Thin Lizzy - Jailbreak

Le pionnier oublié

Il y a bientôt 50 ans trois irlandais, formant un groupe de folk rock, lancent leur 1er album éponyme : Thin Lizzy. Sans le savoir, Phil Lynott, Eric Bell et Brian Downey viennent de créer un groupe qui influencera considérablement la New Wave Of British Heavy Metal et les sous-genres qui en découleront. Pourtant je viens de parler de folk rock, genre à mille lieues de la NWOBHM : c’est parce que le trio va grandement évoluer et changer, sa musique suivant ces transformations. Du style initial de 1971, leur son va passer par le rock, le hard rock puis le metal. C’est à partir du moment où le groupe, devenu quatuor, va explorer le hard rock qu’il va durablement marquer la scène. Si les avis peuvent diverger sur le moment exact de ce décollage, pour ma part ce fut il y a maintenant 45 ans, le 26 Mars 1976, au moment où sortait leur album Jailbreak.

Ce dernier est le sixième disque de Thin Lizzy et le troisième effort avec la formation “classique” du groupe : la base indéboulonnable constituée de Phil Lynott à la basse et au chant et Brian Downey derrière les fûts, accompagnée du formidable duo de guitaristes Scott Gorham et Brian Robertson. Les deux précédents albums du line up, Nightlife et Fighting, délaissaient le folk pour approcher timidement le hard rock. À partir de Jailbreak, les anglophones adoptent une approche rebelle auquel ce genre sied formidablement bien.

Cela commence avec la superbe pochette réalisée par Jim Fitzpatrick : le dessinateur avait déjà réalisé celles de Vagabonds of the Western World ou Nightlife et réalisera plusieurs futurs artworks pour le groupe. On y voit les quatre membres fuyant le regard d’une autorité à priori omnisciente.

Ensuite, il faut parler du titre éponyme, définition même du style dissident dont le groupe s'imprègne. L’ouverture de l’album se fait sur une seule note explosive déchirant les enceintes. Le morceau commence par un riff qui est la définition même de “badass”. Il donne cette impression d’être face à quelqu’un qu’il faut éviter sous peine d'ennuis. Cette sensation est supportée par des guitares à la distorsion bien agressive. Il en est de même pour les paroles, ode à l’insurrection, bien aidées par le phrasé de bad boy de Phil Lynott. Le regretté frontman suinte la classe du rebelle avec sa voix grave et rocailleuse, déjà marquée par les cigarettes et autres substances illégales.

Mais Thin Lizzy n’a pas encore terminé son changement de style : l’album garde de belles traces des racines du groupe, notamment dans la triplette de morceaux suivant Jailbreak. Le quatuor y est plus doux, en particulier sur Running Back et sa mélodie au clavier naïve, presque enfantine. On retrouve le rock des débuts dans la ballade Romeo And The Lonely Girl : les guitares sont calmes, la batterie tempérée et Lynott plus mélodique dans son chant. Un désir d’émancipation ou d'anticonformisme transpire des compositions. Il en est de même sur Fight Or Fall, douce ballade à écouter lorsque le soleil fait ses adieux à l’horizon.

Néanmoins le succès de Jailbreak, en plus de sa chanson titre, tient majoritairement grâce à sa face B forte de quatre titres dont trois deviendront des classiques en concert. The Boys Are Back In Town, ouverture du second versant du vinyle, est le titre le plus connu du groupe et un hymne rock ralliant tous les fans du genre. Ce morceau a fait connaître Thin Lizzy outre-Atlantique et ce n’est pas sans raison : la musique nous transporte directement dans un petit pub irlandais à l'ambiance bienveillante, presque réconfortante. On ressent quelque chose d’authentique et propre au son du rock des 70’s. La ligne de basse des couplets est à tomber par terre, les mélodies des guitares sont entraînantes, dansantes et les paroles racontent ces soirées en dehors du temps que tout le monde a connu. Un morceau fédérateur donc, ces raisons expliquant sans doute la réussite du titre, dont le single (initialement écarté de l’album) a boosté les ventes de Jailbreak et a sauvé le groupe selon Gorham.

La huitième piste du disque, Cowboy Song, est une power ballad qui finira par devenir un classique du groupe en concert lorsqu'elle sera mixée à Rosalie de l’album Fighting. Le refrain est accrocheur et Phil pousse sa voix sur les couplets pour un ensemble nous plongeant dans le quotidien d’un homme perdu dans le far-west. Le morceau final, Emerald, est une superbe conclusion devenue passage obligatoire en tournée. L’émeraude auquel le titre fait référence est l’Irlande, île verte dont les couplets content les légendes aussi épiques que tragiques. Tragique évoqué par le sublime pont à double lead au milieu du morceau, mis en avant par l’absence de batterie. La bataille décrite dans les textes s’exprime ensuite par un duel de soli entre Robertson et Gorham qui échangent vivement leurs plus beaux coups (de manche). Malgré un son orienté vers les guitares, le travail de Lynott et Downey sur la section rythmique est stellaire. Downey tient le groove sur le refrain instrumental tandis que le frontman délivre ses plus belles lignes dans le fond du duel américano-écossais. En somme, une belle fermeture d’album laissant l’auditeur comblé à la fin de son écoute.

Ainsi, Jailbreak a permis à Thin Lizzy de se relancer. Le groupe était pourtant en phase descendante depuis le succès de sa reprise de la chanson traditionnelle Whiskey In The Jar. Mais à partir de 1976 ses albums finiront tous dans le top 10 des charts outre-Manche.

Un ensemble de plusieurs éléments a rendu ceci possible : tout d’abord la qualité et l’hétérogénéité des morceaux empêchent l'auditeur de s’ennuyer à l’écoute, chacun d’entre eux ayant une personnalité bien distincte et faisant appel à des émotions bien différentes. L'enchaînement entre deux pistes peut dérouter la première fois mais ne nous perd jamais. À travers ceci on ne peut que féliciter la versatilité de Lynott, auteur sur toutes les pistes, ainsi que ses compères, pour leurs compositions. Les chansons restent faciles d’accès et rentrent donc très vite en tête. Je vous tire mon chapeau si le clavier de Running Back ne s’est pas fait une place dans l’arrière de votre crâne. De son côté la batterie demeure simple sur l’ensemble du disque, mais les fills gardent leur efficacité, ayant toujours 45 ans plus tard l’élégance qu’ils avaient déjà à l’époque. Les paroles sont également remarquables, la plume du bassiste faisant souvent preuve de finesse dans l'écriture de vers mémorables.

Toutefois le plus marquant dans les morceaux sont les riffs à double lead, devenus légendaires dans l’histoire du rock. Si Scott Gorham et Brian Robertson ne sont pas les inventeurs de cette technique de composition à proprement parler, ce sont eux qui vont la populariser et dans le même temps faire qu’elle devienne une marque du groupe. KISS, Metallica, Iron Maiden et de nombreux autres s’en inspireront plus tard pour nous donner des passages célèbres de la culture metal. Ajoutez à ceci une technique impressionnante ainsi que des soli qui le sont tout autant et vous avez entre les mains un album s’approchant doucement du demi-siècle qui est sûrement le meilleur de Thin Lizzy avec Black Rose: A Rock Legend.

Ainsi, il y a 45 ans, un quatuor irlando-américano-écossais posait les bases d’une alchimie proposant un mélange détonant de hard rock, de blues et de folk rock qui les mènerait vers un succès mondial à l’aube des 80’s et du heavy metal. Au milieu d’une période où le genre et ses dérivés étaient en pleine ébullition, le groupe dénichait une recette capable de rassasier le grand public avec des thèmes universels et des singles inoubliables d'un côté. De l'autre, il tapait dans l’œil des connaisseurs avec des compositions finement élaborées. Pourtant Jailbreak, soyons clair, est un outsider : vous n’entendrez sûrement pas son nom cité dans des tops, tout comme les mentions de Thin Lizzy sont rares lorsqu’on raconte l’histoire du rock. Mais sans qu’on y fasse attention, Jailbreak et les albums suivants du groupe ont influencé la scène dans son ensemble. À tel point qu’on pourrait aujourd’hui se demander si reprendre un titre du groupe n'est pas un rite de passage : Mastodon, Megadeth, Anthrax, Motorhead et une multitude d’autres poids lourds se sont essayé à l’exercice, rappelant à leurs fans en ces occasions d’où ils venaient. La marque des plus grands, assurément.

FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
Consigne du maître nageur :
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Slip de bain

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Thin Lizzy
"Jailbreak"