REZN - Burden

Plus lourd. Plus bas. Plus jouissif.

REZN fait partie de ces groupes qu’on suit depuis longtemps dans la rédaction de Soundbather, autant ne pas s’en cacher. Après les avoir découvert avec leur prometteur second opus Calm Black Water, le troisième album Chaotic Divine a été une confirmation jouissive où le groupe a affiné sa patte sonore à base de doom et stoner psychédélique. Les Chicagoans sont depuis attendus à chaque sortie, que ce soit tous seuls ou avec d’autres formations (Live At Electrical Audio avec Lume et Silent Future avec Vinnum Sabbathi). Dernière œuvre en date hors split, Solace est quant à elle un peu en retrait, avec des compositions travaillées mais hélas un peu moins marquantes.

La plus grande frustration avec REZN jusqu’à cette année était la portée du groupe, qui depuis ses débuts était chez le petit label Off The Record ou s’auto-produisait. Conjugué à ceci, le quatuor avait un nombre d’écoutes que certains estimaient bien en deçà de la qualité de leur musique. Pour ces gens-là, le 5 avril 2024 fut une belle journée grâce à l'annonce de la signature de la formation chez Sargent House, label qui abrite en son sein quelques groupes avec une belle renommée tels que Brutus ou Russian Circles. La date s’est même embellie avec la sortie d’un single et l’annonce d’un nouvel album, doté en plus d'une échéance très rapide : le 14 juin.

Avant même la sortie du disque, celui-ci s'annonçait particulier par deux éléments. En premier lieu, Burden avait été enregistré en août 2021, en pleine pandémie. Dans la suite directe des sessions studios de Solace, pourtant sorti 2 ans plus tôt, il avait été enregistré avec la même équipe technique à l’enregistrement et la production. La formation aurait pu sortir un double album, mais a préféré les séparer, les deux pièces étant différentes dans leurs thèmes.

En second lieu, Burden s’inscrit directement dans la continuité de son prédécesseur par sa pochette. Il faut pour cela féliciter Adam Burke, dont le superbe tableau a servi pour les deux albums. Leur dualité, entre montagne glaciale et crevasse infernale, a été brillamment mise en valeur par le peintre sur la toile.

Solace-Burden-rezn Le chanteur et guitariste Rob McWilliams posant avec le tableau

Burden s'ouvre avec la même mélodie par laquelle Solace s'était conclue. Quoique plus rapide, elle est toujours aussi austère sur Indigo, sombre et dépourvue d'espoir. Les racines de Webbed Roots (titre de clôture de Solace) s'enfoncent vers un sous-sol peu accueillant, avec une basse lourde à souhait, un kick de pédale assourdissant et des synthés lugubres. Sur le premier pont, les effets de la basse semblent être les bruits d'un excavateur infernal : on délaisse l'aridité glaciale de Solace, sa neige ayant fondu pour partir s’enterrer avec nous dans des caves à la chaleur étouffante.

Ce n'est pas le court titre ambiant Descent of Sinuous Corridors qui prouvera le contraire, ses sinistres nappes de claviers nous emmenant avec elles dans les profondeurs terrestres. On n'est pas non plus trompé par le doom psyché typique du groupe, qui sur cet album penche plus du côté de la lourdeur du doom que des nappes aériennes du psyché. Cet aspect ne disparaît pas pour autant, Instinct et surtout Soft Prey en étant les meilleurs exemples. On retrouve même le saxophone de Spencer Ouellette sur cette dernière, qui recèle une sensation surprenante : à la première écoute, on ne s'attend pas à entendre l'instrument, mais une fois qu'il a fait son apparition, sa présence semble évidente, presque inévitable.

REZN_2024 REZN [Source : facebook du groupe]

Mais c'est bien le doom qui prédomine Burden, vous écrasant avec ses nombreux effets de distorsion et fuzz. Spécialité du quatuor, il est ici immanquable et à son sommet. Si Indigo et les refrains d'Instinct ne vous ont pas convaincus, alors ce seront Bleak Patterns et le single Chasm qui s'en chargeront.

Ce dernier est sûrement le plus abouti de ce point de vue. Instruments sous-accordés, effets poussés à fond, ambiance sourde et riffs implacables sont là pour vous faire chuter au fond du gouffre. Le solo joué par Mike Sullivan de Russian Circles (eux aussi sur Sargent House, coïncidence mais qui n'en est peut-être pas une) n'est pas là pour vous aider à vous en sortir, bien au contraire. Titre de clôture de Burden, Chasm vous assomme et se finit par une distorsion allant crescendo, achevant littéralement le disque, comme si on perdait la connexion avec la surface et le réel.

Sur ce nouvel album, on peut également noter que Rob McWilliams s’affirme avec son chant, moins caché derrière les effets. Dans les vers, le frontman évoque exclusivement des individus perdant leur lien avec la réalité, emportés par la terreur ou prisonniers de leur esprit.

Comme ses personnages s’enfonçant dans la folie, REZN plonge dans les tréfonds de la terre, sa musique s’enfouissant par son poids. Malgré une durée limitée (35 minutes), le doom caractéristique des Illinoisais marque par sa lourdeur, qui n’a jamais été aussi intense avant cette nouvelle fournée. Si le psychédélisme n’a pas disparu (le saxophone se fait de nouveau trop rare), il dessert cette fois-ci un dessein plus malsain, nous menant vers une errance sans fin prévisible.

Plus sombre encore que Solace, qui marquait déjà une avancée dans ce domaine, le fardeau Burden pèse. Pour autant, comme Chaotic Divine avant lui, ce cinquième album est abouti dans sa forme. L’immersion souterraine est totale, bien aidée par la production de Zach Weeks, qui passe ici à un niveau supérieur.

Alors, Burden va-t-il permettre à REZN de franchir une étape ? Si on veut être parfaitement honnête, il est dur de le dire à ce jour. Ce n'était surement pas l'intention du quatuor en pleine pandémie, mais au vu de ce qu’on trouve à l'intérieur, il le mérite, et dans la rédaction, on l’espère. Un peu plus accessible sans pour autant perdre l'identité sonore marquée du groupe, l'album a ce qu'il faut pour toucher un public plus large et garder celui qui les suivait déjà.

En attendant un album de la formation créé sous la coupe de Sargent House pour observer une possible évolution, la promotion supervisée par le label devrait également bien les aider. Le groupe va enfin visiter l’Europe, événement que le groupe n’avait jusqu’alors pas réussi à boucler, et qu’on attendait depuis longtemps. En support de la tournée de Russian Circles cet automne, le quatuor va pouvoir bercer nos oreilles avec son doom aux ambiances éthérées.

Ainsi, nous vous recommandons fortement d'écouter Burden et d'aller voir REZN et Russian Circles sur leurs dates françaises. Supporter sa scène locale est important, et il en va de même pour les petits groupes qui tentent une traversée de l'Atlantique pour vous proposer leur musique.

ViscositéIndice sur le niveau de graisse de l'album. 1/5 : c'est léger et pas gras. 5/5 : c'est très gras, visqueux, huileux
TempératureIndice du mood général de l'album : 1/5 = froid, musique globalement maussade, négative, voire violente 5/5 = chaud, musique très joyeuse voire festive
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
Bouteilles de plongée

REZN_BURDEN
Rezn
"Burden"