Laurent Garnier Off The Record @ Le Grand Rex, Paris, 21/11/2021

En immersion dans le Grand Rex

Paris, dimanche 21 novembre 2021, aux alentours de 20h.

Je sors à peine du métro à Bonne Nouvelle que je me retrouve juste devant le Grand Rex. C’est alors que j’aperçois un panneau avec une indication bien précise :

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Un léger doute m’envahit : est-ce que par « invités », on inclut aussi les « backers », c'est-à-dire les personnes ayant soutenu financièrement le documentaire ? Après tout, je fais bien partie de ces milliers de personnes qui ont participé au crowdfunding du projet, ce qui m'a permis d'obtenir par e-mail une invitation à la projection quelques jours auparavant. Je demande à la dame qui faisait le contrôle des pass sanitaires si c’est bien le cas : « Oui bien sûr, c’est par ici ». Dès lors, je prends la file dédiée et après passage devant la sécurité pour le contrôle des sacs, je rentre dans le Grand Rex. Il me suffisait de donner mon nom et prénom à l’accueil des invités pour qu’on me donne le fameux sésame : un billet pour la projection, rangé dans une enveloppe à mon nom.

lgotr_ticket_projection Ça y est, je tiens ENFIN entre mes mains la finalité de ma contribution, parmi tant d’autres, à l’existence de ce documentaire.

Retour il y a quelques années, en 2019 : bien que je ne sache plus pour quelle raison ou par quelle source j’en apprends l’existence, un crowdfunding bien spécifique est lancé en juin sur la plateforme Kickstarter. Le but : contribuer financièrement à la production d'un documentaire en cours de tournage sur un artiste emblématique, le DJ et producteur français Laurent Garnier.

Même si vous n'êtes pas branché "musiques électroniques", il se peut que vous ayez entendu ce nom au moins une fois. Écumant les clubs et les festivals depuis près de 40 ans, figure de proue de la scène techno française, ancien patron de label, Chevalier de la Légion d'Honneur… Peu importe ce qu'on pense du bonhomme, il faut reconnaître sa volonté de défendre ardemment cette culture depuis le début de sa carrière.

Aussi, à l’évocation de son nom me viennent des souvenirs à la fois étranges et marquants. En vrac : ce souvenir lointain du clip de Coloured City diffusé un soir sur M6 alors que je n’avais que 6 ans ; mes jeunes années à écouter Pure FM qui diffusait son émission It is what it is, écoutable également sur Le Mouv' chez nous et Couleur 3 en Suisse (et ce jusqu'en 2014) et sur laquelle il nous partageait sa riche culture musicale et son goût pour l'éclectisme ; ou bien la fois où… j’ai pris une photo avec lui et Dave Haslam, un écrivain et journaliste britannique et accessoirement ancien DJ de la Hacienda, mythique club de Manchester dans les années 80 où il fit la connaissance de notre protagoniste.

lgotr_photo_2018 Admirez cette (non) aisance…

Ayant mis la main à la poche pour modestement contribuer à cette aventure, il ne me restait plus qu’à patienter jusqu’en 2020 pour avoir la chance d’assister à l’avant-première du documentaire. Hélas, le Covid-19 est passé par là et toute la petite équipe derrière le documentaire (Laurent Garnier, le réalisateur Gabin Rivoire et les producteurs du film) a dû se résoudre à revoir ses plans en prévision de l’année suivante. Entre-temps, quelques goodies en guise de contreparties au Kickstarter arrivaient au compte-gouttes.

Vient donc 2021 et les annonces de premières tournées des festivals de cinéma pour le documentaire, dont cette projection en juillet à Lyon, à l’occasion des Nuits Sonores où le DJ français joue régulièrement. Pour le reste, les dates des autres projections seront annoncées en octobre. Ainsi, du 1er au 21 novembre, de Cucuron à Paris en passant par Montpellier, Marseille et Caen, nombreux.ses sont les curieux.ses et les passionné.e.s qui sont convié.e.s à venir voir le produit final de ces deux ans de gestation.

lgotr_tshirt À noter que parmi les contreparties à la participation au crowdfunding, j'ai reçu ce T-shirt au nom du film. Bien évidemment, je l'avais sur moi le soir de la projection au Grand Rex…

Revenons là où nous nous étions arrêtés, au Grand Rex. Sitôt arrivé dans le hall principal, j’aperçois une boutique où sont étalés des tote-bags, les affiches du film et des coffrets collector du documentaire, ces derniers étant proposés à la vente deux semaines à l’avance par rapport à sa sortie officielle. Après avoir eu le temps d’apercevoir Jack Lang (formidable, n’est-ce pas ?) et Kittin, une DJ/productrice française reconnue dans le milieu de la techno, je jette un œil à tous ces goodies mis en vitrine.

Je commence à discuter avec un des vendeurs, Laurent (ça ne s’invente pas) ; il me dit que cette projection au Grand Rex est une sacrée opportunité pour l’artiste, lui qui connaît si bien le Rex Club situé juste sous nos pieds… En effet, c’est la première fois que Laurent Garnier présente son œuvre dans la grande salle du cinéma. De cette sympathique discussion, je retiendrai cette plaisanterie à propos du sound-system du Rex Club : « On en a perturbé des séances, tellement que ça a foutu le bordel parfois ! ». Pour être allé à la Nuit Nanarland quelques semaines avant cette soirée dédiée au documentaire, qui plus est un samedi soir alors que le club en sous-sol s’apprêtait à ouvrir quelques heures après pour faire profiter des basses qui vrombissent et font trembler le sol du Grand Rex, je ne peux qu’affirmer ce fait.

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Après cet instant philosophique, je m’en vais chercher un siège à l’étage tout en essayant de trouver le bon spot pour avoir une visibilité confortable face au grand écran si caractéristique de cette salle de cinéma. Il m’a fallu quelques minutes pour me décider et ce après avoir visité tous les étages de la Grande salle — j'y ai d'ailleurs croisé Pedro Winter et The Blessed Madonna, deux autres DJ et producteur.ice.s bien connu.e.s des aficionados de cette scène musicale et qui interviennent dans le documentaire. Iels étaient invités pour l'occasion à cette séance de questions/réponses prévue après la projection.
Le constat est implacable : la Grande salle du Grand Rex est bondée de gens venus de tous horizons, aussi bien des invité.e.s que des connaisseur/euses de musique club (et électronique tout court) voire des vieux de la vieille qui ont baroudé de festivals en raves et même en club.

Me voilà donc installé, pour de bon, au premier étage de la Grande salle. Dans la même rangée, un groupe de personnes prend place sur ma droite. J’engage la discussion avec mes plus proches voisin.e.s qui s’avèrent être des passionné.e.s de musique électronique et de la culture club; en témoigne ce sweat que portait cette fille, estampillé « Dekmantel », du nom du label et du festival de musique électronique prenant place à Amsterdam.

Il est 21h20. Malgré le peu de retard pris par rapport à l’heure annoncée pour la projection, les acteurs et actrices principales de cette soirée arrivent sur scène, Laurent Garnier en premier lieu. S’en suit Gabin Rivoire, le réalisateur du documentaire; son équipe, puis le producteur Julien Lœffler et enfin la « mama » de tout ce petit monde : Georgia Taglietti, par ailleurs responsable de la communication du Sónar, un célèbre festival de musique électronique et avant-gardiste à Barcelone et accessoirement un de ces évènements où le DJ français participe régulièrement.
Ce dernier, justement, prend la parole face à nous et dit : « On a l’habitude d’être plus bas, et là on se retrouve à 2700 dans cette salle. Ça tue ! ». Applaudissements nourris du public, moi inclus. On apprendra pendant cette avant-séance qu’un tiers du film a été financé grâce au crowdfunding : j’y ressens une certaine satisfaction que je ne saurais expliquer plus en détail, si ce n’est par de nouveaux applaudissements avec tout le public.

Aux alentours de 21h30, les lumières s’éteignent, la projection du documentaire peut commencer.
J’avais déjà eu l’occasion de le voir en 2020 mais sur un écran d’ordinateur, par le biais d’un lien privé Vimeo donné aux contributeurs/trices du crowdfunding et ce pour une durée limitée. N'ayant plus tout le déroulé du film en tête, il était temps de me rafraîchir la mémoire, cette fois sur un bien plus grand écran que mon MacBook.

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Résumons le film de façon concise : d'une durée d'environ 1h30, Off The Record retrace en filigrane la carrière de DJ et de musicien d'une des figures de proue de la scène musicale française dans le Monde, à travers les révolutions sonores apportées par la musique électronique de club, house et techno en tête. Bien avant le crowdfunding, j'avais lu sa biographie co-écrite avec le journaliste David Brun-Lambert, Électrochoc. C'était à l'époque de l'exposition Electro à la Philharmonie de Paris en 2019 (d'ailleurs, on pourra apprécier des scènes filmées de l'exposition dans le documentaire). En transposant mes souvenirs de cette lecture avec ce documentaire, j'ai aperçu des similarités en terme de narration : sa passion dévorante de la musique enfant, sa découverte des scènes clubs à Londres puis à Manchester dans les années 80, ses débuts en tant que DJ à l'Hacienda puis les soirées parisiennes où il importera cette culture club, la création de son label F-Com et son avènement en tant que figure de proue de la scène techno française… De ce côté-là, pas de grande surprise. La plus-value se fait avec les images et les vidéos d'archives invoquant l'artiste français, aussi bien personnelles quand il s'agira d'illustrer ses tournées DJ, qu'extraites de reportages télé (quand il parlera du mépris d'une grande partie de la classe politique française pour la techno, dans les années 90) ou bien de son concert It's Just Musik à la Salle Pleyel à Paris en 2010.

Il faut rappeler aussi que son obsession pour la musique, quel que soit le genre (il dira aimer le punk, le reggae, la new wave…), le caractérise énormément. Sa volonté de la transmettre au grand public, outre son émission de radio citée au-dessus ainsi que sa suite spirituelle What's Next?!, passe également à travers les plus jeunes générations : on le verra ainsi auprès de jeunes collégiens de Le Puy-Sainte-Réparade dans une séquence que j'ai trouvé touchante, où on le voit encourager ces jeunes personnes à exprimer leur ressenti vis-à-vis de ces musiques électroniques dans le cadre d'un atelier de création graphique et visuelle.
Notons également ce "fil rouge" en ouverture et en clôture du documentaire où il est en plein déménagement… de son immense collection de vinyles ! À ce propos, je retiendrai cette séquence amusante :

lgotr_extrait_1.png Conseil pour nos amis diggers et amies diggeuses : si vous voulez parler de votre collection de vinyles, parlez-en en mètres linéaires !

Off The Record, c'est également une invitation au voyage et ce dans le sens littéral : de Paris à Tokyo en passant par Detroit, Chicago, Londres, Manchester, Berlin… ainsi qu'à Tbilissi en Géorgie. N'oublions pas que ces villes ont été des places fortes pour l'avènement de la house, de l'electro, de la techno et tout autre genre de musique de club ; et c'est encore le cas aujourd'hui !
Venons-en à une des idées principales du documentaire : donner la parole aux gens qui ont côtoyé le DJ français, entre ces acteurs et ces actrices qui font encore vivre cette culture et ses amis les plus proches (on salue notamment Matthieu Chedid). On pourra regretter, pour chipoter un peu, la brièveté de certaines interviews : je pense notamment à celle de Kittin, de Frank de Wulf, de Modeselektor, de Jean-Yves Leloup.… Certes, on ne boude pas notre plaisir à voir et à revoir des figures de ces scènes house et techno de tous bords, aussi bien artistes que chroniqueur.euse.s, mais peut-être qu'exhauster ces extraits d'interviews n'aurait pas été de trop.
Aussi, on pourrait ressentir un sentiment de "manque" dans certains actes du documentaire, en tous cas si on devait le transposer à Électrochoc. Je pense notamment à l’histoire de F-Com, le label fondé par Laurent Garnier et son acolyte Éric Morand, qui aurait pu être évoquée plus en détail.
Dans les deux cas, on peut croire à un choix délibéré de Gabin Rivoire, ce dernier ayant expliqué pendant le Q/A que plein de séquences ont été coupées du montage final par souci de narration. À noter qu'elles sont trouvables en bonus dans le DVD/Blu Ray du documentaire !

Et dans cet ensemble, il y a une présence qui me laisse de marbre, sentiment que j’avais déjà eu lors du visionnage sur Vimeo l’année dernière : celle de Derrick May lors de la partie consacrée à Detroit. Alors oui, il s’avère qu’il fait partie de ceux qui ont contribué à l’avènement de la techno à la fin des années 80 et que sa présence peut se justifier par le fait qu’il connaît bien le DJ français au point d'avoir publié un de ses classiques, Acid Eiffel, sur son label Transmat. Mais on peut légitimement questionner la pertinence de ces séquences aujourd’hui, quand on sait qu’il est non seulement accusé de plagiat avec son bien connu Strings of Life, mais aussi d’agressions sexuelles depuis des témoignages publiés l’année dernière.
Peut-être que le montage final a été décidé ainsi, parce que ces scènes ont été tournées avant la pandémie et avant ces révélations. Peut-être manquait-il de plans de secours pour éviter au maximum sa présence dans le documentaire ? En tous cas, je n’ai pas été très à l’aise devant ces séquences, au point même de grincer des dents.

Malgré tout, une énorme salve d’applaudissements envahit la Grande salle à la fin de la projection du documentaire. S’en suivent des sifflets d’approbations, des « bravo » et autres « Laurent, Laurent » qui contribuent à amplifier l'ambiance qui s'est installée en ce lieu.

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Pour conclure cette soirée de projection, il nous est proposé une séance de questions/réponses entre les invité.e.s et l'équipe de production. On apprendra que Laurent Garnier et Gabin Rivoire se sont rencontrés en 2013 au Yeah! Festival que le DJ co-organise avec des amis et pour lequel le réalisateur travaille encore à ce jour pour les trailers et les after-movies. S’en suivent moult anecdotes partagées au public, aussi bien personnelles (on apprendra que le réalisateur est plus passionné par les chansons de Georges Brassens que la musique techno) qu’au sujet du tournage (toujours selon le réalisateur, l'un des plus beux moments fut ce DJ set après le closing du Sónar, en guise de remerciement pour les bénévoles du festival) et sur la personnalité de Garnier, lequel parlera du fait d'avoir très souvent le trac sur scène avant de faire chauffer les platines. Il en parle justement au tout début du documentaire :

"À cause de la fatigue ou du stress, t'as du mal à lire la foule et tu commences pas avec le bon disque en fait. Quand j'ai l'impression de ne pas les comprendre et que j'arrive pas à les choper, c'est horrible."

Alors que la séance de questions/réponses s’apprêtait à toucher à sa fin, Laurent Garnier annonce un scoop au moment de la soirée : il a déjà plusieurs maxis prêts ou en cours de préparation pour 2022… et annonce même un nouvel album en prévision de l’année prochaine ! On restera à l’affût à ce sujet.
La séance se terminera par la diffusion du making-of, ou plutôt du bêtisier du clip de l’annonce pour le Kickstarter du documentaire. Durée totale de l’après-séance : un bon trois gros quarts d'heure.

Il est 23h49. Une fois sorti du Grand Rex, je contemple tout ce petit monde qui occupe l'intégralité du trottoir autour du cinéma, quand ça n’est pas cette file naissante qui patiente devant l’entrée du Rex Club. Étant amené à travailler demain, je fais l’impasse sur l’after-party. De toute façon, je n’ai pas acheté le précieux sésame qui m’aurait permis d’aller à cette soirée club qui aurait fini à… 7h du matin !

C’est alors que, m’apprêtant à rentrer dans la bouche du métro à Bonne Nouvelle, je pris une dernière photo pour mesurer l’importance de la foule au niveau du cinéma. Et mesurer aussi l’importance d’un tel évènement pour un artiste qui s’est imposé avec brio dans la scène électronique voire musicale, et ce, depuis plus de 40 ans..

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Le Grand Rex
Paris, France