées ici et là tout au long de l’album, viennent accentuer ce ressenti d’exotisme et d’imaginaires arabesques. La formule sera aussi appliquée sur Mystical Appeal, un morceau à la structure complètement progressive et riche. L’auditeur se retrouve alors comme un disciple d’Avicenne, submergé par la complexité de ses propres réflexions philosophiques.

On observera également une construction similaire sur Reach for the Sun, avec son intro carrément doom, accompagnée d’une guitare aux sonorités fatalistes qui nous emmène jusqu’au climax du morceau et la magnifique envolée au chant de François Roze doublée par des harmonies de guitares du plus bel effet. Un exercice qui n’est pas sans rappeler l’une des influences principale de Pelegrin, un groupe bien connu du Massachusetts nommé Elder.

Mais le trio propose également de la nouveauté dans cet album puisqu’il nous offre sa première ballade acoustique : Disgrace. Véritable pépite d’à peine 2min 30, elle durera assez longtemps pour vous envoûter grâce son duo de guitares et à la voix de Roze qui se pose à la manière d’un conteur nous narrant les enseignements du passé.

L’album se conclut par Forsaken Land, dont l’intro rappelle énormément The Coldest Night de l’opus précédent, pour enchaîner sur un passage épique aux harmonies de guitares faisant penser aux suédois d’Hällas, autre ponte du psyché old school en vogue ces dernières années. Le groupe nous quitte avec un simple riff martelé en boucle pendant deux minutes, sa manière de nous faire comprendre que le périple de l’esprit n’est jamais vraiment terminé.

Comme confié en interview par le batteur Antoine Ebel, on ressent bien avec cet album la volonté du groupe de proposer des morceaux dissociables et prêts pour le live plutôt qu’une œuvre continue comme pouvait l’être Al-Mahruqa. Cela n’en fait pas un album moins intéressant que son prédécesseur : au contraire, il permet de confirmer que la formule du groupe fonctionne. À souligner également le très bon travail de mastering de Kent Stump, guitariste de Wo Fat, qui a réussi à ajouter plus de textures dans le son des franciliens par rapport à l’album précédent.

Pelegrin continue de tracer son chemin dans les sphères du stoner rock psychédélique et progressive. Avec deux albums d’excellente facture, le groupe parvient à se démarquer de la scène grâce aux sonorités et leur concept qu'ils ont dilué dans leur musique. On ne peut que leur souhaiter de réussir à se faire un nom sur la scène française mais aussi internationale. Les mystères du désert et de l’orient réservent décidémment encore bien des surprises et Pelegrin sera votre meilleur guide...

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