C'est bien connu : la mode fonctionne par cycles. Tout revient à la mode quelques dizaines d'années après la première vague, et la musique n'échappe pas à la règle. Alors que la décennie passée a ressemblé à un grand revival culturel des années 80 et que son équivalent 90s pourrait bien nous pendre au nez, un sous-genre bien typé du rock semble connaître un troisième âge d'or depuis quelques années : le post-punk. À la fin des années 70, le petit frère du punk avait pris de son aîné l'attitude et la philosophie "Do It Yourself", rajoutant par dessus sa plus grande ambition musicale, son goût pour des artistes comme David Bowie ou Lou Reed, son interêt pour toutes les autres musiques afin d'y phagocyter de quoi assouvir son appétit créatif… De Public Image Limited à Joy Division en passant par Talking Heads, The Cure et autres Killing Joke, le courant post-punk fut dense et riche. Aussi il ne fut pas surprenant de voir à l'aube des années 2000 émerger une scène de musiciens biberonnés à cette vague et remettant au goût du jour la musique de leur enfance. Interpol, Franz Ferdinand, Bloc Party, puis plus tard Foals ou The XX ont incarné ce qu'on a baptisé le Post-Punk Revival. L'histoire aurait pu s'arrêter là.
Mais depuis la fin des années 2010, une nouvelle vague de groupes post-punk déferle, regroupant des musiciens ayant bénéficié du double héritage des deux courants aînés : les irlandais de Fontaines DC ou The Murder Capital, les anglais de IDLES, les biélorusses de Молчат дома (prononcé Molchat Doma)… depuis peu la France s'y met, et nous allons nous pencher sur le cas de prometteurs et potentiels porte-drapeaux nationaux dans cette nouvelle New Wave : PURRS.
PURRS, c'est 4 potes de longue date, basés à Angoulême, avec des années d'expérience et bien des kilomètres au compteur. Après un premier EP éponyme sorti en 2015 qui fleurait bon l'indie et les influences revival 2000s, Elliot (chant, guitare), Yassine (guitare), Guillaume (basse) et Charly (batterie) ont effectué leur retour le 12 mars dernier avec un nouveau 5 titres, Rhythm + Ethics. Force est de constater que la formule a été méchamment relevée. En presque 6 ans, le chaton ronronnant de l'EP éponyme s'est mu en un fauve bien plus intimidant et bestial sans perdre pour autant de sa grâce toute féline.
On sent très vite la volonté ferme du quatuor d'en venir aux mains et d'en découdre. La rythmique est martiale, combinant une batterie à la frappe sans retenue et une basse aussi ronflante que tranchante. Les guitares assument certes à fond leur héritage post-punk à force de traits mélodiques baignés de chorus et noyés de réverbération, mais savent se rendre furieuses à grands coups d'accords rugissants et fuzzés que le stoner ne renierait pas. La voix d'Elliot fait preuve de polyvalence, passant d'un chant harmonieux à un phrasé puissant, rocailleux et légèrement saturé au mixage pour la petite touche vintage. La formule est familière, mais le groupe apporte définitivement une griffe et une patte qui lui sont propres. Pas l'ombre d'une concession à l'horizon, pas d'ouverture à la négociation sur le premier titre Navy, qui passée une introduction en douceur se veut bien plus nerveux et trépidant. Malgré la force de frappe et la puissance du son, la musique a l'intelligence de jouer la carte du clair-obscur. Elle sait se faire sombre et écrasante tout en révélant un jour bien plus lumineux et exaltant : PURRS semble hurler et se battre pour faire valoir sa joie de vivre. Le quatuor se retrouverait ainsi sur le terrain des idées avec IDLES et le concept véhiculé par le titre de leur second album : Joy as an Act of Resistance.
Le groupe parvient néanmoins à tempérer son rythme de croisière avec suffisamment de finesse mélancolique pour gagner en profondeur et en humanité. En témoigne le titre Keep Swimming, appel à ne pas se laisser abattre malgré le sentiment de non-accomplissement et le fait de vieillir. Un aparté judicieux avant de repartir plein régime à l'assaut du furieux Tribe, critique très acide du succès et de l'ascension sociale, allant même chercher du côté hardcore de la force pour pilonner son message dans le crâne de l'auditeur. L'EP se clôt avec le brillant Buzzing, qui rit jaune de la problématique contemporaine qu'est la course à la gloire éphémère qu'offre Internet et les dérives humaines qui en découlent. Il paraît enfin nécessaire de s'attarder sur Sink, titre plus mélodique, plus posé, chantant et moins corrosif dans la forme, qui pourrait s'avérer être un cheval de bataille radiophonique crucial.
En cette période troublée, voir sortir un EP tel que Rhythm + Ethics est un évènement, certes confidentiel puisqu'on est dans la plus pure autoproduction, mais au caractère ô combien rassurant. Alors que la culture et la scène musicale semblent à l'arrêt, il est bon de voir les signes d'une activité grouillante à l'ombre des studios, d'avoir des groupes dans les starting blocks, prêts à défendre sur scène ces nouvelles sorties dès lors que les salles de concerts réouvriront. Et cet EP donne envie d'être vécu dans l'agitation, le bruit et la fureur du live. En jouant bien ses cartes, PURRS devrait assurer sa place dans cette nouvelle scène rock Made in France radicale et farouchement indépendante, constituée de groupes comme The Psychotic Monks ou Lysistrata. Et aux côtés d'artistes comme les amiénois de Structures, on leur souhaite de représenter la France dans ce courant post-punk contemporain qui devrait avoir encore quelques beaux jours devant lui.
PURRS
"Rhythm + Ethics"
- Date de sortie : 12/03/2021
- Genre : Post-Punk
- Origine : France
- Site : https://purrs.bandcamp.com