Slipknot - Iowa

« Fueled with more hate than before. »

Nous vivons une période compliquée. Cela n’aura échappé à personne, le climat auquel nous faisons face depuis plusieurs mois est des plus tendus. Il est difficile d’échapper à la tension générale tant elle est palpable et partout ; les journaux, les réseaux sociaux, les plateaux de télévision, tout autour de nous respire et encourage cette ambiance pesante. Face à ça, nous réagissons tous de façons différentes. Certains vont passer au dessus quand d’autres vont chercher un moyen d’extérioriser leurs ressentis négatifs de n’importe quelle façon. Ils vont tenter à tout prix de se libérer de la frustration, de la colère, l’incompréhension, la haine ou le dégoût que peut provoquer autant de tension. Quoi de mieux qu’un album qui embrasse parfaitement tout cela ? Dans ma quête de me vider l’esprit et par pur hasard, je me suis redirigée vers un album qui m’a accompagné durant mon adolescence : Iowa de Slipknot.

People = Shit.

Lorsque Slipknot sort son premier album éponyme en 1999, le groupe acquiert alors une petite renommée notamment grâce au bouche-à-oreille. Leur passage à l'Ozzfest, la même année, permet à leur fan-base de s'agrandir davantage et leur donne l'occasion de jouer aux côtés de désormais grands noms de la scène metal comme Fear Factory, Static-X ou encore Hed PE. La formation entame alors une longue tournée durant laquelle le batteur Joey Jordison et le bassiste Paul Gray se lancent ensemble dans l'écriture et la composition de leur second opus, mais le reste du groupe fatigue. Les autres membres font alors part de leur désir de faire une pause pour recharger les batteries, épuisés par les longs mois passés sur la route et sur scène, en vain. Le 17 janvier 2001, Slipknot retourne en studio afin d'enregistrer Iowa.

Commence alors ce que le groupe lui-même considère comme étant la pire période qu'ils auront vécue pour différentes raisons. Propulsés comme ils l'ont été sur les devants de la scène en si peu de temps, leur santé en a pris un coup. Physiquement ainsi que moralement, le groupe est exténué, notamment Jordison et Gray. Les drogues et mélanges d'alcools s'en mêlent également et de nombreux membres tombent doucement mais sûrement dans des addictions sévères, le chanteur Corey Taylor devra d'ailleurs faire face durant des années à son alcoolisme par la suite. Les malheurs ne venant jamais seuls, le DJ Sid Wilson perdra son grand-père durant l'enregistrement de l'album, le plongeant alors dans un épisode de profonde dépression. C'est dans ce climat difficile que naît le deuxième album de Slipknot.

« Lorsque nous avons fait Iowa, nous nous détestions tous, nous détestions le monde et le monde nous détestait. » - Shawn Crahan.

Celui-ci sortira le 28 août 2001 et abordera durant un peu plus d'une heure des thèmes comme la misanthropie, le dégoût, la haine, le rejet, la psychose et le deuil. S'il est encore aujourd'hui considéré comme leur album le plus brutal, ce n'est clairement pas pour rien ; au-delà des paroles et des sujets traités, la musique n'est pas en reste. Il faut dire qu'avec un line-up composé de 9 musiciens (un batteur, un bassiste, un claviériste, deux guitaristes et un chanteur, sans oublier un DJ et deux percussionnistes), difficile de réussir à faire entendre tout ce petit monde sans créer une véritable tempête sonore.

Pour autant, la musique est loin d'être un brouhaha indigeste. La batterie de Joey Jordison est d'une précision millimétrée et nous offre un squelette solide à chaque chanson. On notera l'apport des percussions de Shawn Crahan et de Chris Fehn qui enrichissent et renforcent le tout. Les guitaristes Mick Thomson et Jim Root créent des riffs d'une efficacité monstrueuse auxquels la basse de Paul Gray donne de la rondeur ; son jeu se dévoile tout au long de l'album, les guitares allant parfois jusqu'à se taire pour laisser aux auditeurs le plaisir de découvrir des lignes délicieuses. En ce qui concerne les claviers de Craig Jones ainsi que ceux de Sid Wilson, ils ajoutent à la musique davantage de profondeur en ajoutant des sonorités et des samples un peu partout. Enfin, la voix de Corey Taylor vient se marier à cette danse et tout prend alors sens : il est la figure de proue du groupe, ce qui fait son identité. Si toutes les chansons sont composées par l'intégralité des membres, la quasi-totalité des paroles sont l'œuvre d'un seul homme.

« Nous sommes ce que nous sommes. On gaspille, on ruine, on corrompt et on détruit. Nous sommes notre pire ennemi. » - Shawn Crahan à propos de la chanson "People = Shit".

À sa sortie, David Fricke, journaliste du magazine Rolling Stone dira de l'album qu'il « ne va pas plus loin que les mots "fuck" et "shit" qui sont utilisés plus d'une cinquantaine de fois durant les 66 minutes d'Iowa ». Mais force est de constater que cela est une vision plutôt grossière des paroles. Elles sont violentes, vulgaires, froides et sèches, mais également terriblement profondes, reflétant les traumas de Taylor, ses craintes, ses ressentis quant au monde qui l'entoure. People = Shit, notamment, aborde la misanthropie et la fin du monde qui sera de notre faute, paroles encore tristement d'actualité en cette période de pandémie et de course à la productivité, à tel point que ce monde ne lui donne plus envie de continuer. Il veut simplement vivre sans laisser une trace, car il ne veut pas mourir sur cette planète.

Sa misanthropie ne date d'ailleurs pas d'hier : Taylor a malheureusement été victime de harcèlement durant sa scolarité et il aborde cette partie de sa vie dans un titre particulièrement agressif, Disasterpiece, où il confie et hurle son désir de voir ceux qui l'ont détruit mourir. Il se déteste tant qu'il en vient à être persuadé que le monde entier le hait de la même manière. Un ressenti qu'il développe dans I Am Hated, le morceau le plus court de l'album (en omettant l'intro) et qui, malgré sa noirceur, se permet de répondre gentiment à une critique émise par le leader de Limp Bizkit, Fred Durst. En effet, ce dernier a qualifié dans une interview les fans de Slipknot comme étant « des gamins obèses et moches ». Taylor ayant subit les mêmes remarques durant sa jeunesse, il est alors normal de voir en la parole « but I'm fat and I'm ugly and proud, so **** you » un petit message directement adressé à Durst ainsi qu'un appel plus large à ne pas accepter le harcèlement et à s'accepter tel que l'on est.

« C'est à propos du dernier jour dans une vie dont je ne veux pas me souvenir et à propos du premier jour dans une vie que je vis maintenant. » - Corey Taylor à propos de la chanson "Everything Ends".

Mais au delà de toute la haine et la rage qu'il peut ressentir, Corey Taylor est surtout un homme détruit, profondément dépressif et au cœur brisé. Sur bien des points, Everything Ends est l'une des chansons les plus touchantes et personnelles de l'album car elle parle d'un sujet bien particulier : le désir de partir. La première chose que l'on entend est la voix claire de Taylor qui chante à peine le chorus, celle-ci semblant même se briser à un moment. Puis vient la colère avec la batterie brutale de Jordison, accompagnée rapidement par les autres instruments. À l'image du reste du disque, l'ensemble est agressif. Pourtant, à travers les nappes musicales qui inondent nos oreilles, les paroles laissent entrevoir la personne derrière le masque : Taylor souffre. La femme qu'il aimait est partie et il n'arrive pas à l'accepter malgré toutes ses tentatives, si bien qu'il tente de noyer sa douleur psychologique en se blessant physiquement mais rien n'y fait : tout lui rappelle cette femme. Il tentera de mettre fin à ses jours de la manière la plus tragique avant de réaliser la teneur de ses actes et ce que cela entraînerait. Il se demande alors s'il y a encore quelqu'un dans sa vie pour qui survivre, quelqu'un pour lui dire qu'il va bien. Ce couplet démontre que, malgré ses peines et ses souffrances et à travers ses paroles, Taylor cherche la personne qui le comprendra et saura l'aider. Elle témoigne de la fragilité du frontman et de son humanité.

Il continuera à exploiter le thème de la souffrance à travers la piste éponyme d'Iowa, d'une durée de 15min05 (la plus longue piste jamais composée par le groupe à l'heure actuelle) et d'une manière plus littérale. La chanson porte sur un homme qui se retrouve à parler avec le corps d'une personne qu'il vient tout juste de tuer, mais la douleur va au delà de la simple musique. Durant l'enregistrement, Taylor chantera complètement nu et finira par se vomir dessus tout en se mutilant avec des bris de verres. Les paroles laissent libre court à l'imagination ainsi qu'à l'interprétation sur l'identité de la victime dont il est question, flirtant toujours entre la lucidité du tueur et sa folie qui le fait délirer. Sans aucun doute la pièce maîtresse, terminant l'album en beauté et nous laissant aussi déboussolé qu'impressionné par ce qu'on vient tout juste d'écouter.

Si la violence d'Iowa est la chose qui nous attire, les émotions transmises vont bien au dessus de ça. Les thèmes traversés durant les 14 pistes passent de la colère simple à une véritable haine de l'espèce humaine, jusqu'à la douleur la plus commune qui n'est autre que l'amour, la peur de l'abandon ou tout simplement la solitude rongeant une personne, allant jusqu'à faire naître un mal-être viscéral. Iowa est le second album du groupe et malgré son jeune âge, Slipknot fait preuve à travers lui d'une maîtrise et d'une maturité folle. Ces 9 garçons venus du fin fond de l'état dont tire de nom du disque délivrent là ce qui, encore aujourd'hui, est leur production la plus agressive. 20 ans plus tard, il continue de plaire et de parler à des gens comme moi qui, au détour d'une journée, vont se replonger avec plaisir dans cet album à la musique si abrasive, au point de prendre de court ses auditeurs tant elle change de ce qu'avait fait le groupe sur leur premier album. Slipknot est comme un bon vin : le temps le rend meilleur et cela vaut aussi pour Iowa qui, deux décennies après sa sortie, continue de faire parler de lui et d'enflammer les passions. Si vous aviez besoin d'une bonne dose de colère pure, sachez que vous ne pouviez pas mieux tomber.

DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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